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L’organisation du collège sur le modèle « une heure, une salle, un professeur, une discipline, une classe » est bien loin de correspondre aux besoins de la formation des collégiens d’aujourd’hui : ils ont besoin de savoirs reliés, associant connaissances académiques et compétences de vie, pour affronter dûment équipés les grandes transitions qui marquent notre siècle.

Si le Collège est présenté par le ministre de l’éducation nationale comme « l’homme malade du système », c’est sans doute pour plusieurs raisons. Parmi celles-ci, le syndrome de l’éparpillement n’est sans doute pas étranger à cette « maladie ».

De quoi s’agit-il ? D’un éparpillement qui touche toute autant les lieux, les temps, les élèves, les personnels que les savoirs.

Il faut se garder des fausses évidences. L’aspect quasi naturel de l’organisation quasi systématique, à partir de l’entrée en 6e, en heures de cours, pour l’emploi du temps des élèves comme pour le service des professeurs ne doit pas nous abuser. Il s’agit là, en effet de la clé de voûte de l’enseignement secondaire que l’on peut résumer par la formule : une heure, une salle, un professeur, une discipline, une classe, ce dernier élément devant être modéré pour les dernières années du lycée avec les enseignements de spécialités qui émiettent la classe. Cette organisation horaire se reproduit à l’identique de semaine en semaine au fil de l’année scolaire, sur le modèle de la journée monastique rythmée uniformément – les premiers collèges furent en effet pensés par des religieux.

Cette clé de voûte n’est pas indiscutable. Chacun, élève ou enseignant, a fait l’expérience de l’heure qui n’en finit pas ou de l’heure qui a passé trop vite sans qu’on ait pu aller au bout de la démarche d’enseignement-apprentissage. De plus, cette invariable durée de 55 minutes formate les modalités d’enseignement –apprentissage. Si elle se prête facilement au cours magistral ou dialogué, où le professeur reste le maître du temps, elle n’est pas la mieux appropriée à d’autres formes de travail qui nécessitent un temps plus long : travaux de groupes, recherches documentaires. Quant à l’organisation spatiale de la classe en autobus, majoritairement répandue, elle ne favorise pas les interactions entre élèves, mais plutôt l’échange entre le professeur et le groupe ou un individu de ce groupe.

Mais cette organisation a des conséquences importantes en cascade.

Les disciplines d’enseignement sont elles d’égale importance ? Non, c’est leur contingent d’heures dans l’emploi du temps hebdomadaire qui établit entre elles une hiérarchie, dans l’esprit des élèves, des parents et des personnels. Comme seules les matières d’enseignement figurent aux emplois du temps des élèves, s’établit une hiérarchie entre activités relevant de l’instruction, avec des horaires dédiés, et activités d’éducation relégués dans les interstices ou parfois les « trous » des emplois du temps. Cela conduit à un déséquilibre majeur entre les cours et les quatre parcours éducatifs prévus pour les collégiens, mais dont bien peu ont l’occasion de les réaliser de manière fluide et continue. Il faut des équipes locales de personnels motivés et désintéressés pour que prennent consistance pour tous les élèves un parcours éducatif de santé ou d’éducation aux médias et à l’information, composante du parcours citoyen. Quant à la vie collégienne ou lycéenne, elle contraint souvent l’élève élu à devoir choisir entre participer à une réunion ou suivre un cours…

Cette organisation est plus favorable au travail individuel, pour les élèves comme pour les enseignants. Souvent la liberté pédagogique est pensée individuellement et non collectivement, ne serait-ce que parce qu’il est fort difficile de trouver des temps de disponibilité communs à une équipe disciplinaire ou à une équipe pédagogique et éducative.

Cette organisation éparpillée et segmentée, chronométrée, n’est pas sans effet non plus sur les savoirs enseignés.

Cadre favorable à la transmission de savoirs abstraits, elle l’est beaucoup moins à l’acquisition de savoirs et compétences de vie, supposant des interactions multiples, la pratique de la coopération, un engagement des élèves et des personnels dans la vie collective de l’établissement et de la cité. Malgré l’existence de cycles couvrant plusieurs années scolaires, l’unité de mesure demeure l’année scolaire : d’une année sur l’autre, on va changer de professeur, et le parcours d’apprentissage ne sera pas marqué par la continuité et une approche spiralaire des savoirs.

Il est frappant de constater que le système une heure, une salle, un professeur, une discipline, une classe est absolument massif, alors que depuis 1985 et le décret instituant les établissements publics locaux d’enseignement, « Les collèges, les lycées, les établissements d'éducation spéciale disposent en matière pédagogique et éducative d'une autonomie qui (…) porte sur : 1° L'organisation de l'établissement en classes et en groupes d'élèves ainsi que les modalités de répartition des élèves ; 2° L'emploi des dotations en heures d'enseignement mis à la disposition de l'établissement ; 3° L'organisation du temps scolaire ; (…) »

Trente sept ans après, l’uniformité de l’émiettement est toujours de mise. Et cet émiettement est aggravé par le développement d’un collège à deux ou trois vitesses : peut-on sérieusement parler d’un collège unique pour tous quand les public accueillis dans les classes sont très majoritairement issus de milieux populaires ou de milieux favorisés ? A l émiettement des temps, des espaces et des savoirs s’ajoute l’émiettement social et culturel, y compris au sein d'un même collège avec des classes à horaires aménagés très étanches selon qu'elles sont destinées à des élèves du conservatoire ou à des élèves d'origine gitane.

Dans d’autres pays, il en va autrement : l’année scolaire est plus étalée dans l’année, les journées scolaires sont moins longues, un temps est prévu dans l’emploi du temps des élèves et des professeurs pour des activités éducatives.

La forme scolaire qui organise la collège français est de plus en plus décalée avec l’ère des transitions dans laquelle nous sommes entrés avec le 21e siècle : face aux transitions climatique, écologique, démographique, énergétique, technologique, ce dont les collégiens ont besoin, c’est de savoirs reliés entre eux, de la conscience d’appartenir solidairement à une humanité respectueuse des autres espèces et d’acquérir, par rapport aux informations qui circulent sur leurs écrans et dans leurs réseaux d’appartenance comme dans leurs familles, un exercice constant de prise de distance critique permettant d’éviter plus sûrement les pièges des dogmatismes et des complotismes.

Prendre conscience de l’inadéquation de l’organisation actuelle du Collège aux objectifs de formation des nouvelles générations pourrait permettre d’éviter le piège dans lequel est tombé de multiples fois le ministère en procédant à des changements cosmétiques qui ne réforment rien sur le fond.

*Ce texte est tiré d'une tribune signée Jean-Pierre VERAN, expert en éducation

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Dernière modification le lundi, 13 février 2023
Figeac Patrick

Proviseur honoraire, bénévole à https://radiobastides.fr/ en Lot-et-Garonne, président d’une association intermédiaire par l’activité économique, auteur. Pour retrouver les chroniques et autres actualités : https://radiobastides.fr/