Pour les moins qualifiés, cela consistait avant tout à trouver une situation dans laquelle s’établir. Pour les autres, une qualification ou un diplôme fléchaient naturellement l’accès à un emploi tandis que la mobilité professionnelle n’était pas la norme. Concrètement, le système de formation initiale était le premier pas d’un long chemin sur lequel la formation continue était l’exception qui confirme la règle. L’ambition de la loi Delors du 16 juillet 1971 sur la formation professionnelle exprimait la vision de la “Nouvelle Société” et marquait une première impulsion contre l’immobilisme social qui caractérisait la France des Trente Glorieuses.
Le monde d’hier s’était ainsi construit dans une dynamique centrée sur l’offre de formation et d’emploi dans laquelle l’individu se repérait relativement simplement et s’inscrivait généralement dans un sillon tracé.
Les mutations de la structure de la population active ont largement fait évoluer cette logique. La part des actifs du secteur tertiaire augmentant alors que la société agricole continuait de se réduire. L’acmé des effectifs ouvriers des années 1970 allait quant à lui laisser place à un vaste mouvement de recomposition de cette catégorie socio-professionnelle. Dans ce contexte, l’action de l’Etat et des partenaires sociaux a conduit à une mise en oeuvre d’une politique de formation professionnelle volontariste. Néanmoins, ses effets n’ont pas permis d’être toujours au rendez-vous des enjeux induits par ces mutations: apparition du chômage de masse, avènement de la mondialisation et plus globalement évolution toujours accélérée des métiers et des besoins des entreprises et des nouvelles technologies.
La Formation Tout au Long de la Vie : entre velléité et incantation
L’émergence d’une logique de formation continue s’est donc imposée au travers de l’action de l’Etat et des partenaires sociaux avec une forme de cristallisation sur certaines catégories d’actifs. Ainsi, la problématique de l’insertion vers l’emploi de la jeunesse a-t-elle fait l’objet d’un accompagnement toujours plus accru depuis le début des années 1980. De la même manière, le développement d’une politique volontariste pour aider à la reconversion économique d’actifs ayant perdu leur emploi a aussi largement été mis en lumière par la profusion des dispositifs déployés.
Il n’est que de citer ce propos du livre blanc sur la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE), qui demeure aujourd’hui d’actualité de manière criante : “ Développer la validation des acquis, ce n’est pas donner des titres à tout le monde, c’est avant tout mettre en place les outils qui permettent à chacun de faire, quand il le souhaitera, le point sur l’état de ses compétences, d’élaborer son projet professionnel et de construire son parcours de formation.”
La révolution de l’approche est donc “copernicienne”. Elle engage l’ensemble du système à se réinventer pour mettre l’individu en son cœur et lui permettre de se développer tout au long de la vie. Quinze ans après la publication de ce livre blanc, la mise en oeuvre du premier Compte Personnel de Formation, dans le cadre de la loi du 5 mars 2014, répondait presque en écho à la volonté du système éducatif de mettre en place les Parcours éducatifs. Cette disposition consacrait alors la nécessité, dès les bornes de la formation initiale, d’accompagner encore davantage l’individualisation des parcours des élèves avec la Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République (2013).
Data et pouvoir d’agir
Dans ce contexte, la donnée sur les parcours de formation et les parcours professionnels change la donne. Elle permet d’éclairer la diversité des trajectoires possibles. Elle est aussi une ressource pour anticiper au travers des traces et des signaux faibles les évolutions à l’oeuvre.
La donnée de chacun peut parler à tous et engager l’individu vers une appropriation de son parcours de formation et de sa trajectoire professionnelle. Elle offre ainsi aux individus l’opportunité de se projeter dans la réalité des possibles. La dimension normative des catalogues de formation et des titres ou diplômes ne s’efface pas mais elle vient s’inscrire dans la diversité et la multiplicité des trajectoires.
Dès lors, la capacité à cartographier ce nouveau monde de la donnée devient un enjeu de premier ordre afin de permettre aux individus de se repérer et de se saisir des millions de sillons creusés par ceux qui les ont précédés. Nous portons la conviction chez Humanroads que la data est un levier pour tenir la promesse d’une formation tout au long de la vie. Elle est un moyen pour aider à penser les choix qui s’offrent à chacun, par delà les lignes évidentes qui demeurent prégnantes dans les représentations. La data permet de prouver la réalité des choix possibles. Dans un régime de rareté des emplois et de complexité de l’environnement des métiers et des compétences, le risque est grand de laisser sur le bord du chemin les moins pourvus d’entre nous en compétences ou en diplômes. La data constitue un moyen pour que l’ambition d’une individualisation des projets professionnels ne reste pas lettre morte.
Bien entendu, la data comme pouvoir d’agir n’est pas une formule magique qui révélerait le futur de chacun. Elle doit s’inscrire dans la pratique d’accompagnement des bénéficiaires des politiques publiques et des actions des acteurs associatifs. Nous aurons l’occasion de revenir sur l’enjeu, peut-être le plus important, du défi d’une formation tout au long de la vie pour chacun : la médiation humaine et les outils à son service.
Christophe Herlory
https://medium.com/@humanroads/data-et-formation-la-révolution-copernicienne-e2256358b745