Vous proposez une méthode et des outils pour mener des ateliers philo avec des enfants de 4 à 6 ans. Ne sont-ils pas trop jeunes pour « philosopher » ?
Nous sommes persuadées que non et notre pratique dans les classes depuis plus de sept ans continue de renforcer cette conviction. Nous affirmons qu’il n’est jamais trop tôt pour philosopher ; Kant, Diderot, Montaigne ou Épicure le pensaient déjà ! Pendant longtemps, on a cru que les enfants étaient trop jeunes pour réfléchir sans connaissances suffisantes ou langage adéquat. Cette conception de l’enfance a évolué. On sait aujourd’hui qu’engager nos élèves dès le plus jeune âge, c’est à la fois possible, bénéfique et même nécessaire. Les enfants petits sont friands de questionnement. Ils se posent des questions philosophiques et se passionnent très tôt pour les échanges, surtout quand il s’agit de ces questions fondamentales qui interrogent « les grands » depuis toujours. Leur permettre de se saisir de leurs interrogations métaphysiques comme : « Peut-on être amoureux de sa maman ? », « Où va-t-on après la mort ? », « Pourquoi on a peur ? » les aidera à mieux comprendre le monde qui les entoure, à s’y positionner et de fait à y vivre mieux.
Il s’agit de permettre à l’enfant de prendre conscience de sa pensée, de ses idées en les échangeant, confrontant aux idées des autres pour devenir un citoyen éclairé et responsable. Plus on commence tôt, mieux c’est. Leur proposer une activité pour éveiller leur pensée réflexive et leur donner goût de la réflexion, les initier à une pensée raisonnée, c’est leur permettre d’apprendre à raisonner, et c’est le rôle de l’école pour une égalité des chances. Pour ce qui est des capacités langagières, l’observation des postures et attitudes de nos élèves lors des échanges nous a montré que l’enfant réfléchit, s’interroge avant même de mettre en mots sa pensée. On le voit faire la moue, ouvrir les yeux, se pencher vers celui qui parle, manifester un désaccord, tous ces petits gestes qui quelques fois nous inquiètent mais qui rappellent que le corps est le premier acteur.
Cette activité avec ses pairs l’encourage à prendre la parole, l’oblige à préciser ou définir, le motive à essayer de mieux se faire comprendre, il y développe de fait son langage. Pendant les ateliers philo, on entend toujours des élèves habituellement silencieux. La philosophie avec les enfants existe depuis plus de 40 ans. Elle continue à se développer et connaît une popularité croissante. Elle est même enseignée dès la petite classe au Canada, en Belgique ou au Brésil. Sa légitimité se retrouve aussi dans les programmes actuels et à venir. Celles et ceux qui s’y engagent y trouvent un écho aux nombreuses questions posées par l’enseignement en primaire : Comment favoriser l’apprentissage ? Quel sens lui donner dans notre classe ? Peut-on aider les enfants à se construire citoyen et à mieux vivre ensemble ? Mais il ne faut pas oublier que l’enfant ne peut apprendre à philosopher que si on lui donne des outils pour entrer dans une posture réflexive, que si l’on développe avec rigueur ses aptitudes indispensables au philosopher comme savoir argumenter, justifier, définir. Cadre, supports, objectifs doivent se retrouver dans une méthode spécifique, adaptée à leur âge, ce que l’on a essayé de proposer dans notre mallette.
Qu’est-ce que cela peut apporter aux élèves de cycle 2 de pratiquer de tels ateliers ? Et à l’enseignant ?
Cette pratique transforme à la fois la relation élèves/enseignant mais aussi celle d’élève/apprentissage : elle donne une nouvelle dimension à l’enseignement en faisant sens et mettant l’enfant au cœur de son apprentissage. Considérer l’élève comme « un interlocuteur valable » lui permet d’avoir un autre regard sur ce qu’il est, de se sentir capable et reconnu. Il n’y a plus la bonne réponse unique et juste, attendue par l’enseignant, puisque chaque réflexion est intéressante si elle se justifie et s’argumente. L’élève n’a plus à avoir peur de l’échec donc d’apprendre, il prend ou reprend confiance en lui et ne voit plus l’apprentissage comme un jeu gagnant/perdant.
Accorder de l’importance à la pensée autonome engage l’enfant à ne plus dire ce qu’il pense mais à penser ce qu’il dit. Pour l’élève, les apports de cette pratique sont tout autant des compétences, des aptitudes d’ordre didactique, cognitif ou social. Vous pourrez les retrouver détaillés dans le guide pédagogique de la mallette, mais si nous avions à en retenir quelques-uns qui font sens pour l’enfant : mieux se connaître, savoir dire pourquoi on affirme une idée, comprendre qu’il existe des idées différentes qui se valent, accepter les idées des autres, être capable de définir les mots utilisés, prendre le temps de la réflexion avant d’affirmer, partager ses idées, questionner les énoncés de ses pairs, exercer son esprit critique, s’engager dans des choix, avoir une opinion…
Autant d’attitudes qui peuvent aider l’enfant « à grandir en humanité dans un monde où la réflexion est plus que jamais nécessaire à la sagesse et au bonheur ».
Pendant un atelier philo, il se passe quelque chose de différent et d’important. Pour l’enseignant, c’est souvent une belle surprise : l’étonnement devant un enfant qui prend pour la première fois la parole en groupe, la profondeur d’un propos ou d’une idée, la capacité d’écoute ou le temps possible d’attente de prise de parole. La mise en place de ces ateliers change
aussi le regard porté sur le groupe, sur l’élève et sur ses compétences. C’est une valorisation qui dynamise notre enseignement.
Quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui voudrait se lancer dans les ateliers philo ?
Du côté des conseils, vous en trouverez tout au long de la présentation de notre méthode, en voici quelques-uns en avant-goût : en avoir envie avant même d’en être convaincu, oser se lancer en s’appuyant sur des outils, ressources, se faire confiance tout en ne restant pas seul, persévérer en dépassant les « grands moments de solitude », prendre le temps tout en étant régulier dans la pratique (ni trop ni trop peu), autoriser les temps de silence, se fixer un cadre ritualisé qui rassure, apprécier et mettre en avant les moments intéressants, accepter d’être bousculé, faire confiance à l’enfant et à sa parole. Quelques pièges dans lesquels ne pas tomber : engager un atelier sans préparation, monopoliser la parole, donner son avis ou placer un propos moralisateur, attendre ou valoriser une proposition qui nous convient, donner la parole aux mêmes enfants, éviter l’enfant qui a un langage difficile. Bon voyage au pays de la philosophie !
Publié sur le site : http://www.bayardeducation.com/article/pourquoi-et-comment-mener-des-ateliers-philo.html
Par Isabelle Duflocq