Nombre d’Environnements Numériques de Travail, à l’origine liés au monde universitaire, ont évolué comme hubs modernes de collaboration. Nous y retrouvons des fonctionnalités aujourd’hui classiques qui, comme sur Microsoft Teams, illustrent l’essentiel des besoins d’un télétravailleur : conversations, documents, planification, appels et documentation interne.
Ces digital workplaces, définies par Forbes ou encore Blendeez, visent à favoriser l’interactivité et offrir à l’utilisateur « le même confort que son bureau, partout et avec les mêmes exigences de sécurité et de confidentialité ».
Une forte dématérialisation des données et des outils pousse les plateformes à se transformer pour devenir de véritables couteaux suisses. Nombreuses sont celles qui se calquent sur le modèle Software as a Service, où les logiciels sont directement hébergés par le prestataire de services (comme Microsoft fournit Teams depuis ses serveurs).
Mais cette dématérialisation rompt la proximité de l’accès à l’information et à l’échange avec les collaborateurs du travailleur nomade. L’objectif semble donc de lui permettre de mieux échanger avec son équipe, dans un environnement qui concentre tous les outils utiles à ses tâches quotidiennes.
Des flux de travail au service de l'organisation
Au sein de l’entreprise éparse se pose la question de la gestion de l’information. La mise en place d’outils permet la création de systèmes dédiés à l’édition, au stockage et à la distribution des données utiles aux tâches du travailleur.
Regrouper les informations par le No code
Les services numériques innovent pour automatiser l’accès à l’information. L’émergence des applications intégrées permet à tous de concevoir des solutions personnalisées pour le travail. Elles surfent sur la vague dite du “no code”, où des services offrent de nombreux usages avancés d’Internet, comme « construire son propre site web sans une seule ligne de code ».
Slack propose, au-delà des discussions traditionnelles, de lier des outils externes qui s’intègrent à ces échanges à l’écrit. À l’instar des Zoom Apps, récemment déployées par l’entreprise du même nom, des extensions vont récupérer de l’information depuis des solutions dédiées diverses pour créer un système de travail fluide. Le travailleur peut alors être notifié de nouvelles tâches ou de modifications dans des documents collaboratifs.
Atlassian, qui propose une suite complète de logiciels destinés à la gestion de projets, fournit des intégrations très populaires au sein de la tech. Le 4 juin 2021, Tristan Ouin, PDG France d’Atlassian, déclarait chez InformatiqueNews que « la crise [sanitaire] a accéléré l’adoption de [leurs] produits et de [leur] approche collaborative.
Discord, à l’origine plébiscité par le monde du jeu vidéo, permet depuis 2015 à ses 7,9 millions de visiteurs uniques mensuels (Médiamétrie) de créer et d’utiliser des bots chargés de répondre à des commandes et exécuter des tâches précises. La plateforme permettra dès le printemps 2022 de découvrir plus facilement de nouveaux bots via un moteur de recherche dédié.
Les intégrations no code permettent donc d’agréger des données pour en faciliter l’accès auprès de multiples corps de métiers. Notion, qui a récemment dévoilé sa version française, se présente comme un de ces outils permettant collaboration et productivité. Sa spécificité est qu’il se veut tout-en-un, puisqu’il est notamment basé sur la personnalisation et l’utilisation d’intégrations qu’il est possible de concevoir soi-même. Aussi, les utilisateurs peuvent utiliser des pages préfabriquées (appelées templates ou modèles), voire en créer et les proposer à la communauté.
Interconnecter le monde professionnel
Travailler depuis chez soi implique également d’échanger avec ses collaborateurs quasi-exclusivement qu’au travers d’outils numériques. Google Meet, très utilisé pour discuter à distance en visioconférence, teste le sous-titrage en direct des conversations, dans un objectif très clair de rapprocher les équipes à l’échelle internationale.
Les réseaux sociaux conçus pour le travail cherchent aussi à permettre la construction de relations professionnelles. LinkedIn, facilitant la veille concurrentielle, la communication business to business et les appels à projets, repose sur un aspect social qui se veut pilier de l’expérience de la plateforme. L’utilisateur peut notamment consulter son Social Selling Index, outil qui lui fournit plusieurs indicateurs (comme Trouver les bonnes personnes ou Établir des relations) pour améliorer son profil en vue de construire de meilleures relations professionnelles.
Des applications plus concrètes existent et visent à permettre un échange direct et simplifié. Slack a récemment enrichi sa fonctionnalité Connect, une passerelle pour rapprocher les professionnels d’entreprises différentes. La fonctionnalité permet d’interagir sur l’espace de l’entreprise B avec son compte de l’espace privé de l’entreprise A, et donc de faciliter de futures collaborations sans impliquer de rencontres physiques.
Conserver une proximité avec ses collaborateurs est un objectif primordial pour travailler sainement et sereinement. Une des clefs pour stimuler le contact semble être l’échange informel via l’oralisation. Slack propose de simuler des salles de réunion physiques avec les huddles (des salons vocaux greffés aux canaux écrits) dans lesquels il est possible de se connecter et de notifier ses collègues de sa présence.
Dans un registre similaire, les salons vocaux de Discord permettent de reproduire ces salles physiques : SuperForge a, par exemple, entièrement dématérialisé son open space. D’autres types de salons, comme les stage channels, permettent de mieux animer des réunions à effectif important : inspirés de Clubhouse, une application de webinaires, un animateur peut donner la parole à un participant en le faisant « venir sur scène ».
Le ludique au coeur de l'équipe connectée
Le télétravail, devenu une pratique à part entière, peut isoler les travailleurs ayant besoin de conserver un lien social fort. De nouveaux outils émergent alors pour accroître les interactions digitales en temps réel au sein d’une équipe.
Rendre interactives les pratiques de travail
Les tableaux blancs interactifs viennent réinventer les échanges directs d’idées entre collègues. L’idée paraît simple, le fonctionnement l’est tout autant : une page vierge est partagée au sein d’une équipe et est proposée pour édition.
Sur Tangle, il est possible pour chaque collaborateur de créer des annotations sur l’espace partagé. Le fonctionnement invite le participant à reproduire les mêmes mouvements que le nécessite le traditionnel pense-bête du bureau, sur lequel l’idée est écrite et ensuite épinglée sur le tableau collaboratif. Imaginée pour les personnalités créatives, la plateforme permet d’afficher la caméra de l’utilisateur et d’importer des images, ces deux fonctionnalités étant ensuite converties en « blocs » à déplacer et organiser librement comme des post-it.
Google Jamboard est un autre exemple de tableau blanc interactif. Faisant partie de la populaire suite Google Workspace pour les professionnels, décrite comme “le futur du travail” par le Guardian, le journal explique notamment l’avoir utilisé pour faciliter les sessions de réunions brainstorming de son équipe. L’outil propose des fonctionnalités avancées pour le dessin, dont une intelligence artificielle capable de produire des visuels à partir de croquis à main levée.
Le tableau blanc numérique peut également servir, à l’image des intégrations traitées précédemment, à collecter plus facilement des documents. Weje, qui facilite l’organisation des pense-bêtes en les liant via des connecteurs, proposera prochainement de directement convertir ces pense-bêtes en mini-sites mis à jour automatiquement.
L’utilisation de ces tableaux blancs traduit un véritable besoin de recréer les échanges entre collaborateurs. L’ambiance du bureau est parfois un élément clef du travail, et des outils plus anecdotiques existent pour simuler, seul, les sonorités d’un espace collaboratif.
Lancée par l’agence Kids en avril 2020, imisstheoffice.eu est une expérience qui, sur fond de bruit blanc, permet de sélectionner des sons typiques de l’open space – comme le bruit des pas d’un collègue ou le bip d’une imprimante – pour qu’ils soient joués à intervalle régulière, en recréant une présence.
Busy Simulator est un autre exemple de site jouant sur le bruit. Il est capable de reproduire les sons caractéristiques du travail en ligne en activant la répétition des notifications des applications les plus utilisées (Google Calendar, Slack, Teams, Outlook, etc).
Permettre le travail collaboratif via la gamification
La réalité virtuelle, affectionnée pour le gaming ou le visionnage en 360°, est désormais utilisée comme un bureau virtuel afin de rendre l’expérience numérique la plus réelle possible. En effet, l’univers Horizon de Méta (anciennement Facebook) est très apprécié ; plus de 300 000 utilisateurs s’y retrouvent chaque mois depuis décembre 2021. Des entreprises basent de plus en plus leurs locaux dans cet espace virtuel ; Forbes parle d’ailleurs d’un « variant méta du bureau ».
Vice Média s’est associé au groupe dannois BIG pour créer un bâtiment de bureaux virtuels dans le métaverse. Il s’agit d’un laboratoire d’innovation où les employés travaillent sur les NFTs et d’autres projets virtuels. L’objectif est de pousser la créativité de l’entreprise médiatique multiplateforme au travers d’un terrain de jeu expérimental. Le groupe Havas compte lui aussi s’insérer dans cette lancée innovante avec l’ouverture d’un village virtuel dans le métaverse The Sandbox. D’ici fin avril 2022, le groupe permettra d’organiser des conférences, des lancements de produits ou encore des événements pour les marques. Un véritable accompagnement en termes de communication et de publicité leur sera proposé.
Cette hybridation et ludification des bureaux virtuels passe aussi par d’autres types de plateformes interactives. Ces espaces de travail sont définis comme hybrides, car ils rendent possible virtuellement des pratiques d’un espace de travail réel et moins passif.
WorkAdventure ou encore Gather.town, à l’apparence de jeux vidéo rétrogaming, permettent la création d’avatars personnalisés. Ceux-ci peuvent se déplacer dans un espace – lui aussi personnalisable – où la spatialisation du son rappelle la réalité d’une ambiance de travail. En se rapprochant virtuellement de ses collaborateurs, il est possible d’entrer en contact avec eux, même de manière privée (en entrant dans une zone restreinte, comme s’asseoir à une table). Des espaces de détente sont aussi proposés, à l’image de la cafétéria ainsi que des espaces de pause à partager (ou non) avec ses collègues.
Des applications intégrées permettent de travailler à plusieurs : sont proposés des tableaux blancs interactifs, du partage de documents, du livestream, des conférences et des jeux. Il est même possible d’inviter des utilisateurs extérieurs tels que des clients ou des partenaires à rejoindre ce bureau, ou encore réaliser des formations en interne.
A la différence de Gather.town, WorkAdventure est open source, c’est-à-dire que son code peut être modifié par n’importe quelle entreprise pour s’adapter à des besoins spécifiques de collaboration. Lemverse, autre exemple de bureau virtuel ouvert, mise à 100% sur le code libre. Lemlist, à l’origine du projet, dispose de son propre espace Lemverse où la notion de jeu de rôle est exploitée au maximum : un dortoir permet de « reposer » son avatar en fin de journée.
Certains bureaux virtuels misent sur une apparence plus réaliste. Teamflow, avec des fonctionnalités similaires aux autres plateformes, privilégie l’utilisation de la caméra au détriment des avatars. Le fait de voir le visage de ses collègues en temps réel humanise les échanges. Le but est ici de retrouver l’ambiance réelle du bureau, malgré le virtuel : la spatialisation du son est aussi utilisée, comme la possibilité de fermer la porte afin d’avoir une réunion privée.
Des innovations physiques pour conclure
Les bureaux virtuels étant nombreux, le travailleur nomade doit s’acclimater à des modalités en évolution permanente, au risque de s’y perdre. Pour poursuivre l’élan virtuel d’accompagnement des salariés aux espaces hybrides, des produits physiques servant le télétravail voient le jour. Le Project Sophia de Razer est un concept d’ordinateur gaming futuriste qui s’adapte à différents scénarios et besoins grâce à son expérience modulable.
Dans un autre registre, la start-up La Vitre a créé une glace numérique. Il suffit « de taper sur la vitre », comme on le ferait sur une porte d’entrée, pour contacter son interlocuteur. Cet écran permet aussi de transmettre des documents, et de traduire la conversation (par le biais de sous-titres). Elle donne une impression d’interaction en temps réel et de proximité physique.
Quels seront alors les prochains outils hybrides servant le confort du télétravailleur ? La collaboration à distance deviendra-t-elle la nouvelle « bonne façon » de travailler ? Jusqu’où les entreprises devront-elles s’adapter au virtuel ? En 2022, 2,7 milliards de personnes n’ont toujours pas encore accès au matériel nécessaire pour télétravailler au quotidien.
Dans le cadre de notre service de veille, Unitec propose régulièrement des ensembles d’articles thématiques pour décrypter les grands sujets de l’innovation. Cet article a été rédigé par Alexandre Bertin responsable de la veille à Unitec, Nolan Cottier et Naémi Monfeuillard, étudiants en Master à l’Université Bordeaux Montaigne.
Article publié sur le site : https://www.unitec.fr/digital-workplace-le-numerique-au-service-du-travailleur-nomade/
Laurent-Pierre Gilliard