Que retenez-vous de cette période ?
Des derniers mois que nous venons de vivre je retiens le fort esprit civique de la population ; la solidarité qui s’installe petit à petit malgré les contraintes et le risque sanitaire. Des enseignants fortement investis, créatifs, parfois innovants, qui osent malgré les difficultés, malgré le manque de matériel adapté.
Des enseignants qui n’hésitent pas à se lancer dans l’enseignement à distance pour assurer la continuité pédagogique et maintenir le lien avec les élèves et les familles.
Du point de vue du numérique éducatif, ce qui m’a le plus marqué est le coup d’accélérateur des pratiques numériques chez les élèves comme chez les enseignants. Tous ont énormément gagnés en compétences numériques et beaucoup d’élèves en autonomie.
Quelles sont les pratiques que vous avez constatées et accompagnées ?
La pandémie a accéléré un mouvement déjà amorcé depuis quelques années : le passage du travail en présentiel au télétravail.
Chez les enseignants, le passage d’un enseignement dans la classe à un enseignement à distance a fortement modifié les pratiques pédagogiques.
Ces pratiques doivent -elles perdurer ?
Nous devons maintenant tout mettre en œuvre pour accompagner cette transformation.
L’enseignement à distance, on l’a vu pendant le confinement, risque d’accentuer les inégalités et pénalise les populations qui n’ont pas accès à des ordinateurs, ni même à Internet. On ne peut pas oublier ces déséquilibres si l’on veut laisser aucun élève au bord du chemin mais il ne faut pas oublier non plus les nombreuses expériences réussies et donc être rassuré sur notre capacité à innover et évoluer vers des terrains parfois inconnus.
Les mois de confinement ont montré que nous avions besoin d’accompagner encore davantage les usages pédagogiques du numérique pour effacer la distance car le numérique ne remplace pas tout. Il ne remplace pas la présence de l’enseignant, il ne remplace pas la magie du face-à-face que l’on ressent dans la salle de classe. Cette magie doit pouvoir s’exprimer malgré la distance physique qui sépare l’enseignant de ses élèves et c’est par la formation aux usages pédagogiques du numérique que l’on réussira à reproduire cette relation si particulière.
Nous devons porter notre réflexion sur les transformations induites par l’enseignement à distance. Réfléchir aux gestes professionnels transformés pour assurer à distance la gestion de classe, pour être en capacité d’évaluer, de différencier, de remédier aux difficultés des élèves les plus en difficultés.
Les échanges que j’ai eu avec les fédérations de parents d’élèves en préparation de la prochaine rentrée scolaire ont révélés des inégalités dans la communication avec les familles.
La très grande majorité des établissements ont réussi à maintenir un lien proche avec les familles mais parfois, la distance a renforcé le sentiment d’abandon, hors les problèmes de connexion.
Cette communication peut passer par les environnements numériques de travail, par les outils de vie scolaire ou par tout autre outil protégeant la confidentialité. Il est vrai que nous avons connu dans toutes les académies d’énormes difficultés à maintenir en condition opérationnelle nos environnements numériques de travail, surtout au début de la période de confinement. Nos infrastructures n’étaient pas conçues et dimensionnées pour accepter autant de connexions à la fois. Nous avons réagi, peut-être pas suffisamment rapidement pour rendre ces services numériques opérationnels et de nombreux enseignants se sont détournés des solutions institutionnelles. Il nous reste donc encore une grande marge de progression si nous devons revivre une période semblable.
Mais il faut savoir rester serein, tirer les enseignements de cette expérience et agir en conséquence est naturel lorsque l’action quotidienne suit une logique d’amélioration continue.
Qu'est-ce qu'il est urgent de prendre en compte ?
L’école à la maison pose la question de la fracture numérique, de la parentalité numérique et de l’illectronisme.
Il devient urgent de réduire les inégalités dans l’usage et l’accès au numérique. 13 millions de Français n’ont pas accès au numérique, selon le secrétariat d’État au Numérique, ou tout du moins ne disposent pas des savoirs de base fondamentaux pour se débrouiller aisément avec un ordinateur ou un smartphone.
Beaucoup de familles sont sans matériel et sans connexion donc dans l’impossibilité de proposer à leurs enfants de suivre un enseignement à distance. 9 millions d’euros ont été investis par le gouvernement pendant le confinement pour réduire les inégalités dans les cités éducatives. C’est un premier pas mais il reste encore beaucoup à faire.
Nous devons mener un travail de proximité avec les associations.
Des associations comme Emmaüs Connect ont accompagné de nombreuses familles pendant le confinement, principalement en Gironde. Il existe d’autres associations qui se sont autant investis et nous devons les aider en facilitant leurs actions.
Les collectivités territoriales ont aussi joué un rôle important. Elles ont notamment cherché à réduire les inégalités en mettant à disposition des familles des équipements des établissements.
Le partenariat entre le Ministère et le groupe La Poste a aussi facilité l’envoi de matériels dans les familles.
Équiper et connecter sont deux conditions nécessaires mais non suffisantes. Nous devons accompagner les familles dans l’usage.
La mise en œuvre de la certification des compétences numériques au collège et au lycée va dans ce sens. C’est en accompagnant les enfants dans l’acquisition de nouvelles compétences numériques que nous réussirons à réduire ces inégalités puisque les enfants seront à leur tour en capacité d’accompagner leurs parents dans les gestes numériques quotidiens.
Une fois formé, les parents auront à cœur de jouer leur rôle de parents pour accompagner leurs enfants dans l’usage raisonné du numérique.
Et en conséquence peut-on repenser, comment et avec qui, les espaces et temps éducatifs et les espaces et temps scolaires ?
Le premier levier de transformation des espaces et temps éducatifs/scolaires se fera avec l’appui des associations.
Depuis la mise en place de l'école républicaine au XIXe siècle, les associations ont joué un rôle essentiel dans l’impulsion des politiques éducatives nationales, en contribuant largement à ancrer les valeurs de l'école laïque dans la société.
Chaque jour, les associations mènent sur le terrain des actions concrètes qui permettent de lutter contre les inégalités et participent à la réussite de tous les élèves en favorisant le vivre ensemble.
Si nous devons maintenir à la rentrée prochaine un protocole sanitaire strict qui ne permet pas d’accueillir tous les élèves en même temps dans les classes, la signature de conventions avec les collectivités dans le cadre du dispositif 2S2C (Sport-Santé-Culture-Civisme) permettra de proposer aux élèves, lorsqu’ils ne sont pas en classe, des activités complémentaires, éducatives et ludiques, pendant le temps scolaire, avec des professeurs de l’Éducation Nationale ou d’autres encadrants.
Ce dispositif, construit en partenariat avec les collectivités territoriales et les associations permettra de proposer aux enfants des programmes autour du sport et de la santé, des Arts et de la culture, du civisme et de la citoyenneté, notamment des actions en faveur de l’environnement.
Un deuxième levier pourrait être celui des parents.
Le principe de co-éducation largement intégré par la communauté éducative a été renforcé avec l’école à la maison. De nombreux parents ont pris conscience de la difficulté du métier d’enseignant, ils ont aussi parfois repris la place de l’élève face aux prescriptions des enseignants. Beaucoup ont des idées nouvelles sur l’éducation et la formation.
C’est maintenant à notre tour d’écouter les parents pour intégrer leurs prescriptions dans le pilotage pédagogique des écoles et établissements.
Sébastien GOULEAU est Délégué académique au numérique au Rectorat de Bordeaux
Dernière modification le mercredi, 08 juillet 2020