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Devant une assemblée nationale clairsemée, Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat au numérique, a présenté la stratégie numérique du gouvernement.
Article proposé par e-alsace.net

C'était le 14 janvier dernier et l'intervention est passée un peu sous silence dans une actualité dominée par les attentats.

Le discours d'Axelle Lemaire à l'Assemblée nationale était pourtant d'importance. C’est la feuille de route pour tous les acteurs de l’économie numérique.

Elle a aussi présenté l'agenda du numérique pour les prochains mois.

Voici le texte de son intervention.

"Ce débat d’orientation, vous l’avez voulu, et je remercie le groupe SRC de l’avoir inscrit cette semaine et de me donner ainsi la possibilité de m’exprimer et d’aborder la question globale de la stratégie numérique du gouvernement.

Mais c’était avant que de terribles attentats ne viennent blesser notre pays, avant que le monde entier ne tourne les yeux vers la France pour découvrir une forme de barbarie, en même temps qu’une volonté de résistance exemplaire. Après le choc et son absorption, la réflexion, avant la décision. Or cette actualité concerne tous les services de l’État et tous les pans de la société : justice, sécurité, médias, éducation, transports, santé.

Le numérique et Internet n’y échappent pas et vous avez hier, comme moi, entendu le Premier ministre demander au ministre de l’Intérieur de lui faire des propositions d’ici une semaine quant aux moyens de lutter contre les possibilités d’embrigadement par le biais d’Internet, notamment auprès des jeunes, contre la prise de contact et la mise en réseau d’individus, et contre l’acquisition de techniques qui peuvent encourager le passage à l’acte terroriste.

Nous travaillerons avec le ministre de l’Intérieur et la garde des Sceaux à la formulation de ces propositions pour qu’à droit constant – j’insiste sur ce point – et sans recourir à une loi d’exception, nous puissions renforcer plus encore l’efficacité des dispositifs réglementaires et techniques existants. Vous serez pleinement consultés dans ces travaux, mesdames et messieurs les députés.

Mais aujourd’hui l’heure n’est pas aux annonces et je concentrerai mon propos sur la vision globale, très ambitieuse, que défend le gouvernement pour que le potentiel du numérique soit pleinement exploité comme un outil mis au service du développement économique, de la création d’emplois, de l’égalité, de la démocratie, du service public, bref de nos fondamentaux, dont le logiciel doit néanmoins être actualisé pour construire ensemble la République à l’heure du numérique, la République numérique.

Le numérique génère souvent des appréhensions – vous le constatez dans vos circonscriptions –, mais il permet beaucoup en termes de partage, de mobilisation citoyenne, d’échanges. Regardez ainsi ces centaines de dessins qui ont circulé dans le monde entier, exprimant, à travers tant de cultures et dans tant de langues, une valeur universelle, la liberté d’expression. La solidarité de la planète, nous l’avons un peu mesurée avec les 6,6 millions de tweets « Je suis Charlie ». Cette puissance du numérique peut servir le meilleur comme le pire, mais elle est et doit rester un outil. Ce n’est pas grâce à Internet que nous avons la liberté d’expression, mais grâce aux 4 millions de Français qui ont manifesté pour la défendre. Ils ont brandi des stylos – peut-être parce que Cabu n’aimait pas les ordinateurs et n’avait pas de téléphone portable –, mais s’ils avaient brandi des smartphones ou des tablettes, le symbole aurait été le même.

Le numérique est aussi une formidable opportunité de développement et de croissance pour notre pays et une véritable chance – à condition de la saisir et de ne pas verser dans une sorte de « technophilie » qui s’imposerait au détriment du progrès humain.

Cette année 2015 est une année essentielle aux plans international, européen et national. En décembre se tiendra un rendez-vous important à l’ONU sur la gouvernance de l’Internet, pour célébrer les dix ans du Sommet mondial sur la société de l’information. À Bruxelles seront certainement adoptés plusieurs textes très attendus, concernant notamment les données personnelles, la neutralité des réseaux, la cybersécurité, l’itinérance mobile. C’est en mai 2015 que la Commission européenne dévoilera son plan d’action pour le numérique. Cela tombe bien, et il faut croire que le calendrier n’est pas toujours hasardeux, puisque la France publiera sa propre stratégie en mars, sous trois formes : un projet de loi numérique, un plan de mesures concrètes à caractère national, et un plan stratégique à déployer au niveau européen avec nos partenaires.

Le Premier ministre a lancé le 4 octobre dernier une concertation sur le numérique, organisée par le Conseil national du numérique – CNN –, qui mobilise citoyens, entreprises, administrations, collectivités locales et société civile pour définir ensemble notre projet numérique. La plateforme en ligne dédiée, ouverte jusqu’au 4 février 2015, a reçu à ce jour plus de 3 000 contributions. Leur analyse alimente en continu les travaux du gouvernement. C’est la première fois que nous menons un tel exercice. Pour la première fois, en effet, les ministères – une dizaine au total – ainsi que les différentes administrations de l’État participent, très en amont, à des échanges en vue de la rédaction d’un projet de loi et contribuent directement sur une plateforme publique.

Ce projet de loi est une occasion d’innover en démocratisant l’élaboration de la loi et nous la saisissons. Dans le même esprit, je m’assurerai que l’étude d’impact qui lui sera associée soit la plus complète possible.

Voici donc l’agenda qui nous attend : le 4 février, fin de la concertation numérique en ligne ; fin février, rapport du Conseil national du numérique ; en avril, présentation en Conseil des ministres de la stratégie numérique de la France ; en mai, présentation de la stratégie de la Commission européenne. Enfin, si possible durant le premier semestre, présentation au Parlement d’un projet de loi relatif au numérique.

Dans le secteur numérique, je combats la thèse du « déclinisme ». Nous n’avons pas de retard, nous avons même de l’avance.

Trois exemples le confirment. Tout d’abord, nos écosystèmes d’innovation, ancrés dans les territoires, animés par des entreprises et en particulier des start-ups très investies et performantes, désormais fédérées autour de la bannière de la French Tech, largement remarquée la semaine dernière lors du Consumer Electronics Show aux États-Unis. Autre exemple, notre « e-gouvernement » et en particulier nos services publics en ligne, nous classent au quatrième rang mondial – cela donnerait presque envie à certains de payer leurs impôts…

L’objectif du gouvernement est de conserver cette avance et de l’améliorer pour nous hisser sur le podium des pays les plus avancés numériquement. Le gouvernement tient à s’assurer que cette stratégie bénéficie à tous et pas uniquement à quelques « happy few ».

Pour cela, il propose de tirer au maximum parti de l’économie de la donnée, de la data, en proposant notamment des formations en adéquation avec les besoins du marché d’aujourd’hui et les métiers de demain, en intégrant dans la mesure du possible une approche algorithmique afin de rendre les politiques publiques plus préventives, mieux ciblées et plus efficaces, et en faisant en sorte que les modèles économiques soient plus tournés vers la création de valeurs à partir de cette valeur immatérielle qu’est la donnée.

Il convient de renforcer et d’élargir l’ouverture des données publiques engagée depuis plusieurs années par l’État et les collectivités territoriales – ce que l’on appelle en anglais l’open data – pour rendre mieux compte de l’action publique, faire gagner en efficacité les nombreux services du quotidien, faire émerger les connaissances utiles au développement de l’innovation.

Nous réfléchissons à la création d’une nouvelle catégorie de données : la donnée d’intérêt général, qui pourrait par exemple s’appliquer aux transports.

Enfin, nous souhaitons que cette économie et cette société de la donnée n’émergent pas au détriment de la protection de la vie privée. Il faut pour cela introduire de nouveaux droits pour les individus dans le monde numérique, sans entrer en contradiction, naturellement, avec les négociations menées à Bruxelles sur la protection des données personnelles.

Avec la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, nous avons été précurseurs, dès 1978. Mais c’était avant Internet, avant les réseaux sociaux. De nouveaux droits peuvent être imaginés, au-delà de la seule question des données personnelles : accès facilité au contenu des informations détenues sur soi par des tiers ; actions collectives par lesquelles les usagers des services en ligne pourraient peser davantage face aux géants de l’Internet ; création d’un droit au déréférencement, voire à l’effacement des données sur Internet, qui s’appliquerait automatiquement pour les mineurs, particulièrement friands des réseaux sociaux ; amélioration de l’efficacité de la preuve électronique, dont la valeur doit être plus largement reconnue et l’usage davantage répandu dans un environnement bien sécurisé ; amélioration de la vie quotidienne des personnes en situation de handicap, à travers une meilleure maîtrise des outils numériques ou, souvent, grâce à ces outils eux-mêmes.

Par ailleurs, pour tirer pleinement parti de l’économie de la donnée, il convient de revoir les missions de la Commission nationale de l’informatique et des libertés – CNIL –, afin de mieux accompagner les entreprises en amont, dans un environnement juridique qui peut être complexe, de mieux les informer sur les possibilités d’innovation, et, aussi de les sanctionner plus lourdement en cas de manquement au droit. Lorsqu’un Google, qui engendre un bénéfice net de 3 milliards de dollars au seul troisième trimestre 2014, ne respecte pas la loi française sur les données personnelles, faut-il se contenter d’une sanction maximale de 150 000 euros ?

Toujours dans le domaine économique, nous souhaiterions conforter et sécuriser le cadre de l’économie du partage – partage d’automobiles, de logements, d’espaces de rangement, de places de parking, etc. : les possibilités de créer des circuits courts sont infinies –, afin de permettre, dans le respect de la loi et notamment du droit de la concurrence, un recours accru à ces services, source d’un meilleur pouvoir d’achat pour nos concitoyens.

Accompagner la transformation numérique de l’ensemble du tissu économique, tel est l’enjeu économique principal. Les start-ups, les jeunes entreprises innovantes à très forte croissance, qui créent des emplois – 8 % des entreprises à plus forte croissance créent 65 % des emplois en France aujourd’hui – doivent pleinement contribuer à cette transformation, grâce à la valeur ajoutée qualitative de notre économie.



Deux défis nous attendent : il s’agit, en premier lieu, de faciliter l’accès des entreprises à la commande, qu’elle soit publique ou privée, et, en second lieu, de faciliter l’accès au financement de leurs projets entrepreneuriaux, en diversifiant ces sources de financement.

Il faut aussi que le développement des infrastructures dans les territoires s’accompagne d’une meilleure diffusion des usages – télémédecine, e-éducation, Big Data, administration en ligne, notamment.

De plus, aujourd’hui, les citoyens ne comprennent pas qu’ils n’aient pas accès à la couverture mobile partout en France. Il convient donc de revoir certaines obligations de couverture mobile, en réformant la prestation du service universel de publiphonie – pourquoi ne pas installer le WiFi dans les cabines téléphoniques ? – et en développant la médiation. Il faut en effet reconnaître le métier de médiateur numérique, essentiel pour la diffusion des usages et l’inclusion de tous.


Toujours sur le plan économique, nous souhaitons instituer un cadre équilibré, répondant à trois exigences. La première est l’ouverture, conformément au principe de la neutralité des réseaux, et passe par la promotion de formats ouverts et interopérables, le développement de la portabilité des données et l’accès ouvert aux publications de recherche.



La deuxième exigence est de garantir la loyauté des plateformes de services qui dominent pratiquement la vie économique. Il faut donc lutter contre certaines pratiques anticoncurrentielles et améliorer l’information des utilisateurs et la transparence, en particulier dans la publicité digitale.

Enfin, s’agissant de la fiscalité du numérique, faut-il accepter qu’il existe, lors du paiement de l’impôt sur les sociétés, un rapport de un à dix entre le revenu déclaré en France et le chiffre d’affaires estimé pour les activités menées dans notre pays ?

Le gouvernement, lui, le refuse, et affiche sa volonté de faire avancer, aux niveaux européen et international, les moyens de lutter contre l’optimisation fiscale pratiquée par les plateformes du numérique. Ces stratégies de détour par les paradis fiscaux érodent en effet les bases fiscales et mettent en cause notre système social redistributif.

Voilà le tour d’horizon, assez large, de la stratégie numérique – ambitieuse, vous l’aurez compris – du gouvernement. Cette ambition, c’est une économie redynamisée, une confiance restaurée entre les citoyens, un avenir repris en main et réapproprié.

Telles sont certaines des clés de la République numérique que j’appelle de mes vœux : croissance, inclusion, confiance. Telle est l’ambition numérique de notre pays".

À découvrir ici en vidéo...

 
Dernière modification le lundi, 16 mars 2015
An@é

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