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Une bonne politique a forcément comme préoccupation majeure le monde qu’une génération laisse aux suivantes. Pourtant, le « sort des générations futures » constitue également l’un des arguments rhétoriques usés jusqu’à la corde par des gouvernements qui cherchent à réduire les dépenses publiques et l’Etat social. Il occupe ainsi aujourd’hui une place centrale dans la justification faite par Elisabeth Borne et ses soutiens de la réforme des retraites."

Si vraiment les nouvelles générations étaient au cœur des préoccupations d’Emmanuel Macron et de son gouvernement comment pourraient-ils se résoudre au sort qui leur est réservé aujourd’hui ? Sans même parler des questions climatiques et environnementales, comment collectivement pouvons-nous accepter que ce soient elles qui payent le plus lourd tribut en matière de pauvreté ?

En effet, faut-il rappeler que les moins de 18 ans connaissent le taux de pauvreté le plus élevé (20,2 % au seuil de 60 % du revenu médian en 2019), suivis juste après par la tranche d’âge 18-29 ans, loin devant toutes les autres.

Précarité des jeunes

Comment nous résoudre à voir perdurer une entrée dans le monde du travail dont la caractéristique centrale est celle de la précarité ? Certes, cela n’est pas nouveau, mais cela rend-il pour autant acceptable un taux de chômage des jeunes 2,5 fois plus élevé chez les 15-24 ans (7 % au troisième trimestre 2023) que dans l’ensemble de la population ?

Les 18-24 ans en emploi sont également plus durement frappés par le chômage partiel ou technique total ; cela a été particulièrement notable lors du premier confinement. Ils vivent donc dans la crainte du chômage ; parmi les 18-29 ans en emploi, 63 % estiment qu’il existe un risque de perte d’emploi dans les mois à venir pour eux-mêmes ou pour un de leurs proches, contre 45 % des 30-59 ans. Et cette peur s’est renforcée puisqu’ils n’étaient que 48 % en 2019.

Mais la précarité pour les jeunes entrés sur le marché du travail ne s’arrête pas au chômage, puisqu’en 2021 seulement 40,6 % des 15 à 24 ans en emploi étaient en CDI (contre 73,7 % pour l’ensemble de la population), quand 21 % d’entre eux étaient en CDD (contre 7,7 %), 5,6 % en intérim (contre 2 %) et 26,7 % en apprentissage ou stages (contre 2,9 %). Enfin, comment tolérons-nous que 12 % des jeunes de 15-29 ans ne soient ni en emploi, ni en formation (les « Neet 1 ») ?

Moins à risque face au Covid-19, les jeunes ont lourdement subi « les contrecoups économiques et sociaux de l’épidémie » et cette dernière s’est traduite par une dégradation forte de leur santé mentale (la prévalence des syndromes dépressifs s’est ainsi accrue chez les jeunes, notamment les 18-24 ans, puisqu’ils touchaient 9,9 % d’entre eux en 2019 et 21,7 % en mai 2020).

La crise sanitaire a par ailleurs servi de révélateur à une autre précarité, en même temps qu’elle l’aggravait : celle que vivent de trop nombreux étudiants. Certes, les étudiants ne forment pas une entité socialement homogène, loin s’en faut, et tout comme il y a des jeunesses, il y a des jeunesses étudiantes. Certes, on le sait, ceux dont les parents appartiennent aux catégories sociales les plus favorisées continuent à être fortement surreprésentés au détriment de ceux issus des catégories sociales plus modestes.

Ainsi en 2021, 34 % des étudiants avaient des parents cadres ou exerçant une profession intellectuelle supérieure (plus de la moitié en classes préparatoire aux grandes écoles – CPGE – , dans les formations d’ingénieurs hors université et dans les écoles normales supérieures), quand ces derniers ne représentent que 24 % des parents des élèves du second degré, et à l’inverse 12 % des étudiants sont enfants d’ouvriers quand ces derniers forment 23 % des parents d’élèves du second degré.

Derrière l’écran du « mérite », la reproduction sociale est au cœur de l’enseignement supérieur. Il n’en reste pas moins que la massification de l’enseignement supérieur (qui a vu passer le nombre d’étudiants de 300 000 en 1960 à 2,97 millions aujourd’hui) se traduit par le fait qu’une grande partie des étudiants ne peuvent pas compter sur leur famille pour financer leurs études.

Un système d’aides insuffisant

Or, le système d’aides est notoirement insuffisant. La plus importante d’entre elles correspond à la bourse d’enseignement supérieur sur critères sociaux, accordée en fonction des ressources et des charges de la famille. Elle comporte huit échelons : le plus bas concerne 32 % des boursiers et donne droit à une aide de 1 084 euros annuels et le plus haut ne bénéficie qu’à 8,1 % des boursiers qui perçoivent alors 5 965 euros pour l’année. Elle concerne un peu plus de 700 000 étudiants, soit 38 % d’entre eux.

Comment, dès lors, s’étonner de voir que de nombreux étudiants cumulent études et emplois, souvent au détriment des premières ? Selon une étude de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE), en 2020, 40 % des étudiants exerçaient une activité rémunérée pendant l’année universitaire Parmi eux, près des trois quarts le faisaient car cela leur était « indispensable pour vivre » et près de la moitié estimaient que cela avait des effets négatifs sur leurs études ou leur bien-être.

La crise Covid et le confinement sont venus aggraver la situation, privant bon nombre d’étudiants de leur emploi et d’une partie de leurs ressources. Au cours de l’été 2020, six étudiants sur dix exerçant une activité rémunérée pour financer leurs études ont été contraints de la réduire, de l’interrompre ou d’en changer. Un cinquième des boursiers et la moitié des étudiants étrangers ont déclaré avoir connu des difficultés financières aggravées. Et près d’un quart des étudiants ont affirmé que leur alimentation a été moins ou beaucoup moins satisfaisante pendant le confinement, 11,3 % d’entre eux déclarant « ne pas toujours manger à leur faim pour des raisons financières ». Ces difficultés financières n’ont pas disparu avec la levée du confinement.

Les réponses apportées aux étudiants par le gouvernement ont été tardives et trop faibles, comme le montre un rapport récent de la Cour des comptes qui juge l’action du gouvernement contre la précarité étudiante « décevante » et « pas à la hauteur des enjeux ». Et l’inflation a à nouveau dégradé la situation. En effet, si les bourses ont été revalorisées à la rentrée 2022, elles ne l’ont été que de 4 % c’est-à-dire nettement moins que l’inflation, en particulier celle sur les biens alimentaires qui composent une grande partie des dépenses des étudiants.

En outre, en ne revalorisant pas les plafonds de revenus utilisés pour calculer les différents échelons des bourses, le gouvernement a fortement diminué le nombre d’étudiants percevant au moins une aide l es deux dernières années (818 257 en 2019-2020, contre 757 429 en 2021-2022). Près de 61 000 ont ainsi été sortis du système d’aides.

Une réforme des bourses devait être présentée en janvier par le gouvernement. Il n’en a rien été. Il est trop occupé à « sauver » le système de retraites des « générations futures », mais probablement faut-il surtout y voir le signe qu’il est conscient que les mesures qu’il devrait proposer ne seront pas en capacité d’améliorer réellement la situation des étudiants et de leur donner enfin les moyens de leur réussite. Aussi, craint-il vraisemblablement de donner aux jeunes d’aujourd’hui des raisons supplémentaires de descendre dans la rue.

Pourtant, comme l’écrivait Camille Peugny récemment, il est temps de mettre en place une allocation d’études universelle, « seul dispositif structurel protecteur qui permettrait de sortir une frange du monde étudiant de l’urgence sociale et qui éviterait aux gouvernements successifs d’improviser des mesures d’urgence laissant prospérer les racines du problème ».

Au-delà, il est même temps de mettre en place un revenu de base ouvert à 18 ans, dégressif avec le revenu d’activité et inconditionnel. Celui proposé par les partis de gauche et qu’Emmanuel Macron a refusé à plusieurs reprises.

Article d'Isabelle HIS SAINT-JEAN  paru dans "Alternatives économiques" le 27 février 2023

Sur Twitter @IThisSaintJean

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Dernière modification le vendredi, 17 mars 2023
Figeac Patrick

Proviseur honoraire, bénévole à https://radiobastides.fr/ en Lot-et-Garonne, président d’une association intermédiaire par l’activité économique, auteur. Pour retrouver les chroniques et autres actualités : https://radiobastides.fr/