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Dans Des poupées russes TICÉ ou des scénarios indépendants de Webtélé en Français Langue Seconde(1), nous nous sommes intéressés au radioroman, composé surtout d’un audiolivre, pour en arriver au développement d’une Webtélé destinée à l’enseignement du français langue seconde (L2). Nous étions convaincus de la pertinence de ce genre d’outil à la suite de notre propre expérience de l’apprentissage de l’espagnol (2 et 3). 
Nous aimerions maintenant pousser la réflexion un peu plus loin en nous demandant comment développer chez les étudiants de bonnes stratégies d’apprentissage nomade en compréhension orale aussi bien par l’écoute de la radio dans une communauté virtuelle (4) que par celui d’un audiolivre dans un Ipod ou d’un CD radiophonique (5) inséré dans le lecteur de l’automobile, etc. Les podcasts serviraient notamment à répondre davantage aux besoins des personnes handicapées, principalement les aveugles et malvoyants, à des contenus Web éducatifs (6 et 7).
 
Pour y parvenir, nous comptons suivre une démarche de création d’un radioroman comprenant les étapes suivantes : 1) une recherche documentaire inclusive, 2) les critères de sélection de contes, de pièces de théâtre, d’extraits de nouvelles et de romans, 3) les contraintes et le traitement des données, 4) l’implantation du système dans la communauté virtuelle et la participation des étudiants, que l’on veut de plus en plus actifs.
 
 

1- Une recherche documentaire inclusive (pour étudiants réguliers et handicapés)

Afin de mieux connaître l’importance de l’audiolivre sous forme de radioroman dans une communauté virtuelle en L2, nous avons d’abord procédé à une recherche documentaire inclusive. Ainsi, nous sommes-nous intéressés à des bibliothèques virtuelles comprenant des milliers de livres libérés des droits d’auteurs, inspirés du projet Gutenberg (8), avec l’intention manifeste d’y effectuer une sélection d’extraits et de procéder au référencement de liens de fichiers sonores dans une communauté virtuelle : Nous aimerions éventuellement créer notre propre audiolivre. Cette exploration de l’univers livresque numérique nous a conduits dans les méandres de l’histoire de la littérature francophone des siècles antérieurs, mais aussi à l’intérieur de la culture francophone universelle et même à tenir compte de la réalité des personnes malvoyantes et malentendantes, celles-ci pouvant alors être desservies au même titre que les étudiants réguliers.
 
Dans la bibliothèque virtuelle Les livres pour tous (9), nous avons découvert, par exemple, de vrais bijoux comme des recueils de contes du Québec datant du 19e siècle (10), mais aussi de plusieurs auteurs classiques européens, comme Victor Hugo et Émile Zola et des œuvres plus accessiblescomme Arsène Lupin de Maurice Leblanc ou le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry. Sur ce point, il importe de rappeler que chaque pays serait responsable de sa législation en matière de libération des droits d’auteurs. Au Canada, par exemple, une œuvre entrerait dans le domaine public cinquante ans après le décès de l’auteur, ce qui n’est pas forcément le cas partout (11). Cette situation peut se traduire par un véritable imbroglio juridique, qui dépasse largement nos compétences. En conséquence, il nous semble prudent de vérifier les questions légales et de prendre les mesures nécessaires lors de la sélection d’une œuvre, ou mieux encore de construire son propre matériel pédagogique.
 
Dans le site Conte-moi, nous avons par ailleurs trouvé de nombreux contes de la francophonie (12) en provenance, entre autres, d’Haïti et de plusieurs pays africains. Le Point du FLE (13) nous offre aussi de nombreuses ressources en ce genre. D’autres produits se destinent davantage à des personnes malvoyantes comme les audiolivres du site audiocite (14) et les dispositifs logiciels de voix de synthèse comme Jaws (15) et même des aides techniques pour personnes malentendantes (16).
 
Une fois accompli ce beau voyage dans le temps, dans la culture et dans l’inclusion sociale, il nous faut sélectionner des produits qui répondent à nos besoins psychopédagogiques et didactiques.
 

2- Les critères de sélection des produits livresques

Pour choisir le produit approprié, nous avons dû nous poser plusieurs questions, respectant trois grandes étapes d’un processus de sélection en entonnoir : a) la partie évasée, b) la partie générale et c) la partie étroite.
 

a) La partie évasée

Il nous faut d’abord préciser le format de l’émission de radio voulue. S’agit-il d’une forme d’initiation à la littérature ? Voulons-nous une réalisation personnelle, des liens vers des enregistrements existants ou les deux ? Allons-nous discuter littérature, procéder à la lecture des livres ou encore inclure le sujet littéraire dans une variété radiophonique ou une émission d’affaires publiques ? Choisirons-nous des extraits d’œuvres différentes ; ou bien, discuterons-nous d’une intrigue à suivre sur une base hebdomadaire ?
 

b) La partie large

Une fois le format de l’émission précisé, une deuxième série de questions de base devient nécessaire. Ainsi, le filtre andragogique nous a fait éliminer des histoires jugées trop enfantines, alors qu’un filtre plus psychologique nous a fait mettre de côté des récits à intrigue trop violente ou à l’issue plutôt déprimante. Il faut se rappeler que le processus d’immigration comprend déjà son lot de difficultés : déplacement dû à la guerre, éloignement de la famille, choc culturel, etc. (17) Nul besoin d’en rajouter. Il nous semblait devoir chercher au contraire des œuvres motivantes qui puissent rejoindre des cordes sensibles de la clientèle visée.
 
Voici quelques critères qui nous semblent importants dans le choix de l’œuvre ; Il faudrait que ce soit facilement accessible pour notre clientèle, en ce sens que le sujet devrait respecter les connaissances linguistiques et les intérêts des étudiants. De plus, nous verrions un choix rafraîchissant et motivant qui pourrait constituer un élément déclencheur pour ces nouveaux arrivants. Le roman devrait les rejoindre, les toucher, eux qui ont vécu des épisodes de vie souvent difficiles dans leur pays d’origine. Bref, nous voyons le choix de l’œuvre comme un renforcement positif auprès de notre clientèle. À titre d’exemple seulement, nous estimons que le roman Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry répondrait bien à ce genre de critères, d’autant plus que des versions audiolivres existent déjà que l’on pense aux lectures de Jean-Louis Trintignant (18) ou même de Gérard Philipe (19).
 

c) La partie étroite

Vient alors le choix d’extraits en fonction de besoins de nature strictement pédagogique. Le conteL’idiot de Catherine Bastère-Rainotti lu par Alain Moreau dans Lire & Recréer (20) exploite bien, par exemple, des notions de concordance des temps comme le passé composé, l’imparfait et le plus-que-parfait. Par ailleurs, dans le conte Une chasse-galerie moderne, du tome III du recueil de contes du Québec, le lecteur est en présence de plusieurs références à la culture québécoise et à de nombreuses situations de français parlé. D’autres extraits couvrent une grande variété de sujets en lien avec les thématiques des programmes de formation.
 
 

3- Les contraintes et le traitement des données

Une fois le choix des extraits effectué, il est impératif d’entreprendre les démarches essentielles à la libération des droits d’auteur et des droits d’adaptation du matériel. De telles modifications s’avèrent d’autant plus essentielles pour nous que Rachel et moi nous spécialisons dans le développement d’une pédagogie interniveau en L2 avec les TICÉ. Dans un tel cas, il est clair que le niveau de compétence des étudiants en langue diffère d’un groupe à l’autre, et qu’il convient d’assurer une certaine gradation dans la complexité des contenus présentés aux étudiants. Selon la clientèle visée, nous avons constaté dans les textes, par exemple, des structures de phrases parfois trop complexes, l’usage de temps de verbes littéraires comme le passé simple ou le passé antérieur ou encore l’emploi de vocabulaire non courant relié à des contextes historiques précis, etc. Ces aspects de la langue répondent à des niveaux très avancés dans les échelles de niveaux de compétences en langue du Canada ou de l’Europe (21, 22 et 23).
 
D’un extrait de quelques minutes offert au cours des premières semaines, nous proposerions aux étudiants des enregistrements d’une longueur beaucoup plus imposante au cours des dernières semaines du calendrier scolaire. Cette gradation dans la livraison des contenus correspond selon nous à la croissance du niveau de maitrise en L2 chez les étudiants, de même qu’à leur degré d’accoutumance à la pratique de l’écoute radiophonique. Les fichiers sonores doivent être accompagnés d’une transcription afin non seulement d’en faciliter la lecture et l’étude par les étudiants, mais aussi de réaliser des analyses phonétiques des textes en classe.
 

4- L’implantation du système dans la communauté virtuelle et la participation des étudiants

Tel que proposé dans notre article Des poupées russes TICÉ ou des scénarios indépendants de Webtélé en Français Langue Seconde, nous choisirions de référencer les extraits choisis dans un compte Facebook de classe et d’en assurer un certain encadrement auprès des étudiants lors des sessions en présentiel. Question d’amener ceux-ci à développer davantage des automatismes, nous yposterions aussi des fichiers sonores des exercices de compréhension de textes étudiés en classe. En plus des transcriptions, des questionnaires de compréhension seraient développés. Nos expériences antérieures de mise en ligne de fichiers sonores à partir de textes tirés, entre autres, dublogue de l’Éduc-acteur, Luc Renaud (24) nous permettent de croire au succès populaire de notre projet. Cette nouvelle expérience a soulevé beaucoup d’intérêt auprès de notre clientèle qui y voit vraisemblablement des occasions signifiantes de pratique de l’oral, dans un contexte motivant.
 
Les étudiants seraient invités à un forum sur les divers extraits offerts et à les commenter dansFacebook. Il serait possible, dans le but de développer une certaine complicité entre les deux groupes, d’avoir une communauté virtuelle unique pour nos deux classes. Ceci afin de favoriser les échanges, et de multiplier les contacts entre les deux groupes. Un beau partenariat serait envisageable à la suite de ce geste. Cela permettrait de briser la rigidité que l’on peut parfois observer en salle de classe. 
 
Par ailleurs, les fichiers sonores devraient aussi être téléchargeables pour usage en baladodiffusion par des étudiants réguliers ou des personnes malvoyantes. Nous aimerions éventuellement amener les étudiants à se créer une banque de podcasts, et leur permettre de bonifier eux-mêmes les contenus des épisodes hebdomadaires du radioroman, faisant évoluer le produit en radio étudiante. Eventuellement, nous aimerions créer notre propre audiolivre et offrir à nos auditeurs des dramatisations avec plusieurs voix et des trames musicales de qualité professionnelle à l’instar des belles œuvres réalisées par l’entreprise Fonolibro (25).
 
 
Conclusion
 
 
La compréhension orale (26) est jugée par plusieurs tenants de l’approche communicative, comme l’une des plus importantes habiletés langagières en L2. Maintes fois, nous recommandons aux étudiants des stratégies d’écoute à partir de la radio ou de la télé, un peu comme si l’apprentissage viendrait par osmose suite à une simple exposition à la langue-cible dans une démarche totalement autodidacte. Nous croyons important, au contraire, d’optimiser l’expérience de l’écoute active et régulière de divers types de prestations orales, ce qui nous a motivés à mettre en place les bases d’un radioroman disponible dans une communauté virtuelle constituée dans Facebook. Graduellement, nous comptons aider les étudiants à adopter des stratégies d’apprentissage axées sur la baladodiffusion, mais aussi à s’impliquer dans la bonification des contenus des émissions, les amenant par le fait même à faire preuve davantage d’autonomie et de collaboration dans un esprit de réseautage et d’inclusion sociale. Histoire à suivre. 
 
 
Texte : Luc Renaud, M.A. Sciences de l’éducation, technopédagogue
Collaboration : Rachel Malo, professeure de français langue seconde, spécialiste en linguistique et en évaluation
Photo : Luis Alfredo Rodriguez Martinez
 
 
Références
 
 
- 1. Luc Renaud (15 juin 2012) Des projets éducatifs et le livre numérique en langue seconde, Educavox http://www.educavox.fr/formation/analyses-27/article/des-projets-educatifs-et-le-livre
- 2. Luc Renaud (31 mars 2012) Pour un regard moderne sur l’autoformation en langues secondes,http://www.educavox.fr/Pour-un-regard-moderne-sur-l
- 3. Luc Renaud et Rachel Malo (4 février 2013) Des poupées russes TICÉ ou des scénarios indépendants de Webtélé en Français Langue Seconde, Educavox,http://www.educavox.fr/innovation/article/des-poupees-russes-tice-ou-des
- 4.Podcasts du Collège Paul-Éluard Châtillon, http://www.clg-eluard-chatillon.ac-versailles.fr/
- 5. Luc Renaud (9 mars 2012) Vers une intégration éducative efficace de la baladodiffusion, Educavox, http://www.educavox.fr/innovation/pedagogie/Vers-une-integration-educative
- 7. CERTAM, La technologie au service des aveugles et des malvoyants, http://www.certam-avh.com/content/l%E2%80%99accessibilit%C3%A9-du-web-aux-personnes-d%C3%A9ficientes-visuelles-0 Site consulté le 17 février 2013
- 8. Project Gutenberg,http://www.gutenberg.org/
- 9. Les livres pour tous http://www.livrespourtous.com
- 10. Une chasse-galerie moderne, de Contes et nouvelles du Québec, BEQ. Tome III,http://beq.ebooksgratuits.com/pdf-xpdf/Contes-Quebec-3.pdf
- 12. Conte-moi, http://www.conte-moi.net/
- 14. Audiocite, http://www.audiocite.net/
- 17. Armelle Rosetti (2010), Le choc culturel en quatre temps, dans Destination Québec http://destinationquebec.akova.ca/2010/le-choc-culturel-en-quatre-temps/
- 18. CD Le Petit Prince lu par Jean-Louis Trintignant, http://musique.fnac.com/a615352/Jean-Louis-Trintignant-Le-petit-Prince-CD-album
- 21. Citoyenneté et Immigration Canada (2006) Les Niveaux de compétence linguistique canadiens (NCLC), http://nclc-ael.ca/accueilhttp://www.language.ca/display_page.asp?page_id=2
- 22. Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec (MICC), 2011, Échelle québécoise des niveaux de compétence des personnes immigrantes adultes, MICC,http://www.immigration-quebec.gouv.qc.ca/publications/fr/langue-francaise/Echelle-niveaux-competences.pdf
- 23. Conseil de L’Europe (2000), Cadre européen commun de référence pour les langues,http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/Source/Framework_fr.pdf
- 24. L’éduc-acteur, le blogue de Luc Renaud : http://www.bloguedelucrenaud.com/
Renaud Luc

Luc Renaud est spécialisé en technologie éducationnelle et enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Détenteur d’une maitrise en éducation, il a aussi été chargé de cours à l’Université de Montréal dans le domaine de l’intégration pédagogique des TIC, et a participé à des projets de recherche portant sur la formule hybride et le socioconstructivisme. Il possède également une solide expertise en développement et expérimentation de formations en ligne et s’intéresse vivement à la collaboration internationale. 
Mal à l’aise dans le milieu scolaire, il croit à une remise en question continuelle de l’école ; il tient d’ailleurs un blogue, L’éduc-acteur, le Blogue de Luc Renaud, sur des thèmes variés, qui mettent de l’avant l’importance de l’autoformation.
Il est aussi entrepreneur, ayant démarré récemment une entreprise de consultant en technologie éducationnelle, La boîte à idées E.T.L.R. Ideas Boxdans la région de Montréal.


Montréal, Québec (Canada)