Animateurs : Axel JEAN, Chef du bureau du soutien à l’innovation numérique et à la recherche appliqué DNE-TN2 – MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE - DIRECTION DU NUMÉRIQUE POUR L'ÉDUCATION, Philippe AJUELOS, Administrateur ministériel des données, des algorithmes et des codes sources – MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE - DIRECTION DU NUMÉRIQUE POUR L'ÉDUCATION
Intervenants : Isabelle ROOS Inspectrice 1er degré, sous-directrice recherche et développement, direction régionale académique du numérique éducatif – MINISTÈRE DE L'EDUCATION NATIONALE - ACADÉMIE D’AIX-MARSEILLE, Isabelle PREUD'HOMME, Directrice Lab Innovation – CNED, Alain THILLAY, Chargé de mission / Expert National Détaché Unité C4 – Éducation Numérique – COMMISSION EUROPÉENNE, Sylvanie DUVAL Déléguée générale – AF
1ère partie : Présentations
Philippe AJUELOS :
Le débat fait écho au colloque IN-FINE : sens et finalités du numérique en éducation et au souci de rapprocher le laboratoire et la classe. Le premier intervenant est Alain THILLAY, policy officer, expert national détaché auprès du C4 à la commission européenne, Education et culture digitale.
Pourquoi la commission s’intéresse-t-elle autant à l’IA ? Pouvez-vous parler des guidelines qui viennent de sortir ?
Alain THILLAY :
Merci de m’inviter à présenter les résultats, les lignes directrices et les recommandations à l’attention des éducateurs que la commission vient de publier le 5 octobre dernier pour engager à une utilisation de façon éthique l’IA et les données en éducation.
Cette question de l’IA n’est pas une question nouvelle pour la commission européenne puisque depuis 2018 au moins, le groupe d'experts a fait des recommandations sur l’utilisation, pour une IA de confiance, qui nous ont servi de base.
D’autres questions s’y associent autour du data, ou de l’acte européen (EA) qui est en discussion entre la commission et le parlement européen et qui devrait aboutir dans le courant de l’année 2023. On devrait avoir une régulation assez large qui touche tous les domaines. Dans le cadre du plan d’action en matière d’éducation numérique vous trouverez sur la page action 7 du site deux livrables sur les guidelines et la lutte contre la désinformation. Il existe d’autres guide lines (UNICEF, UNESCO, OCDE).
Le plan 2021-2027 propose un plan en 13 actions, plus un digital éducation Hubs, auquel vous pouvez participer : c’est ici une opération de long court.
Pourquoi des recommandations sur l’utilisation éthique de l’IA en éducation ?
C’est le résultat du travail d’une année d’un groupe d'experts de différentes disciplines pour aborder cette utilisation dans le contexte d’enseignement et d’apprentissage.
L’utilisation des données de l’IA existe dans tous les domaines de notre vie économique et sociale et l’éducation n’y échappe pas. Il s’agit de se préparer et de développer un certain nombre de réflexes et de questions à se poser, aussi quelques démarches pour engager les écoles à l’aborder sereinement et à l’utiliser d’une manière confiante, raisonnée, critique et éthique.
On est parti des représentations et des mé-représentations possibles, pour échapper au buzz et au sensationnel. Il n’y a rien de sensationnel dans l’IA : il y a des choses que l’on connaît depuis assez longtemps et des choses nouvelles (par exemple liées aux possibilités de calcul) qui apportent probablement des solutions dans certains domaines, certaines actions, certains apprentissages. C’est ce que nous devons explorer tous ensemble. Il fallait aussi trouver des cas d’utilisation générique de domaines dans lesquels on peut l’utiliser soit pour l’apprentissage des élèves soit pour l’accompagnement de l’enseignant, ainsi que dans l’organisation de la vie scolaire de l’établissement.
On a enchaîné sur une série de considérations éthiques et pratiques, éthiques qui partent des principes de l’éducation qui sont de garder l’agentivité (agency), agentivité qui n’est pas seulement la simple autonomie mais aussi la capacité de raisonner, de décider dans la main de l’humain qui utilise les solutions, les ressources qui lui sont proposées. Il y a aussi les questions d’équité, de justification des choix et de droits humains. On part des valeurs humanistes qui font l’union européenne.
Je finis sur deux points. On a développé des cas d’usages et des questions, en fonction des objectifs donnés comme point de départ ; on a osé utiliser le référentiel de compétences européens (DIGCOM, en français, CRCN, Cadre de Référence des Compétences Numériques ainsi que PIX pour évaluer les compétences numériques) pour explorer les indicateurs et traduire chaque fois, dans le glossaire notamment, les solutions, les ressources qui sont proposés ; à l’image de la démarche du SELFIE pour les écoles, outil de réflexion européen que les écoles peuvent utiliser pour construire une réflexion et un plan d’action.
P. A :
Isabelle ROOS, vous êtes inspectrice de l’éducation nationale du premier degré, Sous-Directrice Recherche et Développement de la Direction Régionale de la région PACA, et en particulier du pôle Aix-Marseille. Vos thèmes de recherche concernent les interventions autour de la conception, du développement et de l’évaluation de technologies numériques pour les apprentissages.
Pourriez-vous commencer par un cadre général, préciser d’après vous et votre expérience acquise quel est l’apport du numérique pour les apprentissages ?
Isabelle ROOS :
Vaste question ; j’ai choisi une entrée, déjà de redéfinir ce qu’est un apprentissage.
Un apprentissage cela signifie qu' à un moment donné l’élève va sortir de l’école avec des savoirs et des compétences qu’il n’avait pas auparavant. Il faut aussi resituer ce qu’on entend par le numérique : il y a un outil avec lequel les élèves peuvent apprendre et il y a des ressources, mis dans un environnement dans lequel il va évoluer. Je considère deux volets. D’abord la pédagogie qui doit permettre d’augmenter les possibles.
J’enseigne et je vais faire quelque chose en plus, que je ne peux pas faire avec mes outils ordinaires, augmenter ma pédagogie. Ensuite je ferai un volet sur les acquisitions nécessaires pour développer le futur citoyen pour qu’il s’adapte à la société de demain par l’acquisition de compétences numériques.
J’ai choisi trois aspects de la plus-value apportée par le numérique :
1) Le numérique comme accès consultation de ressources, une infinitude de ressources. Il s’agit de permettre à l’élève un accès complètement ouvert à la connaissance.
2) La conservation des traces grâce au numérique : les données que l’élève laisse, utilisations du numérique et traces d’apprentissages (recherche des élèves, évaluation des progrès...), importantes pour l’enseignant au sein de sa classe.
3) La dernière plus-value c’est l’interaction et la collaboration que permet l’outil numérique dans et hors la classe, en continuité. Le numérique va amplifier cela. Continuité dans le parcours de l’élève, continuité école famille, permettre aussi à l’enseignant de varier sa pédagogie, de changer l’espace classe, comment je vais repenser l’espace classe : je fais entrer un outil dans la classe et comment je peux repenser les apprentissages ? On se doit, pour tout enseignant, de développer les compétences pour tous les élèves ; tous les enseignants doivent développer ce cadre. L’élève entre à l’école à deux ans et demi, il en ressort à 25 ans : un quart de siècle où l’élève nous est confié : il que nous nous adaptions, que l’élève soit en capacité d’évoluer dans notre société.
Il y a des points de vigilance.
L’autonomie développe-t-il l’autonomie des élèves ? Non si l’on n’a pas appris à l’élève à l’être. Une connaissance ouverte à tous, une multiplicité de supports, de ressources peuvent mettre l’élève en difficulté. La multiplicité de pratiques à l’école peut aussi lui causer des difficultés. Au collège et au lycée, les enseignants différents utilisent des supports différents. On va développer ces fonctions exécutives qui vont permettre à l’élève de travailler sa mémoire de travail, son attention, sa concentration et aussi sa facilitation des tâches.
P. A :
Axel JEAN, vous êtes chef du Bureau d’Innovation Numérique et de la Recherche Appliquée à la Direction Numérique de l'Éducation au sein d’une équipe au Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse. Vous travaillez depuis de longues années à la conception, l’implémentation des outils technologiques éducatifs basés sur l’IA.
Que pouvez nous dire sur la personnalisation des parcours de formation que permet l’IA ?
Axel JEAN :
La personnalisation des apprentissages n’est pas liée à l’IA mais l’IA va permettre de tenir des promesses.
Ces promesses sont celles que vous connaissez sans doute, autour de Vygotsky et de la zone proximale de développement. Il faut proposer des activités au bon niveau et avec l’assistance de quelqu’un pour faire ce bond. Il faut aussi, autour de travaux très anciens, ceux d’Ebbinghaus, rappeler au bon moment, des rappels espacés dans le temps pour ancrer, stabiliser.
Chacun sait que nous n’apprenons pas de façon linéaire. Il ne s’agit pas de réussir un premier parcours, il s’agit de suivre des parcours qui me font travailler au bon niveau et des rappels espacés dans le temps qui permettent de les réactiver pour stabiliser ces apprentissages. On sait aussi tous que la maîtrise de cette compétence se fait quand on est en capacité de réinvestir la connaissance, la compétence, dans un nouveau contexte. L’IA va assister les choix des professeurs en faisant des propositions, des suggestions au bon niveau, élève par élève.
Je prends un temps pour distinguer la personnalisation et l’individualisation.
Apprendre est un fait social : on apprend au contact des autres, en se frottant avec les pairs, sous le regard exigeant et bienveillant du professeur, qui peut être assisté par un système d’IA, qui n’oublie rien des traces d’apprentissage, des succès et des erreurs, qui n’oublie rien des moments où il faut réactiver pour le besoin de chacun. Dans une classe, l'effet de moyenne ne parle qu’à un ou deux élèves.
L’IA permet de dresser les besoins de chacun, de former de groupes de besoin qui peuvent être recomposés après chaque activité : l’IA peut faire cela à la volée. On a des systèmes qui sont des systèmes scientifiques dans la conception autour de la nature des IA qui sont mobilisés, des grands laboratoires de l’INRIA, du CNRS .., mais aussi des grands scientifiques de la didactique car un système aussi perfectionné soit -il sur le plan technologique ratera sa cible si il n’est pas modelé, co-construit avec des didacticiens qui savent comment s’organisent les savoirs et également co-construit avec des professeurs qui sont sur le terrain.
C’est pourquoi on fait de la recherche-développement appliquée. On sait que l’on peut avoir de très beaux prototypes en laboratoire, efficaces, avec un fort potentiel, mais qui ne réussissent jamais. Notre rôle est de faire se rencontrer le meilleur des trois mondes : monde scientifique sur la nature de l’IA, celui sur la nature des didactiques, celui scientifique empirique sur l’expérience de professeurs.
2ème partie : questions aux intervenants
P. A :
C’est quoi exactement, Isabelle, l’usage fait par les enseignants, en classe, réellement ?
Isabelle ROOS :
Je voudrais rebondir sur les apprentissages. Axel Jean a parlé de la mémorisation, de consolidation, de lutte contre l’oubli.
Sur le retour d’information, l’IA permet également un retour rapide. Elle facilite le côté engagement actif de l’élève et aussi l’attention. Les ressources proposent des activités propres au parcours de l’élève. Les enseignants l’utilisent à plusieurs moments, autant pour accompagner les activités de recherche que de remédiation.
Ce qui est important est qu’il a à disposition un tableau de bord précis fourni par l’analyse de l’IA qui lui fait gagner du temps, informant plus rapidement sur les difficultés.
La plateforme propose des activités de remédiation. L’IA est un assistant à la pédagogie, mais ne le dépossède pas : à tout moment les enseignants ont cette liberté pédagogique et cette liberté d’action. IL n’y a pas une plus-value pédagogique ; par contre les enseignants comme experts pédagogiques peuvent y trouver appui et trouver du temps dégagé en termes de création pédagogique. Dans la région PACA est publié une newsletter sur l’IA : la boite noire, pour dédramatiser.
Axel JEAN :
Il s'agit bien de développer les systèmes d’assistance au professeur.
L’expert pédagogique dans la classe, c’est le professeur. Dans la complexité des apprentissages, il accède à des informations bien plus complètes. L’IA va lui permettre de le décharger de tâches chronophages, en renfort du professeur, mais ne s’y substituant pas, pouvant intégrer d’autres informations concernant tel ou tel élève, par exemple sur des circonstances personnelles. Il faut « border » le système d’IA : la question n’est pas ce que peut faire l’IA, mais ce que doit faire l’IA sous le contrôle de l’enseignant
P. A :
Madame Isabelle Prud’homme, vous êtes Directrice du LAB innovation au CNED, l’établissement qui gère l’enseignement à distance avec ses spécificités et la dynamique d’innovation sur ces sujets-là.
Pouvez-vous nous témoigner sur les expérimentations auxquelles vous travaillez avec votre équipe, le développement d’outils basés sur de l’IA dans la charge des missions qui vous sont confiées ?
Isabelle PREUD'HOMME :
Nos élèves sont en apprentissage avec une grande part d’autonomie pour leur scolarité entièrement à distance ; nous n’avons pas la reproduction d’un groupe classe avec un professeur pour 25 ou 30 élèves.
On ne fait pas intervenir un enseignant pour utiliser l’IA. On désire pousser les possibilités de l’IA pour voir ce qu’elle peut apporter en matière de pédagogie différenciée de manière autonome, et jusqu’où on peut aller sur ce modèle-là.
Composer un parcours de séances de travail adapté à l’élève en fonction de ses besoins et en fonction de ses difficultés de manière entièrement automatisée, sans faire intervenir un professeur, jusqu’où on peut aller, est-ce que ça marche ?
Ceci est associé à un pré-diagnostic qui passe en revue l’ensemble des connaissances et compétences. Le moteur de l’IA doit être aussi capable de proposer des exercices spécifiques.
Il doit permettre l’empreinte mémorielle, de faire des rappels sur des points essentiels à des moments clés pour basculer dans la mémoire à long terme. L’engagement est travaillé au travers des interfaces, des ergonomies, ou de la gamification pour permettre aux élèves de mieux s’engager.
Nous testons une IA sur l’accompagnement de l’élève. Dans sa journée de travail, il peut avoir des questions qui risquent de le bloquer. Il n’y a pas d’enseignant qui peut lui répondre en direct. Une IA, qui se présente sous forme de chatbot, a la capacité de répondre à l’élève de manière instantanée ; derrière il y a bien un algorithme d’IA qui a ingéré tous les corpus de cours.
L’IA est capable de donner une réponse précise qui est un aspect du cours. Il s’agit de réponses de premier niveau, mais cela ne remplace pas un enseignant et sa capacité à reformuler. Un autre point est la capacité prédictive de l’IA.
Par un entrainement de l’IA sur l’ensemble des traces d’apprentissages, peut-on générer un algorithme prédictif des difficultés et des échecs scolaires, de manière que l’on puisse mener des actions préventives ? Toutes ces expérimentations doivent nous permettre de progresser dans notre accompagnement des apprentissages.
P. A :
Il y a un paradoxe. Vous avez souligné le rôle essentiel du professeur et en même temps on le décharge de plein de tâches.
Axel Jean, comment l’IA peut au quotidien contribuer à renforcer le rôle du professeur dans son expertise pédagogique et aussi comment l’IA peut contribuer à l’engagement des élèves ?
Axel JEAN :
Comme cela a été dit, on fait toujours une proposition à l’enseignant qui reste le maître à bord.
La première perspective est celle d’une proposition de différenciation des activités pour répondre aux besoins de chacun, tels ceux des élèves à besoins particuliers pour une école plus inclusive et pour des élèves en situation de handicap. On est sur une situation où l’on va proposer des activités pour répondre aux besoins de chacun par groupe de besoins. On est sur des personnalisation avec des groupes : les élèves vont pouvoir bouger sur des recommandations de l’IA. La modalité de fonctionnement permet des interventions spécifiques, les élèves fonctionnent chacun à leur niveau. Le professeur va pouvoir gérer la plus grande complexité, consacrer son expertise sur des élèves qui vont buter sur des difficultés d’apprentissage entre autonomie et accompagnements spécifiques.
La deuxième perspective est que L‘IA hérite de tout ce qui a été fait sur la gamification : maintenir l’engagement de l’élève dans la tâche.
Ces éléments de gamification permettent à l’élève d’être plus motivé dans la tâche. Pour certains élèves le système numérique, IA ou pas, à un critère neutre, que l’élève ait réussi ou pas. Ce n’est pas le jugement d’un humain. Il est mieux accepté car venant d’une machine qui ne porte pas de jugement de valeur. Ce qui relève aussi de la gamification est de maintenir un flot d’apprentissage, un flot d’engagement de l’élève. On a besoin de savoir gérer les échecs et de maintenir l’attention de l’élève pour qu’il continue à progresser, à s'entraîner.
P. A :
Changement de paradigme. On ne sanctionne plus l'élève, on l'incite à recommencer. Alain Thillay, à quoi, servent les guidelines, comment cela va s’exécuter se mettre en œuvre ?
Alain THILLAY :
La commission européenne et l’union européenne n’ont pas la compétence directe et on agit en tant que recommandations. On a publié ces guidelines et on en attend des retours de la part des états membres et de la manière dont ils sont utilisés sur le terrain. Il s’agit de disséminer.
Il existe différents programmes et projet européens, tel Erasmus++ partie éducation (dont le projet AI for teachers) pour préparer des formations dans différents pays. Il y a des systèmes d’IA, des IA pour faire des choses différentes.
Axel JEAN :
Isabelle Roos vous êtes forte de votre expérience dans votre académie, et l’académie de Marseille est une académie en pointe sur les premières pratiques basées sur l’IA.
Est-ce que vous pouvez partager avec nous l’évolution que vous avez perçue sur les représentations, les perceptions qu’ont les professeurs, les élèves et les parents sur des services portés par l’IA ?
Isabelle ROOS :
La première chose, au niveau des élèves, est un réel changement de la perception de l’outil numérique, du numérique « pour jouer » au numérique « j’apprends ». Ils ont conscience de ce qu’ils apprennent, l’élève est valorisé (circuit de la récompense : quand je réussis, ça se sait). Le statut de l’erreur est re-questionné, l’élève n’a plus peur de se tromper. Le mot qui va constituer la colonne vertébrale, c’est la confiance. La relation à l’enseignant change aussi énormément : on passe d’un système de dispenseur de savoirs à un système horizontal d’accompagnateur.
Au niveau des enseignants, il y a une crainte sur leur rôle. Il a fallu les former à l’IA, sur ce qu’il y a dans cette boîte noire, à l’appui des sciences cognitives aussi, pour comprendre comment fonctionne le cerveau, pour trouver la confiance en l’outil dans les ressources et dans l’institution. Il est nécessaire que le discours soit homogène sur le territoire : des cadres, directeurs d’écoles, jusqu’aux enseignants.
Quant aux parents, ils ont eu aussi des craintes, sur le recours aux écrans très présents et pas maitrisé par eux à la maison. Le rôle de co-éducation dans ce domaine est essentiel : il faut les informer, les acculturer, montrer ce qui est fait dans l’école. Un fois que la confiance a été gagnée, on voit vraiment une continuité des apprentissages dans et hors l’école, et souvent les parents sont sécurisés. Des solutions spécifiques permettent, avec un tableau de bord, un suivi de l’élève sur ce qui se passe à la maison, de pouvoir continuer à s’entraîner sans faire appel à des structures extérieures, et répondent à une fracture possible. L’éducation suppose un temps long, un quart de siècle, et nécessite de travailler ensemble pour construire le citoyen de demain.
P. A :
Justement, on parlait de l’accompagnement et de tout un écosystème (parents, élèves, enseignants...).
Comment, Isabelle au CED on accompagne les professeurs et les élèves dans ce cadre particulier de l’enseignement à distance ?
Isabelle PREUD'HOMME :
Si on se base sur les dispositifs conçus à partir d’IA, il ne faut pas que ce soit une question d’apprendre à se servir de ces dispositifs. L’IA travaille en coulisse, génère certaines fonctions, certaines informations ; ensuite c’est une question d’interface. Nous travaillons sur l’ergonomie de l’interface pour que les utilisateurs, que ce soit les élèves ou les accompagnateurs pédagogiques, aient le moins de questions à se poser, que ce soit mode intuitif et suive un cours naturel d’appropriation sans avoir à réfléchir. Pour les élèves l’enjeu est qu’ils se concentrent sur leurs apprentissages et dans la navigation dans la plateforme ou dans l’utilisation de tel outil sur l’impact mémoriel. Pour les accompagnateurs qu’ils aient l’information pour qu’ils fassent leur travail de manière sereine.
P. A :
Axel on a parlé de projets qui sont en cours pour l’IA ; quels sont les prochains projets pour le ministère ?
Axel JEAN :
Pour le ministère on a travaillé aux niveaux CP CE1 CE2 en français mathématiques (P2IA). On va continuer au niveau de l’école français, mathématiques et langue vivante au collège et au lycée.
On lancera de nouveaux partenariats d’innovation en IA. Dans le cadre des entreprises basées sur les Edtech, redisons-le, il faut toujours s’appuyer sur des chercheurs et des praticiens de terrain, mais il faut aussi des entreprises qui soient capables de concrétiser, d’industrialiser des dispositifs pour les proposer de manière générale. Désormais, quels que soient les marchés qui sont portés, systématiquement, on vise des services basés sur l’IA qui vont irriguer tel service auprès du professeur.
Autant avant c’était quelque chose d’original, autant c’est maintenant quelque chose qui se répand très largement. Nous devons rester dans la maîtrise et le contrôle de qui le fait, pour qui cela est fait, où sont stockées les données. On doit exercer cette vigilance pédagogique, scientifique, juridique et éthique sur les services qui sont développés.
P. A :
Isabelle, comment le CNED travaille avec les Edtech ? Je pose aussi la question à Axel.
Isabelle PREUD'HOMME :
On commence par établir des concepts basés sur les besoins de nos apprenants à distance et puis sur nos experts en interne pour évaluer des premières idées. Ensuite on rencontre beaucoup de Edtech qui ont déjà des dispositifs et des solutions existantes et on essaie lesquelles ont le plus de points communs avec notre idée de départ.
Ensuite on teste, on fait de la preuve de concept dans des environnements de développement avec certains critères de sélection qui ne sont pas tous technologiques mais qui portent aussi sur l’approche et la cohérence pédagogiques par rapport à un scénario de parcours d’apprentissage.
Une fois que c’est suffisamment abouti, on ouvre en pilote auprès des élèves. Souvent on choisit des périmètres restreints à un niveau et une classe. Cela fait tout de suite 2000 ou 3000 élèves. On progresse de cette manière-là vers l’industrialisation en allant vérifier les usages dans les situations réelles : on éprouve les solutions.
Axel JEAN :
On accompagne, on initie et on impulse une politique publique autour du maintien du marché, innovation et marché public ; dans le cadre aussi de subventions d’aide à des startups dans le cadre de la commission nationale dans lequel on accompagne les projets émergents qui ont besoin de développer des briques de nouvelles technologies.
J’en cite deux : Vittascience, présent dans l’espace startup du salon qui développe des briques de programmation par blocs ou encodage y compris avec de l’IA ; et un autre, Cantoo, qui développe un jeu auquel on peut jouer à quatre élèves vers la construction du nombre et qui s’appuie sur de l’IA aussi. On a la chance en France d’avoir des entreprises qui innovent beaucoup : on apprend d’eux, on les accompagne et on initie, on maintient par des marchés, des subventions.
Philippe AJUELOS :
On ne va pas conclure parce que l’on est au début d’une démarche. On va lancer les nouveaux programmes pour le cycle 3, le cycle 4 et pour le lycée en français en maths et en langue vivante, basés sur l’IA. On pense que ce sont des outils : ça ne remplace pas le prof, le seul qui est capable de poser un diagnostic pédagogique.
La donnée c’est bien mais cela ne réduit pas l’enfant, l’élève, le futur citoyen à un moment où il intervient. Il n’y a que le professeur qui peut contextualiser la donnée recueillie.
Tout un écosystème Edtech, avec notamment le domaine de la recherche et les partenaires, est dans une démarche où la réalité est dans la classe. Il y a l’exigence de la personnalisation du parcours mais aussi de l’universalisme de l’éducation. On les prépare à être dans un monde numérique, des citoyens critiques, actifs d'un monde démocratique.
Compte-rendu - Franc Morandi
Dernière modification le mercredi, 21 décembre 2022