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« C’est l’école maternelle, qui est le lien constituant d’une identité. Elle constitue un moment de substitution et d’initiation à la vie sociale. « Aller à l’école » est un aller et retour, et requiert la mise en œuvre substitutive et complémentaire d’expériences. »[i]

« La maitresse frappe dans ses mains et appelle la classe de CE1  …. « Entrez et installez-vous où vous voulez ». Un élève « Bonjour Madame » « Bonjour Justin » « T’es belle Maitresse » « Merci Justin - Allez entre et va choisir ta place ». Un autre élève : « toutou tétete » «  Bonjour Pierre…Entrez…Erwan vient par ici ! » Erwan joue à la guerre, il feint de tirer sur ses camardes avec un pistolet : pan pan pan ! Il vise Lonna »[ii] Pourquoi Lonna ? Et il y a toutes celles et tous ceux qui taisent  …

« La langue, comme marqueur d’identité »[1]

La loi de « L’Ecole de la confiance »[2]  concerne directement le rôle et la fonction de la langue de l’enseignement. Son objectif est « l’apprentissage des savoirs fondamentaux : lire, écrire, compter et respecter autrui ». Au cours de la scolarité grâce aux EPLEI (Etablissements Publics Locaux d’Enseignement International, elle permet d’accéder aux études supérieures et à l’acquisition d’autres langues européennes.

L’article « Multilinguisme et langue de l’enseignement : Particularisme et unité linguistique »[3] pose les questions suivantes à propos de l’application de cette loi.

Prend-t-elle en compte les environnements linguistiques des élèves issus d’une politique d’« immigration de peuplement » qui se substitue à une politique d’ « immigration de travail », suite au décret du 29 avril 1976 et à l’accord de Schengen en 1995 ?

La régularité et la durée de la scolarisation des enfants puis des élèves ne donnent-t-ellet pas le temps d’accueillir leurs cultures linguistiques et les différentes pratiques de leur langue native y compris celles de la langue officielle ?

Les conséquences négatives d’une politique de « submersion linguistique » ne doivent-elles pas être abordées avant que leurs effets mettent des élèves en échec scolaire ? Ce modèle est aussi souvent perçu comme un projet politique qui a pour objectif de soumettre une population à une domination étrangère[4].

Les valeurs apportées par la langue officielle prennent-elles du sens pour le public scolaire quand les pratiques linguistiques de l’environnement sont reconnues ?

Quand le modèle de « la submersion linguistique » est appliqué, il nécessite d’être accompagné d’un véritable projet de bilinguisme[5] pour développer chez l’enfant ses compétences dans les deux langues sinon il provoque de graves dysfonctionnements décrits dans de nombreuses études scientifiques de toutes les disciplines.

« La loi de l’Ecole de la confiance » ne prévoit pas un tel projet qui prendrait en compte la diversité des influences linguistiques des enfants scolarisés à trois ans et la situation géographique qui, exception faite des régions frontalières, ne présente pas la proximité de deux langues. Elle programme l’enseignement des langues comme langues vivantes étrangères en cours de scolarité et principalement dans les structures de l’EPLEI.

Il ne suffit pas de questionner  cette programmation qui ne prend pas en compte les langues natives et les adaptations de la langue officielle comme « objet » au début de la scolarisation, il est nécessaire d’étudier la mise en œuvre d’une nouvelle proposition en  s’appuyant sur des pratiques d’acteurs de terrain, des connaissances en pédagogie, en didactique et sur un design curriculaire, posture réflexive sur l’ingénierie éducative.

En 1985, dans son article « la langue comme marqueur d’identité, »[6]  Jacqueline Billiez remarque que l’approche des linguistes et des sociolinguistes s’était principalement occupée de l’alphabétisation des travailleurs émigrés ; Elle propose une autre approche qui tend à comprendre comment ces populations expriment leur identité en particulier linguistique : « les expressions sont écartelées entre le sentiment « je me sens » et le statut « je suis ». Elles sont révélatrices d’une situation vécue comme inconfortable et des difficultés à s’inscrire dans la société française ... Le français est toujours perçu dans son rôle utilitaire en tant que langue de l’environnement, la langue d’origine au contraire comme le symbole de l’appartenance ».

La question est : comment dès le début de la scolarité dépasser ce clivage entre utilitaire et symbolique ?

En 2012, Jacqueline Billiez s’interroge sur l’évolution des études et de leurs résultats et rapporte une expérience pédagogique : « C’est là qu’en cherchant, nous avons, grâce à Michel Candelier, découvert le courant de Language Awareness, initié Outre-Manche par Eric Hawkins. Dans cette école, on a alors conçu, avec les instituteurs après la classe et le maître algérien qui assurait les cours d’arabe, des activités que les maîtres mettaient en œuvre dans les classes qu’on allait observer. On a alors pris la mesure de l’intérêt manifesté par ces élèves qui réfléchissaient sur les langues, toutes les langues mises sur un pied d’égalité, et des aspects positifs engendrés par ce type d’activités à la fois pour les élèves descendant de la migration et pour les autres ».[7]

L’Accueil des publics scolaires, apprenant/enseignant/parentalité : la question des langues.

En 1999, Daniel Calin[8] montre que la particularité de l’école maternelle n’est pas dans la tradition des techniques de soumission d’inspiration militaire pratiquée dès l’Ecole élémentaire.

Il attribue cette particularité au fait qu’elle n’est pas obligatoire ce qui la situe aux antipodes de l’autoritarisme scolaire. Depuis « la loi sur l’école de la confiance », elle est devenue obligatoire à partir des trois ans, les maitresses de maternelle ont pris le statut de professeur des écoles. De nombreuses études et formations ont contribué à préparer ces professeurs des écoles et les Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) à l’accueil des enfants et des familles ; scolarisés à l’âge de trois ans, les enfants continuent cependant à faire partie du domaine des infirmiers en puériculture tout en étant sous le contrôle du personnel soignant de l’Education Nationale.

La fonction d’accueil est personnalisée en maternelle[9], puis elle devient quotidienne dans les scolarités élémentaires et selon les horaires des cours pendant les études secondaires.

Cet accueil à l’école maternelle met directement en contact les acteurs de terrain avec la parentalité et l’enfant.  Il devient au cours de la scolarité de l’ordre de rencontres avec un personnel de l’Education Nationale spécialisé, directeur, professeur principal, assistante sociale.

Quand la relation d’empathie et d’altérité accompagne tout rapport au savoir, cette rencontre entre apprenant/enseignant/parentalité demeure nécessaire tout au long de la scolarité. Quand l’élève grandit au sein de l’école élémentaire et secondaire, l’accueil collectif consiste en une présentation de l’établissement qui est suivie d’une prise en charge personnalisée par les enseignants lors de l’entrée en classe, il demeure une suite d’actes formels qui restent strictement limitées à la gestion des cohortes d’élèves[10].

La complexité de cet accueil dont chaque élément est représentatif d’un tout, enfant, parentalité, éducatrice(teur) est un moment qui détermine le rapport entre l’enfant et sa persévérance scolaire, entre les parentalités et les institutions[11].

Qu’il soit question de l’école maternelle et des scolarités postérieures, cette fonction d’accueil est le moment où l’identité des élèves doit être reconnues pour qu’ils soient des « élèves-sujets »[12]

Cet accueil se fait dans la langue officielle. Elle va tout au long de la scolarité accompagner l’élève dans son histoire d’apprenant et celle de sa parentalité[13]. Parmi tous les éléments qui constituent l’accueil, elle demeure le repère de l’unité du système scolaire quand les différentes composantes de la scolarisation varient et évoluent. Envisager que le français pratiqué au cours de la scolarité est celui de l’ensemble de la population ne correspond, ni aux études démographiques, ni aux études sociologiques, ni aux études portant sur les pratiques du français.

Le territoire français, espace de passage des flux de la migration, a une histoire politique d’immigration de peuplement qui correspond à l’arrivée de migrants ayant leur propre langue. Une politique d’assimilation tend à minorer ou à imposer une langue officielle à des populations possédant leur propre langue ou pratiquant des dérivées de la langue officielle par exemple le créole, la langue des banlieues[14].

L’abandon d’une politique d’assimilation permet-elle de reconnaître les différentes identités linguistiques ? En les prenant en compte est-il possible de construire une vie collective et un projet de vie sociale qui donne un sens et des valeurs à la langue de l’enseignement qui est l’expression de la langue officielle ?

Cette reconnaissance des identités multiples exprimées par les langues parlées ou entendues a pour finalité un processus de socialisation qui crée collectivement « le vivre ensemble »[15].  Elle nécessite une pratique de l’écoute des autres et une animation de l’auto formation groupale[16]. Ce processus endogène est le contraire d’un processus d’adaptation[17] qui est exogène avec un unique modèle linguistique.

Une continuité, la langue de l’enseignement.

A trois ans[18], le jeune enfant vit dans un environnement le plus souvent éloigné de la pratique linguistique de l’enseignant. Quand il arrive à l’école maternelle[19], d’un côté, il y a la langue de l’enseignement, de l’autre celle de son environnement.

Les travaux de Tobie Nathan puis ceux de Marie Rose Moro et de leurs collègues démontrent l’intérêt de prendre en compte la spécificité culturelle de la famille et la situation transculturelle de l’enfant pour saisir la réalité singulière et complexe qui sera la base de l’intervention clinique[20]. A ce plurilinguisme culturel lié aux migrations, il serait nécessaire de rattacher les divers niveaux d’utilisation de la langue de l’enseignement propres aux conditions sociales et aux situations géographiques sur le territoire. Cette orientation éviterait la perdition culturelle et linguistique que provoque « l’école de la République » quand elle applique une méthode de « submersion à une langue officielle »

Ces temps d’énonciation des langues d’origine familiale des enfants et des utilisations de la langue officielle selon les milieux sociaux et régionaux sont la partie essentielle de cette première rencontre des enfants entre eux et avec les personnes de la maternelle.

Bien que les travaux de l’ethno psychologie soient nécessaires à la conduite de l’animation, l’accueil n’est pas une intervention clinique, il est la rencontre d’enfants et d’adultes. Cette rencontre est une mise en commun des identités de chacun ; la reconnaissance des multiples expressions linguistiques est le début de la construction de relations psycho sociales et de l’utilisation d’une langue commune, celle de l’enseignement. Sa spécificité lui donne un statut qui n’est la propriété d’aucune communauté quel que soit l’origine de l’élève : « N’étant d’aucune appartenance ethnolinguistique, elle seule est censée éviter l’éveil des particularismes [21]». Cette langue de l’enseignement rend possible cet échange qui débute la construction collective du « vivre ensemble » au sein de laquelle les adultes peuvent aussi exprimer leur propre identité linguistique puisque parmi eux certains ont des origines proches ou lointaines liées à la migration mais aussi à des pratiques locales de la langue officielle.

Cette langue officielle qui est la trame sur laquelle s’organise l’enseignement lui assigne-t-on « une mission d’autorité, l’école des devoirs ce qu’il faut faire ou ne pas faire »[22]  ou la considère-t-on comme une utilisation particulière qui ne saurait définir une langue.  

Roland Barthes propose que la langue soit sans fin : « La langue est infinie (sans fin), et de cela il faut tirer les conséquences ; la langue commence avant la langue ; c’est ce que j’ai voulu dire à propos du Japon, en exaltant la communication que j’ai pratiquée là-bas en dehors d’une langue parlée que je ne connais pas, mais dans le bruissement, la respiration émotive de cette langue inconnue »[23]..  Kamel Daoud[24] propose que la langue soit libérée de son usage idéologique.

Ces hypothèses font-elles d’une langue un « objet nouveau »[25] pour la scolarité des générations montantes dés trois ans ?

A suivre : Une langue peut-elle être confinée ?

Professeur Alain Jeannel 

Juin 2020


[i] Franc Morandi, « Enfance et Ecole » in l’Ecole du XXIème siècle coordination de René La Borderie, Nathan Pédagogie, 2000, p.26.

[ii] Gloria Da Queira, Vincent Toujas, Cartable, Histoire extraordinaire d’une classe ordinaire, Les éditions Cliffhanger, 2018, p.9.

[1] https://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_1985_num_1_2_982

La langue comme marqueur d'identité [article] Jacqueline Billiez ,

Revue Européenne des Migrations Internationales  Année 1985  1-2  pp. 95-105

Fait partie d'un numéro thématique : Générations nouvelles

[2] JORF n°0174 du 28 juillet 2019 texte n° 3. LOI n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance (1) NOR: MENX1828765L.

Article 14 · ‎Article 32 · ‎Article 38 · ‎Article 44

[3] Suite de l’article, « l’enseignant et la langue de l’enseignement » Educavox 9 mars 2020.

[4] Lanly A., « Le français dans les « colonies » et les territoires français » » in Histoire la langue française 1880-1914, CNRS édition 1999, pp. 397-413.

[5] Valérie Gros, Promotrice Nathalie Gervers, L’enseignement en submersion « Pourquoi l’enseignement par submersion attire-t-il tant d’enfants francophones dans les écoles néerlandophones du fondamental jusqu’au secondaire //Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.">Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. , année académique 2016-2017

[6] https://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_1985_num_1_2_982

La langue comme marqueur d'identité [article] Jacqueline Billiez

Revue Européenne des Migrations Internationales  Année 1985  1-2  pp. 95-105

Fait partie d'un numéro thématique : Générations nouvelles

[7] http://www.cahiersdugepe.fr/index.php?id=2167#citation

BILLIEZ, Jacqueline, 2012, « Plurilinguismes des descendants de migrants et école : évolution des recherches et des actions didactiques », Les Cahiers du GEPE, N°4/ 2012. Les langues des enfants ‘issus de l’immigration’ dans le champ éducatif français, Strasbourg : Presses universitaires de Strasbourg, URL : http://www.cahiersdugepe.fr/index.php?id=2167

[8] dcalin.fr › textes › accueil

[9] AGEM et « la quinzaine des maternelle » écrit par An@é, Educavox,01 2018

[10] L’entrée de l’enseignant dans la salle de cours n’est jamais simple et chacun l’organise suivant cet instant dont il faut abréagir les doutes.

[11] Alain Jeannel

[12]www.meirieu.com › ARTICLES › eleve-sujet

[13] Marie-Rose Moro, « Comment assurer le bien-être et le développement de tous les enfants dans les milieux d’accueil et d’éducation » in BIEN-ÊTRE DES JEUNES ENFANTS DANS L’ACCUEIL ET L’ÉDUCATION EN FRANCE ET AILLEURS Actes du colloque organisé les 10 et 11 octobre 2011, à Paris, par la Direction de la recherche des études, de l’évaluation et des statistiques et le Centre d’analyse stratégique .pp46-47

[14] Culture « banlieues », langue des « cités » et Internet | Cairn ...

www.cairn.info › revue-hermes-la-revue-2015-1-page-..

[15] Le commun et le singulier Meirieu.

[16] Pierre De Visscher, « Un consruct égaré : celui de la dynamique de groupe » in  Cahiers internationaux de psychologie sociale 2006,n°70 pp. 53 61.

[17] Barbara Stiegler, « Il faut s’adapter » : sur un nouvel impératif politique, Gallimard, 2019.

[18] La loi pour une École de la confiance a été promulguée au Journal Officiel le 28 juillet 2019. Abaissement de l'instruction obligatoire à l'âge de 3 ans,

[19] L’école primaire en France, rapport au Haut Conseil de l’Education, Agnès Florin, 30 octobre 2006 - 15 janvier 2007.

[20] Unité INSERM 1178 la Maison des adolescents de Cochin en collaboration, Paris Descartes et Paris 13

[21] Diallo M. Lamarana Petty, Enjeux et avatars de l’enseignement du français en République de Guinée : contexte historique, aspects pédagogiques et perspective de rénovation, ATRT, Université Lille 3, Bordeaux 1991.

Alain Jeannel, « l’enseignant et la langue de l’enseignement » Educavox 9 mars 2020.

[22]L’invité du matin : Kamel Daoud : Esprit critique, France culture, 17/02/2017.

[23] Roland Barthes, « Digressions, Langue. » in Essais critiques IV, Le bruissement de la langue, Edts Le seuil, 1984, p.88

[24] L’invité du matin : Kamel Daoud : Esprit critique, France culture, 17/02/2017.

[25] Roland Barthes, « Jeunes chercheurs » in Essais critiques IV, Le bruissement de la langue, Edts Le seuil, 1984, p.100.

POUR CITER CE DOCUMENT : Alain Jeannel Auteur EDUCAVOX Savoir accueillir et plurilinguisme

Dernière modification le mardi, 06 octobre 2020
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.