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Replacer le couple technologies/éducation dans une perspective diachronique est un exercice nécessaire pour prendre la mesure de ce que peut encore signifier la notion de nouveauté et son intrication avec l’idée de modernité qui ne va pas toujours de soi, loin de là. Pour s’en rendre compte, il suffit de mettre en relation cette histoire avec certains outils ou dispositifs récents. Il permet aussi de constater à quel point la question de la technologie en éducation est imprégnée d’enjeux sociétaux, économiques et politiques forts. 

Enfin, on peut également noter que chaque grande étape du développement des technologies dans le monde éducatif remet en question l’organisation même du système et repousse un peu plus à chaque fois les murs des institutions éducatives telles qu’elles ont été pensées au XIXè siècle.

  • Années 1960 : médias audiovisuels, télévision éducative et télé-enseignement

Radio, télévision scolaire et film pédagogique poussent à une réflexion autour de l’image fixe et animée mais aussi sur les médias grands publics et leurs impacts sur l’apprentissage en dehors de l’institution. L’enregistrement par vidéo d’une activité d’une personne et le visionnement à posteriori pose également les bases de l’autoscopie. L’usage intensif de la vidéo comme outil de formation est encore largement répandu comme dans les cMOOCs des grandes universités américaines surCoursera ou encore la plate-forme oPass@ction> destinée aux enseignants.

 

C’est le temps de la montée en puissance des travaux débutés par Skinner dès les années 1950 : le but est d’optimiser les capacités de répétition et de renforcement offertes par l’ordinateur. De l’émission Dora aux applications dites éducatives pour tablettes, cette approche pédagogique est elle aussi encore largement répandue aujourd’hui. La notion d’auto-instruction apparaît également à cette époque mais c’est surtout l’accès du grand public à la micro-informatique qui va bouleverser la donne. Elle fait d’ailleurs sont entrée comme discipline scolaire dans le secondaire à cette même époque.

  • Années 1980 : multimédia, nouvelles technologies et formation à distance (FAD)

L’ouvrage de Papert sur le système LOGO en 1981 et le Plan informatique pour tous (IPT, 1985) marquent une rupture quant à la prise de conscience du potentiel et des limites de l’outil informatique pour l’apprentissage. Apprendre à programmer et la programmation pour apprendre se retrouve aujourd’hui autour des eduhackers qui véhiculent l’idée que le code informatique serait la nouvelle base commune des lettrés de demain. Parallèlement, la réflexion autour du champ de l’information et de la communication fait son chemin et la notion de formation remplace peu à peu celui d’enseignement dans les travaux de recherche selon B. Albero (2004).

  • Années 1990 : hypermédias, technologies de l’information et de la communication (TIC) pour l’éducation (TICE), formation ouverte et à distance (FOAD)

Trois courants de recherche se structurent : l’un autour des questions techniques, l’autre deslangages et le dernier autour des usages. Le micro-ordinateur pose alors déjà la question del’ouverture, de la flexibilité, de la distance et de l’individualisation. Le centre d’intérêt des chercheurs se déplace de l’activité d’enseignement "assisté" à une focale plus centrée sur la "facilitation" des apprentissages grâce aux technologies. C’est aussi à ce moment que se développe la notion de "dispositif" de formation. Les acteurs du système éducatif français actuel sont encore largement imprégnés par les structures élaborés à cette époque, d’où la difficulté récurrente à tenir compte du bouleversement que vont opérer l’accès à internet et la mobilité à partir des années 2000.

  • Années 2000 : espaces numériques de travail, campus numérique, mondes virtuels, technologies usuelles de l’information et de la communication (TUIC)

Le web bouleverse déjà les travaux scientifiques en terme de quantité, d’hétérogénéité, de réalisation et de diffusion. Les technologies émergentes de l’époque tendent à se structurer autour des notion devirtuel, de campus ou encore d’environnement. On constate également que la formation à distance se centre davantage sur des approches pédagogiques basés sur le collaboratif, le coopératif ou encore la place du tutorat. Le système éducatif tient compte de ces avancées en créant le B2ien décembre 2000 qui met l’accent sur une approche basée sur les compétences que doivent développer les élèves face à ces technologies.

  • Années 2010 : numérique éducatif, web 2.0, médias sociaux, cours en ligne massivement ouverts (MOOCs)

Enfin, bien que le recul critique nous manque pour mettre en lumière quelles seront les grandes tendances des années 2010, on peut d’ores et déjà émettre quelques hypothèses à partir des sujets récents. On peut en effet noter la volonté des acteurs d’intégrer et de mettre en relation ces technologies au service "d’écosystèmes" tournés vers l’apprentissage. Les notions d’ouverture et demobilité permettent de poursuivre la réflexion autour des temps et des espaces de l’apprentissage dans notre société. Les frontières entre éducation, formation et travail sont de plus en plus poreuses, de même que les relations entre enseignant, apprenant et savoirs.
 
 
Technologies et éducation forment donc un couple d’une bonne cinquantaine d’années qui ne prend pas une ride, au contraire, mais qui radote souvent. Leur relation est tumultueuse, marquée par des influences nombreuses et complexes. Tout l’enjeu est de tenir compte de cette longue histoire et d’éviter l’amnésie collective récurrente pour passer de la "nouveauté" technologique à une véritable "modernité" pédagogique.
 
 
 
 
Billet publié initialement sur ce blog.
 
 
Tavernier Jeff

Professeur, formateur et chargé de mission