Ces journées ont suscité un véritable engouement en accueillant 500 participants de nature très variée : délégations des trente équipes sélectionnées, parfois complétées d'élèves, accompagnées des CARDIE et chargés de mission dans toutes les académies même lointaines.
Ce sont aussi des participations plus spontanées d'enseignants et de chefs d'établissement qui ont manifesté leur envie de s'impliquer dans cet événement désormais bien identifié. Ce sont enfin l’ensemble des partenaires de l'école (membres du Cniré, inspections générales, associations professionnelles et éducatives).
Les prix de l’innovation 2017
A l’issue de la journée, la ministre Najat Vallaud-Belkacem a remis aux équipes les huit prix de l'innovation 2017 (Palmarès).
Ces prix récompensent des actions menées sur tout le territoire, dans les écoles maternelles, les écoles primaires ou les établissements du second degré. Sept prix étaient issus des délibérations d’un Grand Jury, alors que le prix du public a été attribué à l’issue d’un vote participatif en ligne : un record cette année avec plus de 5800 suffrages uniques (un mél, un vote). Le Prix du public à lui seul a remporté plus de 1750 voix, fait unique dans l'histoire d'une candidature : il est revenu au lycée Françoise de Tournefeuille, « une petite république » (Académie de Toulouse-31).
Cette année, six domaines ont été privilégiés, le numérique étant un domaine transversal à tous les autres en reposant notamment sur des activités collaboratives :
- les pratiques favorisant l'évaluation pour les apprentissages : une évaluation au service des apprentissages.
- l'innovation dans l'action artistique et culturelle : constat de l’importance du capital culturel dans la réussite scolaire. Enrichissement au contact des œuvres et initiation aux arts.
- Les partenariats pour renforcer la réussite des élèves : solidarités locales et partenariats avec les acteurs locaux, associatifs, publics et privés. Notion de territoire apprenant.
- pour une prévention du décrochage scolaire : de nouvelles manières de prendre en charge certains élèves par des parcours adaptés.
- la réussite scolaire en éducation prioritaire : soutenir les apprentissages de tous et permettre une réussite plus affirmée dans les milieux défavorisés.
- les écoles et établissements innovants : l'innovation comme stratégie politique pour favoriser l'évolution des pratiques.
Innover pour une école à la fois plus juste et efficace.
Le rapport du CNIRÉ (Conseil National de l’innovation pour la Réussite Éducative) intitulé "Innover pour une école plus juste et plus efficace" présenté par Philippe Watrelot ouvrait la journée pour relater les grands axes de ce travail collectif, fruit de six mois d’activité.
En partant du constat que l’école est inégalitaire, car l'origine sociale y joue un rôle très important dans la réussite scolaire, il apparaît comme essentiel de rechercher les voies capables de favoriser la réussite de tous dans une nouvelle dynamique pédagogique et managériale. On ne saurait en effet se satisfaire d’un fatalisme cynique et décliniste qui verrait son salut dans un enseignant « innovant solitaire et rebelle ». Voir à ce propos l’article publié dans The Conversation le jour-même.
En se définissant comme « un enseignant et militant associatif », Philippe Watrelot a tenu à montrer que le service public est capable d'innovation au service de tous. Il est alors concrètement par les enseignants au quotidien : c’est bien l'établissement qui est le lieu le plus adéquat pour cela. Ce rapport présente dix propositions qui se veulent modestes, mais toujours pertinentes, sous la forme d'un catalogue d'outils afin de rendre l'école plus efficace.
En voici quelques éléments:
« Créer des Fab Lab pédagogiques dans les établissements », « Mutualiser les ressources et les expériences », « Des enseignants qui apprennent, ce sont des élèves qui réussissent ». Nous avons là quelques unes des 10 propositions qui mettent l’accent sur de nouvelles organisations, mais aussi sur de nouvelles approches pédagogiques, car elles seules permettent de lutter contre les inégalités, à condition toutefois qu’il s’agisse d’une pédagogie explicite et en équipe.
Ces rencontres furent riches par les témoignages d’élèves, de professeurs et de chefs d’établissements invités à échanger au sein de nombreux ateliers thématiques déclinés au cours de la journée, mais aussi grâce aux très riches présentations effectuées par des intervenants de très haute qualité.
Philippe Goémé, professeur de sciences économiques et sociales, membre de l’OUIEP, formateur à l’ESPE de Créteil, proposait une vision dynamique de l’innovation au travers de celle engagée dans les collèges et lycées innovants « nouvelle vague ».
Ceux-ci acquièrent une assise institutionnelle nouvelle, car l’innovation n’est plus aujourd’hui, comme dans les années 80, cette « désobéissance qui réussit ». Les réponses innovantes sont à présent ancrées dans des contextes locaux identifiés, autour d’axes de réflexion communs. Ils travaillent par exemple sur les rythmes et les temps scolaires, en annualisant les contenus d’enseignement ou en faisant de l’évaluation un objectif collectif très éloigné de la notation, en repensant le statut du professeur évaluateur…
La notion d’équipe est essentielle : « faire équipes ». Cela implique une posture particulière des personnels de direction engagés dans la recherche de solution par le consensus et non pas par le vote ou par l’autorité. Il faut aussi décloisonner et partager avec l'ensemble des personnels, co-construire collectivement des réponses adéquates, travailler portes ouvertes.
Mais ces établissements doivent être accompagnés dans leur réflexion, notamment autour de nouvelles formes de gouvernance, car le rôle du chef d'établissement est central, dans une vision partenariale de la hiérarchie. Ces établissements innovants travaillent sur l’accueil des personnels et deviennent ainsi des établissements formateurs. L’ouverture et la diffusion sont des outils d'évolution pour le projet lui même.
Le décrochage scolaire, de l’expérience des jeunes aux actions de terrain.
Pour Pierre-Yves Bernard, Maître de conférences en sciences de l’Éducation, université de Nantes, les élèves décrocheurs nous disent des choses sur le système scolaire. Mais il convient aussi d’analyser aussi les facteurs de risque liés aux caractéristiques des jeunes décrocheurs (genre, contexte social, contexte établissement, territoire, marché du travail).
Le décrochage est en effet le résultat de processus longs qui peuvent remonter à l'école préélémentaire, bien qu’il n'y ait pas de fatalité.
Qu'en disent les jeunes concernés ?
Analysant les premiers résultats de l’enquête Mods 2015 (Motifs de Décrochage Scolaire) portant sur 2948 élèves sortis sans qualification dans cinq académies, le profil de ces jeunes permet d’envisager des réponses concrètes au décrochage.
Les élèves sont en majorité issus milieux populaires : 68% viennent de l'enseignement professionnel avec 41% de filles,
Les réponses montrent qu’il y a d’abord un désengagement scolaire et un type de rapport au savoir très distant de la forme scolaire: « J'aime pas ça, ». On peine à donner des motifs précis, mais la question de l'orientation est souvent présente, comme le besoin d'argent, la volonté de travailler, d'avoir une activité professionnelle pour plus de 60% des élèves interrogés : « J´en avais marre de l'école, je voulais gagner de l'argent ». Pour leur part, les filles décrochent par découragement. « J'avais l'impression de perdre mon temps à l'école pour 55% des élèves interrogés».
Que faire ? Agir en amont sur les publics fragiles
La prévention ciblée est efficace à condition d'y mettre beaucoup de moyens.
Cette prévention devrait d'abord être structurelle, en agissant sur le fonctionnement général de l'école : les pratiques pédagogiques et l'organisation même de l'école sont questionnées. Ce sont les pays qui ont une politique globale qui s'en sortent le mieux, même si les politiques de compensation (remédiation) ou de seconde chance doivent aussi être mises en œuvre.
Si le décrochage scolaire diminue (moins de dix pour cent actuellement), il en est d'autant plus marquant en termes de stigmatisation.
Dans ce contexte, il est choquant de constater que 70% des jeunes disent n'avoir eu aucune proposition d'aide.
Il faut alors développer des partenariats aves les familles, les associations, les professionnels de santé...
La question des familles est centrale : elle est liée aux caractéristiques sociales (et pas seulement), mais aussi à la structure familiale, la stabilité étant un facteur de persévérance scolaire, l’implication des familles est questionnée en les écoutant en particulier : il faut en effet demander aux parents ce qu'ils attendent de l'école.
L'apprentissage à un effet très positif sur la réussite scolaire. Cela engage aussi le monde économique. L’implication du tissu économique local est essentielle pour proposer des solutions, car bon nombre de ces jeunes aspirent à se former autrement, et notamment par l'alternance.
Agir sur le rapport de l’élève à l’école
Christophe Marsollier, IGEN (Groupe Etablissements et Vie Scolaire), docteur en sciences de l'éducation évoque la mobilisation nationale qui est à l’œuvre pour vaincre le décrochage scolaire. Celui-ci est effectivement en voie de diminution : nous sommes passés de 140.000 décrocheurs en 2010 à 80.000 actuellement.
Fragilité de la motivation et de la persévérance.
Le constat n’est guère brillant : les 2/3 des élèves trouvent la scolarité fatigante et stressante. 27% affirment que les adultes leur font peur, alors que 69% sont angoissés par la réussite. En outre, 30% pensent qu’il y a des injustices à l'école.
Pour espérer avoir une quelconque efficacité, il convient avant tout de comprendre les cultures juvéniles et les ressorts psychologiques des rapports des élèves à l'école. Les jeunes sont immergés dans un univers très attractif : ils choisissent à chaque instant leur menu culturel, ont accès aux connaissances via Internet. Leur liberté d'expression est permanente sur les réseaux sociaux, ils affichent souvent une contre-culture politique avec perte de confiance vis à vis des institutions et ils sont sensibles au complotisme. Nous vivons une crise des valeurs dans laquelle les jeunes recherchent des symboles.
Le modèle classique fondé sur la formule : instruire, éduquer, former ne fonctionne plus. Il est aujourd’hui nécessaire de prendre en compte le rapport des jeunes au savoir, à l’apprendre, au savoir être...
Il n’y a en fait pour l’élève qu’une seule alternative : persévérer (rebondir, faire preuve de résilience qui est une capacité fondamentale pour l'estime de soi et son rapport aux obstacles et à l'échec) ou se décourager. Or, la démotivation est au cœur de la dynamique du décrochage.
Des stratégies spécifiques ont été mises en œuvre avec succès pour renforcer la résilience des élèves au Canada. Elles reposent sur la bienveillance, sur le rapport aux besoins psychiques fondamentaux, sur l’encouragement et sur la connaissance de ses propres forces et de ses aptitudes. Il s’agit d’apprendre aux élèves à faire preuve de discernement et à privilégier les émotions positives. On affiche alors des exigences élevées avec des objectifs réalistes.
La théorie de l'auto détermination TAD.
Selon la théorie de l’auto détermination (TAD)[1], La motivation s'appuie sur trois besoins psychologiques fondamentaux : Le besoin d'autonomie, le besoin de compétence (efficacité), le besoin d'affiliation (appartenance reconnaissance tisser des liens).
Or, les élèves ne sont pas égaux eu égard à ces besoins psychiques fondamentaux. Le vécu personnel de l'élève est source de vulnérabilité et facteur d'affaiblissement de la résilience. La souffrance psychologique augmente avec l'âge et avec le type de famille pour être à son comble dans les familles recomposées. Les filles sont beaucoup plus vulnérables.
En raison d’un enchevêtrement des vulnérabilités psychologiques, sociales et culturelles, on constate que le concept de vulnérabilité est supérieur à celui de difficulté scolaire.
L'enseignant peut mettre en œuvre des réactions positives appropriées à chaque type d'élève. L’exigence bienveillante permet d’amorcer et d’entretenir un cercle vertueux caractérisé par l’estime de soi, la persévérance, la motivation et l’intérêt.
Dans tous les cas, il faut agir sur le rapport de l'élève à l'école, en travaillant notamment sur les émotions à partir de réactions à des productions d'arts visuels, de musique... Exprimer son ressenti par la peinture, la parole a un effet libérateur qui redonne dignité et valeur à l’élève.
L’apport des neuro sciences pour une éducation bienveillante a été clairement établi par Catherine Gueguen[2]. Cependant l'approche psychologique du décrochage ne suffit pas, car il s’agit d’un champ multi référentiel.
Les décrocheurs demandent des professeurs engagés, du respect, du dialogue, de la confiance, de l’authenticité.
Il faut porter un regard nouveau sur le décrochage scolaire, innover de l’intérieur. Il ne peut pas y avoir de qualité sans répondre aux besoins des élèves les plus vulnérables.
L'innovation par l'apprentissage de la musique.
Pour finir, Didier Lockwood, musicien, auteur du rapport "Transmettre aujourd'hui la musique" a livré un témoignage touchant ponctué par une démonstration très personnelle de l’innovation par l’improvisation où la virtuosité le disputait à l’émotion. Improviser est pour lui une pratique initiatique.
Convoquant Georges Perrec, il affirmait que l'innovation est l'anti habitude qu’il faut cultiver à chaque minute de notre vie, car la force de l'habitude nous entraîne vers une espèce de cécité.
La musique permet de nous évader de la roche, de la matière, de notre destin. « J'adore me perdre parce que j'ai compris que c'est en me perdant que je me retrouve ».
Sortir des chemins pour découvrir, lever le voile. Nous sommes tous des pièces d'un puzzle et il faut nous mettre ensemble pour concrétiser cet assemblage.
Quelle musique faut-il enseigner à nos enfants ?
Le Conservatoire forme des musiciens interprètes destinés à jouer dans des orchestres symphoniques. La musique doit s'apprendre ensemble, car elle se fait ensemble. On peut apprécier les Victoires de l'industrie musicale, mais ce n’est pas la même chose.
Les jeunes n'ont pas accès aux concerts, car on cherche à leur vendre de la musique de consommation. Un principe important est celui de l'orchestre à l'école, car il faut avant tout incarner la musique avant de vouloir l'écrire.
« J'avais appris la musique avec les yeux et pas avec les oreilles, avec mes yeux et pas avec mon corps. Quand on joue en groupe, on partage on est en réactivité. »
En conclusion
Isabelle Robin, Chef du département de la recherche et du développement, de l'innovation et de l'expérimentation (DRDIE-DGESCO) a accepté répondre à nos questions pour exprimer son ressenti sur le bilan de ces journées.
« Ce bilan est très est très riche et comporte de nombreux aspects. Le premier constat est que, même dans notre système éducatif qui peut sembler parfois un peu corseté, l’innovation se déploie de façon tout à fait surprenante, sur un nombre important d’établissements, sur plusieurs classes et voies de formation ou dans des domaines auxquels on n’aurait pas songé. Les projets que nous avons examinés cette année (mais c’était également le cas l’année passée) étaient extrêmement ambitieux, mais en outre ils étaient portés par une vision de l’école fondée sur l’éthique. Une vision généreuse et humaniste. La remise des prix a donné l’occasion de très beaux moments, pleins d’émotion.
Le second constat est que les équipes à l’œuvre pour émerger ces magnifiques projets sont preuve à la fois d’exigence et de bienveillance. Elles sont engagées aux côtés des élèves et sont fières du travail accompli. En cela, elles nous offrent une vision de l’éducation ancrée dans le réel et différente des représentations habituelles, une vision qui peut inspirer d’autres enseignants.
Les journées de l’innovation ont donc un effet dynamisant sur l’ensemble des acteurs de l’éducation et font la démonstration que la créativité et la prise d’initiative sont des réponses aux problèmes très concrets que rencontre notre système éducatif : la difficulté scolaire, le décrochage, l’inclusion… »
[1] Voir à ce propos Jean Heutte, http://jean.heutte.free.fr/spip.php?article96
[2] Gueguen Catherine, Pour une enfance heureuse, Robert Laffont, Paris : 2014
Dernière modification le samedi, 05 août 2017