Dès lors, la notion de réseautage nous semble fondamentale en impliquant autant le socioaffectif que le professionnel. Cette série d’échanges a pris les formes suivantes : 1) la réalisation par les étudiants de sondages en ligne portant sur le secteur de la santé, 2) des échanges sur les valeurs avec des étudiants du secteur régulier inscrits à un cours de coopération internationale et 3) la participation à des activités de réseautage professionnel.
1) La construction d’un premier réseau et l’élargissement de celui-ci : un sondage en ligne sur la santé
Notre scénario pédagogique débute par une discussion de groupe sur divers enjeux de la santé au Québec impliquant, entre autres, la question de la rareté des médecins de famille, l’attente intolérable dans les salles d’urgence et la qualité des relations entre les patients et les intervenants médicaux. À la suite de cet échange initial, les étudiants approfondissent leurs connaissances du sujet à partir d’une recherche d’articles sur le Web, mais aussi de visionnement vidéo. En ce qui a trait à la question de la qualité des relations humaines, nous avons fait référence au projet de création d’un nouveau partenariat entre les patients et le milieu médical promu par M. Vincent Dumez, directeur du Bureau de Collaboration et Partenariat Patient à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. M. Dumez est lui-même atteint de diverses maladies chroniques comme l’hépatite et le SIDA, contractées par des transfusions sanguines contaminées au cours des années ’80.
Les diverses informations ainsi recueillies permettent alors la création en sous-groupes de questionnaires de sondage qui seront mis en ligne à l’aide de SurveyMonkey dans un contexte pédagogique de jumelage de classes interniveau. Des rencontres en présentiel et à distance par le biais de Skype sont alors tenues afin de discuter des résultats obtenus et de proposer un nouveau sondage, cette fois destiné à des étudiants du secteur régulier et d’autres répartis ailleurs au Québec afin d’étendre les tentacules du réseau.
Il est de notre avis que l’exploration commune d’une thématique aussi "poignante" que celle des soins de santé contribue de manière émotionnelle à raffermir des liens entre les participants, qui se découvrent des affinités et des modes de pensée similaires, une condition humaine importante à l’établissement de réseautage. Ce scénario pédagogique fait vivre aux étudiants une première expérience de réseautage à l’interne et à l’externe.
2) La valorisation de soi, les échanges sur les valeurs et les ponts interculturels
L’établissement de liens entre les nouveaux arrivants et des membres de la société d’accueil peut constituer un défi de taille, particulièrement à cause de la barrière de la langue ou des appréhensions face à l’expression de valeurs et de traits culturels mutuels. Dans ce contexte, nous voyons d’un bon oeil les relations de nature intergénérationnelle et interculturelle entre des jeunes inscrits à des cours sur la coopération internationale et des adultes immigrants en provenance de pays souvent aux prises avec de graves problèmes sociaux, politiques et économiques, à un taux élevé de criminalité et de pauvreté. Ces jeunes, par leur choix scolaire, témoigneraient d’une réelles ouverture à l’interculturel et à l’apprentissage de la réalité d’autrui, alors que les étudiants adultes seraient intéressés à leur transmettre ce genre de savoir, dans une relation qui transcende le pur échange linguistique ; une relation à l’intérieur de laquelle l’un et l’autre des deux clans se sentirait valorisé dans un jeu communicatif de type "arroseur arrosé", des jeunes d’ici s’apprêtant à vivre à leur tour des aspects chocs de l’expérience migratoire. Dans ce contexte, une première série d’échanges entre les deux groupes porterait sur les valeurs, les perceptions sur des traits culturels et une démystification du pays à visiter ; alors qu’une deuxième rencontre aborderait davantage la nature de la préparation mentale et organisationnelle du voyage.
Afin d’accroître la portée de la relation et ainsi de favoriser une meilleure compréhension mutuelle, l’expérience est propice à la mise en place de dispositifs de jumelage linguistique en présentiel et en distanciel entre des participants des deux groupes, ce qui peut nécessiter l’usage du bavardage électronique, du clavardage et d’autres outils de travail collaboratif. Le voyage des jeunes à l’étranger peut également générer plusieurs échanges de suivi à l’aide d’un blogue, de Facebook ou d’autres moyens de communication électronique. Des bases importantes de l’intégration culturelle seraient établies.
3) Du réseautage interpersonnel au réseautage professionnel
Alors que les activités de sondage en ligne et d’échanges intergénérationnels et interculturels "instruisent" les participants à la pratique de projets collaboratifs sous l’angle de l’affect, il nous semble impératif de souscrire également l’expérience intégratrice dans une dimension de réseautage strictement professionnel. Pour y arriver, les étudiants devront se doter d’une idée claire de projets de carrière, avec des objectifs à long terme, etc., et des moyens qu’ils comptent employer afin de réaliser leurs rêves, en somme. La tenue de webinaires composés d’un panel de professionnels immigrants en présentiel et à distance devrait jouer un rôle motivationnel important dans la mesure où le nouvel arrivant se voit confronté à des modèles de réussite découlant d’un cheminement migratoire similaire au sien.
Cet exercice accompli, nous envisageons alors la participation à des activités de la Chambre de commerce, favorisant des liens avec des entrepreneurs de la société d’accueil et l’inscription à des groupes de réseautage en ligne sur LinkedIn, impliquant du coaching par des entrepreneurs. De nouveau, les expériences de contacts interculturels menés dans les activités de sondages en ligne et des rencontres intergénérationnelles vues précédemment, devraient avoir développé chez ces étudiants en langue seconde les compétences linguistiques et communicationnelles nécessaires à ce genre de rencontres, combien signifiantes.
Conclusion
L’intégration socioprofessionnelle constitue une préoccupation majeure, voire le rêve de très nombreux arrivants aux prises avec le défi de se construire un réseau de contacts et de relations. Dans le présent article, nous avons voulu illustrer l’importance que nous accordons à l’affect dans une telle entreprise et sur celle de posséder des compétences communicationnelles de base ; car la difficulté ne réside pas réellement dans le fait de rencontrer des gens, mais bien dans celle de "bien se connaître soi-même" et de tirer profit de multiples opportunités de rencontres interculturelles et intergénérationnelles qu’offrent le milieu environnant et divers services du milieu scolaire. En 2013, Rachel et moi avons beaucoup travaillé dans la conception et la mise en oeuvre de plusieurs projets de nature technopédagogique, avec cette dimension humaine en filigrane. Cette même dimension humanisante nous a aussi orientés dans la réalisation d’une trentaine d’épisodes de radioroman éducatif, à la création de communautés apprenantes de type interniveau et la réalisation d’une plateforme de cours en ligne, qui feront l’objet de futurs articles.
Quelques mots sur les auteurs :
Luc Renaud est spécialisé en technologie éducationnelle et enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Détenteur d’une maîtrise en éducation, il a aussi été chargé de cours à l’Université de Montréal dans le domaine de l’intégration des TIC, et a participé à des projets de recherche portant sur la formule hybride et le socioconstructivisme. Il possède également une solide expertise en développement et expérimentation de formations en ligne et s’intéresse vivement à la collaboration internationale.
Rachel Malo enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Elle a fait des études en linguistique et a une bonne connaissance de l’évaluation des apprentissages. Elle a développé et travaillé à des cours expérimentaux en français avancé et en insertion au marché du travail. Elle s’intéresse vivement aux TIC et travaille à différents projets de ces technologies en salle de classe. Elle avoue un intérêt marqué pour la collaboration internationale.
Depuis plusieurs mois, Luc et Rachel ont démarré une firme de consultants en technologie éducationnelle, La boîte à idées E.T. Ideas Box et conjuguent leurs forces dans une perspective de projets à portée locale, régionale, nationale et internationale.