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La voie dorée de l’autoformation, du socioconstructivisme et de la formule hybride - Des données de Wikipedia de 2011 chiffraient le nombre de blogues, cybercarnets ou jouebs à 156 millions. Toutefois, la blogosphère comprend de nombreux blogues inactifs, ou carrément abandonnés de leurs auteurs qui, dans certains cas, choisissent d’en redémarrer un nouveau sur des bases différentes.

Cette perte s’expliquerait par le faible taux de rétroaction des lecteurs, ou davantage par l’incapacité de beaucoup de blogueurs à produire des textes avec régularité, un point de vue que devrait partager L. Audet, (2010).

 

Pourtant, le blogging est une aventure des plus instructives.

 

Chaque article exige de la recherche d’informations et des efforts de réflexion apparentée au rôle de praticien chercheur de la méthode de recherche action systémique (RAIS) du professeur André Morin (2010). De texte en texte, le rédacteur acquiert une expertise dans un ou plusieurs domaines d’activités, suivant en cela une approche constructiviste. Du point de vue social, et même professionnel, il établit généralement de beaux échanges avec d’autres passionnés ; et ce, tant sur le plan national qu’international.

 

Bloguer est donc la clé dorée qui ouvre les portes de la pensée, mais aussi celles de rencontres sociales insoupçonnées dans une démarche axée sur l’autoformation. Mais de quelle manière peut-on inviter les élèves sur ce sentier de l’apprentissage et de l’autonomie ? Pour y voir plus clair, nous aurons besoin d’une typologie des blogues et d’une réflexion de données de nature technopédagogique.

 

1- Vers une typologie des blogues

 

Cardon, D. et H. Delaunay-Téterel (2006) ont établi une typologie de blogues comprenant les quatre catégories suivantes : 1) Ego et le monde : le partage des intériorités ; 2) la conversation continue : un entre-soi devant les autres ; 3) le recrutement des pairs : amateurisme, réputation, professionnalisme et 4) L’énonciation citoyenne : distanciation, discussion et critique. Chacune de ces catégories se différencie par un rapport au social allant de l’expression de l’univers intime de l’auteur à des thématiques citoyennes.

 

1- Ego et le monde, le partage des intériorités :

dans cette catégorie, le blogueur agit plutôt en solitaire, empruntant un style littéraire des plus personnels pour exprimer son intériorité et considérant le blogue comme une forme de journal intime.

 

2- La conversation continue, un entre-soi devant les autres :

populaire chez les adolescents et les jeunes adultes, ce deuxième type de blogues serait surtout une manière de maintenir le contact avec des proches. Le rédacteur éviterait volontiers certains thèmes et des formulations qui froisseraient les autres membres de la petite communauté. Il y dresserait ses expériences de voyages ou ses démarches de recherche d’emploi, etc. et établirait une communication écrite avec ses lecteurs.

 

3- Le recrutement des pairs, amateurisme, réputation, professionnalisme :

d’un ton beaucoup moins intime ou personnel que dans les deux premières catégories, le blogueur cultive ici une passion pour un sport ou un artiste, etc., publie des textes et des documents dans l’espoir de faire des échanges avec des inconnus qui partagent ses intérêts.

 

4- L’énonciation citoyenne : distanciation, discussion et critique :

Cette quatrième catégorie de blogueurs caractérise ceux qui emploient le blogue comme outil de transmission de savoirs, ou de propositions d’éditoriaux ; ou encore, nous ajouterons, à des fins promotionnelles. Les textes y sont travaillés avec un effort de professionnalisme, tout en conservant une dimension subjective propre au domaine du blogue. Ce travail ne constitue pas pour autant le gagne-pain de l’auteur. C’est le cas des blogues d’experts comme ceux des professeurs d’université, des directeurs de banque, des psychiatres, etc. L. Audet (2010) ajoute à cette liste ceux des journalistes et autres spécialistes des médias et des technologies.

 

Grilo, M. R. et N. Pélissier (2006) ont identifié un type de blogue citoyen, par lequel des intellectuels vont même jusqu’à former des communautés assumant un rôle de chien de garde de la société plus fort que celui de la presse traditionnelle. Très populaire au Portugal, cette pratique existerait déjà du côté des États-Unis, où des journalistes feraient preuve d’une sévère autocritique.

 

 2- Le blogue éducatif

 

Cette ébauche de typologie des blogues nous semble utile pour établir les paramètres d’une activité éducative. Par exemple, il est clair que les deux premières catégories répondent mieux aux intérêts des élèves les plus jeunes, comme le laisse entendre Cédric Fluckiger (2006) dans son étude sur l’appropriation des blogues par des groupes de collégiens en Europe. L’outil répondrait bien également à des besoins éducatifs reliés à la rédaction de textes en langues ou en poésie. Avec des élèves moins à l’aise avec le programme scolaire, les durs, le troisième type de blogue pourrait constituer une source de motivation en les amenant à exploiter des passions personnelles, totalement déconnectées du programme scolaire.

 

En revanche, nous imaginons facilement la tenue d’un blogue citoyen avec des élèves plus âgés dans le cadre de cours de philosophie ou de sciences sociales.

 

Mais pourquoi faire la promotion du blogue et non d’une autre technologie ? L’enquête de Brigitte Vandal (2006) apporte à cette question quelques éléments de réponses de nature technopédagogique.

 

- Sur le plan technique

 

Pour le professeur et pour l’élève, il s’agit de l’outil par excellence d’initiation à l’usage pédagogique des technologies de l’information et de l’éducation en éducation (TICE) du fait de certaines caractéristiques appréciables : simplicité, rapidité, interactivité, interconnectivité et gratuité.

 

- Sur le plan pédagogique

 

Selon L. Audet (2010) et B. Vandal (2006), le blogue favorise particulièrement l’expression personnelle et la socialisation ; en combinant les informations des deux auteures, nous en arrivons au descriptif suivant :

 

  • même les élèves les plus timides sont encouragés à écrire sur une base régulière : la tenue d’un carnet de voyage ou un journal de bord, par exemple ;
  • la collaboration et l’entraide dans des projets, même de nature interculturelle et internationale, et la diffusion des travaux scolaires ;
  • l’engagement dans une réflexion métacognitive et l’organisation de l’information ;
  • la croissance personnelle : l’élève apprend à mieux se connaître, développe sa force de caractère et son sens de l’argumentation en réagissant aux commentaires des lecteurs, notamment.

 

La diffusion régulière de textes sur le Web procurerait aussi à l’élève le sentiment de pouvoir influencer le monde.

 

 3- L’utilisation pédagogique du blogue

 

Madame Vandal énumère trois types d’usage pédagogique du blogue : 1) le blogue professeur ; 2) le blogue classe et 3) le blogue élève.

 

- Le blogue professeur

 

Le blogue professeur peut être de nature personnelle ou collaborative, et faire partie d’une blogosphère institutionnelle ou interinstitutionnelle en devenant un membre actif d’une communauté de pratique. Le professeur y est amené, à assurer une veille pédagogique, à proposer des ressources pédagogiques, à suivre des projets de recherche, et même à réfléchir sur sa pratique professionnelle tout en améliorant ses propres habiletés d’écriture. Audet (2010) y voit aussi des avantages sur le plan de l’humanisation et de la personnalisation : le professeur se fait mieux connaître, comme personne à part entière, de ses pairs ou de ses élèves.

 

Il peut aussi y commenter les travaux de ses élèves, les évaluer, et fournir à ceux-ci des activités complémentaires, intégrant, souvent sans le savoir, des modes de formation en présentiel et à distance dans une formule hybride.

 

- Le blogue classe

 

Par ailleurs, le blogue classe sert à soutenir le travail collaboratif des élèves ou le projet de la classe, comme dans le cas d’une correspondance entre des écoles. Ce type de blogue peut aussi servir de prétexte à l’enseignement des TICE aux élèves, ou juste offrir à ceux-ci l’occasion de vivre une expérience sociale, cimentant ainsi un climat d’équipe au sein du groupe. Dans des cours de langues, des billets peuvent être présentés sous forme de jeux ou de défis à relever en classe ou à distance.

 

- Le blogue élève

 

L’élève peut être encouragé à tenir un blogue uniquement par plaisir d’écrire, sachant que la recherche de commentaires est loin de constituer l’unique source de rétroaction sur ses écrits. L’auteur peut, par exemple, recevoir des commentaires verbaux des proches, ou des clins d’œil sur Facebook  ; voir ses permaliens circuler sur Twitter, ou découvrir qu’on le cite sur un autre site Web. À moins qu’il ne change radicalement de paradigme et qu’il ne décide de se créer un réseau de blogueurs dans une approche beaucoup plus sociale ; dans lequel cas il devra se plier aux règles d’écriture de sa communauté, perdant ainsi en termes de liberté : se limiter à des sujets de la vie quotidienne, n’écrire que des phrases courtes, etc., sans compter la nécessité de consacrer du temps à l’échange de commentaires dans les autres blogues de sa communauté.

 

D’une manière ou d’une autre, la pratique du blogue permet au blogueur de se constituer graduellement un portfolio facilement accessible par d’éventuels collaborateurs ou employeurs, un point de vue que pourrait vraisemblablement partager l’entrepreneure Kim Auclair qui insistait le 15 mars dernier, dans le journal Les affaires.com, sur l’importance pour les entrepreneurs de se faire connaître par le biais des activités du Web 2.0.

 

En contexte strictement scolaire, il s’agit aussi d’une méthode pour la réalisation de travaux d’équipe ou de devoirs individuels, qui pourront servir à la constitution d’un portfolio électronique à des fins évaluatives. Puisqu’il permet de conserver une trace de tous les écrits, le blogue est l’outil par excellence pour la réflexion qui mène l’élève sur la voie de l’autoévaluation et de l’autoformation.

 

Conclusion

 

La tenue d’un blogue est une activité exigeante, puisqu’il s’agit d’un acte d’écriture, qui peut être complexe et qui doit être reproduit avec régularité pendant des mois, voire des années. A la longue, les apprentissages réalisés transforment l’écrivaillon d’un jour en véritable expert, recherché et apprécié d’un public donné. À l’école, il s’agit d’un exercice qui initie l’élève aux règles de base de l’autoformation, de la collaboration et de la coconstruction de savoirs, et l’enseignant ou le professeur à celles d’une formule pédagogique hybride intégrant avec facilité des TICE dans un contexte plus naturel.

 

Je conclurai en affirmant avec Brigitte Vandal que l’emploi éducatif du blogue est voué à un grand avenir ; mais, j’ajouterai, à la condition de passer à l’action et de lui accorder une place de choix dans le dispositif éducatif.

 

Référence :

Auclair, K (2012), 5 avantages pour un entrepreneur d’être sur les médias sociaux. les affaires.com

Audet, L (2010) Wikis, blogues et Web 2.0 Opportunités et impacts pour la formation à distance, Document préparé pour le Réseau d’enseignement francophone à distance du Canada (REFAD)

Cardon, D. et H. Delaunay-Téterel (2006) La production de soi comme technique relationnelle. Un essai de typologie des blogs par leurs publics, La Découverte | Réseaux 4 - no 138, pages 15 à 71

Fluckiger, C.(2006), La sociabilité juvénile réinventée. L’appropriation des blogs dans un groupe de collégiens, La Découverte | Réseaux, 4 - no 138, pages 109 à 138

Grilo M. R. et N. Pélissier (2006), La blogosphère, un cinquième pouvoir ? Critique du journalisme et reconfiguration de l’espace public au Portugal, La Découverte | Réseaux, 4 - no 138, pages 159 à 184

Morin, A (2010). Cheminer ensemble dans la réalité complexe. La recherche-action intégrale et systémique (RAIS). L’Harmattan, collection Recherche-action en pratiques sociales.

Renaud, L. (en cours depuis 2010) Le blogue de Luc R ; http://lebloguedelucr.com

Vandal B (2006). Blogues et éducation – Tour d’horizon. Clic Bulletin collégial des technologies de l’information et de la communication,Numéro 61, http://clic.ntic.org/cgi-bin/aff.pl?page=article&id=1001

Wikipedia, Blogue : http://fr.wikipedia.org/wiki/Blog.Visité le 15 mars 2012

Texte : Luc Renaud, M.A. Sciences de l’éducation

Renaud Luc

Luc Renaud est spécialisé en technologie éducationnelle et enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Détenteur d’une maitrise en éducation, il a aussi été chargé de cours à l’Université de Montréal dans le domaine de l’intégration pédagogique des TIC, et a participé à des projets de recherche portant sur la formule hybride et le socioconstructivisme. Il possède également une solide expertise en développement et expérimentation de formations en ligne et s’intéresse vivement à la collaboration internationale. 
Mal à l’aise dans le milieu scolaire, il croit à une remise en question continuelle de l’école ; il tient d’ailleurs un blogue, L’éduc-acteur, le Blogue de Luc Renaud, sur des thèmes variés, qui mettent de l’avant l’importance de l’autoformation.
Il est aussi entrepreneur, ayant démarré récemment une entreprise de consultant en technologie éducationnelle, La boîte à idées E.T.L.R. Ideas Boxdans la région de Montréal.


Montréal, Québec (Canada)