La vie lycéenne fut tellement délaissée ces dernières années, voire parfois méprisée en certains lieux, que bien des élèves que l’exercice de la démocratie à l’école enthousiasmait, s’étaient peu à peu désintéressés de l’affaire.
« Les rapports de l’inspection générale de l’éducation nationale […] révèlent en revanche une réalité contrastée sur le terrain. »
Oh le bel euphémisme !
Oublions le passé. Cet acte II est censé remettre du baume au cœur de celles et ceux qui se battent pour l’exercice de la démocratie lycéenne. Rien de très nouveau mais la réaffirmation des principes et des incitations à la pelle pour les chefs d’établissement dont il est facile d’imaginer que certaines n’auront strictement aucun effet, à commencer par l’idée improbable de dégager deux heures dans l’emploi du temps pour l’exercice effectif du mandat des élus. De même, cette circulaire rappelle l’aide indispensable que ceux d’entre les élus de la vie lycéenne qui ont la chance d’être représentants de leurs camarades aux niveaux académique et national, aide financière pour leurs déplacements mais aussi aide pour rattraper les cours auxquels ils n’ont pu assister.
La circulaire « acte II » mentionne aussi l’obligation à créer partout une Maison des lycéens censée se substituer au foyer socioéducatif. Enfin, il est rappelé que doit être rédigée une charte des droits des lycéens, censée, elle aussi, être annexée au règlement intérieur qui est remis à la rentrée à chaque élève du lycée. Il s’agit en fait, selon le modèle présenté ci-contre, d’une compilation des droits déjà inscrits dans le code de l’éducation. Rien de très nouveau ni négocié donc, comme d’habitude…
À noter, sur ce point des droits, l’utile travail de l’association Droit des lycéens.
Un média dans chaque lycée
Cet acte II, vous l’avez compris, au-delà du rappel essentiel des principes qui fondent la vie lycéenne, est plutôt décevant et n’apporte rien de vraiment nouveau. Pire, il se termine par un paragraphe invraisemblable qui témoigne de l’incapacité de ses rédacteurs à prendre en compte les pratiques numériques et donc médiatiques des jeunes, en l’occurrence des lycéens.
« Les acteurs de la vie lycéenne sont en première ligne pour permettre la réalisation de l’objectif de doter chaque établissement d’au moins un média lycéen (journal, radio, Web TV…) »
Un média par établissement ? Quelle drôle d’idée ! Ce n’est pas nouveau. Déjà, en mars dernier, à propos de l’éducation aux médias qui trouve place maintenant dans tous les enseignements, de l’école au lycée, la ministre répond aux journalistes qui l’interrogent :
« J’ai voulu que cet enseignement s’appuie sur la création de médias par les élèves eux-mêmes : radio, blog ou journal. Ces médias sont tenus par les élèves eux-mêmes car, pour comprendre le fonctionnement des médias, rien de mieux que d’en fabriquer soi-même. Je souhaite donc que soit développé au moins un média par collège et par lycée. De plus en plus de blogs et de journaux sont créés, de même que des télés et des radios, dont le nombre a doublé depuis janvier 2015. »
C’est en effet une drôle d’idée que la création de ce journal d’établissement — on notera que les écoles en sont exemptées, allez savoir pourquoi ! — car il y a belle lurette que les collégiens et les lycéens n’ont pas attendu les injonctions ministérielles pour s’improviser multiproducteurs d’information sur tous les supports numériques disponibles. Depuis quinze ans, personne ou presque ne s’est préoccupé d’accompagner ces jeunes journalistes, seuls ou organisés, en travaillant à leur apprentissage de l’autonomie et de la responsabilité, voire à l’acquisition de quelques règles de la déontologie du journaliste.
Cette franche et anarchique dérégulation ne plait pas à tout le monde, c’est un truisme. Comme disait Pierre Arditi, qui est l’acteur que je cite le plus souvent : « C’est formidable que les gens s’expriment… après tout pourquoi pas… ». Non, pour la ministre et ses conseillers, pour le Clemi, pour l’association Jets d’encre qui délivre une carte de presse jeune, un bon journal est quelque chose d’organisé, doit s’appeler journal du collège ou du lycée, avec un rédacteur en chef et une équipe avec lui (elle). Tout cela doit faire l’objet de préférence d’un dépôt pédagogique et, pour bien faire, cela doit être du bon et franc papier qu’on peut aussi distribuer à la famille — bien sûr, il existe de belles exceptions, à commencer par ce qu’on peut lire sur les revues de presse compilées par le Clemi.
Vous comprenez, un vrai journal comme avant, ça fait tellement plaisir aux professeurs !
Mais ça ne fonctionne pas comme ça ! D’abord parce que ces collégiens et lycéens, plus les deuxièmes que les premiers, font ce qu’ils veulent, où ils veulent. C’est d’ailleurs ce que répond la ministre elle-même « Ces médias sont tenus par les élèves eux-mêmes » au contraire de la tonalité générale du Bulletin officiel. Oui, les élèves font ce qu’ils veulent, usent de leur liberté à s’exprimer et publient textes, dessins, photos et vidéos. Comme des médiateurs, ils réécrivent et commentent l’actualité, sur Snapchat, sur Instagram, dans des groupes Facebook, sur Twitter, sur des blogues coopératifs… délaissant de fait le papier qui leur est devenu complètement étranger. Ils s’exposent bien souvent au double risque de l’abus de cette liberté et de la censure institutionnelle. Les exemples à ces deux derniers sujets sont pléthore et ont été longuement évoqués sur ce blogue-même.
Et si on voulait vraiment raccrocher à ces démarches des objectifs disciplinaires, on peut faire comme François Jourde avec ses élèves qui philosophent…
Pourquoi ne pas les accompagner dans ces nouvelles pratiques ? Pourquoi ne pas les encourager, puisque tous nos élèves sont devenus eux-mêmes des médias ? Pourquoi un texte refondateur de la vie lycéenne ne ferait-il pas le pari d’éduquer à tous les médias et à l’information, de manière un peu plus confiante, bienveillante et prospective plutôt que de se laisser aller aux vieux schémas du précédent millénaire ?
« Je vous invite à répondre favorablement aux besoins ou demandes d’expression qui pourraient avoir lieu dans les classes… »
C’est ainsi que s’exprimait la ministre après Charlie. Et si c’était la bonne méthode ? Comment a-t-on pu passer, en quelques mois, de cette attitude d’écoute et d’accompagnement aux injonctions de l’acte II de la vie lycéenne ? Un effet du détour par la Dgesco qui signe la circulaire ?
J’en profite pour renouveler ma proposition à la ministre de prendre l’initiative d’offrit un blogue à chaque élève (1).
« Plus de 12 millions de blogueuses et de blogueurs à l’école, ce serait un drôle de challenge pour demain ! »
Le bulletin officiel du premier décembre dernier, voir ci-contre, nous assène une nouvelle d’une belle importance : la création immédiate de conseils de la vie collégienne. Pour ma part, pour tout vous dire, je ne m’y attendais pas. C’est une belle surprise, un joli cadeau pour les fêtes.
Le site Legifrance propose la lecture du décret qui date, lui, du 29 novembre. Les chefs d’établissement et les conseillers d’éducation des collèges vont pouvoir s’emparer de ces nouveaux outils pour donner, de manière formelle, la parole aux élèves sur les sujets qui concernent la vie du collège. Il s’agit d’un grand pas pour faire vivre la démocratie scolaire et lui donner un nouveau souffle. J’exprime un regret, pour ma part : si le décret prévoit de donner la présidence du CVC au chef d’établissement, il ne prévoit pas la vice-présidence d’un élève élu, contrairement à ce qui se passe en lycée.
C’est dommage, mais c’est quand même une bonne nouvelle. On n’a pas tous les jours l’occasion d’en annoncer. Profitons…
Michel Guillou @michelguillou
- Pour libérer la parole des élèves, offrons-leur un blogue à chacun ! https://www.culture-numerique.fr/?p=2995