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L’Académie des sciences rêve ! Mais de quoi ? D’une autre École. « Le projet « L’École dont nous rêvons » a été initié et est soutenu par l’Académie des sciences ». « Dans le cadre du groupe d’initiative qu’elle pilote au sein de l’Académie des sciences depuis le printemps 2024, Laure Saint-Raymond, professeure permanente à l’IHES, vient de lancer une consultation publique sur « L’École dont nous rêvons ».[1] » Je vous propose quelques remarques à ce projet.

Un projet récent

Ce projet fut lancé par un Communiqué de presse de l’Académie des sciences le 21 janvier 2025[2]Laure Saint Raymond[3] a proposé une présentation sur Youtube[4]. Un manifeste est téléchargeable sur le site des éditions NANE[5]. Ce projet prévoit et a déjà commencé la tenue de réunions sur le terrain, dans des établissements, mais aussi de recueillir des propositions individuelles exprimables à partir d’un formulaire[6]. « Cette initiative a pour ambition de co-construire, avec les multiples interlocuteurs de l’École, des propositions de réformes structurelles permettant une véritable transformation de la scolarité obligatoire et de l’enseignement des sciences. » Et il ne faut pas le confondre avec le projet « L’école de nos rêves » élaboré par le Changement pour l’égalité (CGE) proposé par un collectif belge[7]. En tout cas, le rêve d’une autre école est largement partagé sur le net.

Le Manifeste, intitulé « SI ON VOUS DIT « ÉCOLE », DE QUOI RÊVEZ-VOUS ? » est le résultat du travail d’un collectif dont n’est indiqué qu’une liste de fonctions et non de personnes (une quarantaine de personnalités d’horizons variés (personnels de l’éducation nationale, experts en éducation et développement de l’enfant, scientifiques, sociologues, journalistes, philosophes, psychologues, médecins, acteurs associatifs…). Ce document propose 24 thèmes de réflexions issus de ce travail, organisé sous la forme d’un abécédaire. Chacun peut contribuer en envoyant ses réflexions à partir de ces thèmes ou d’autres. Il est aussi la base pour organiser des rencontres partout sur le territoire qui seront organisées autour de trois questions :

  • L’établissement scolaire, comment organiser cette fourmilière ?
  • Prof, un métier de lien, quel métier demain ?
  • Élève, une multitude de compétences à développer, sur quels adultes s’appuyer ?

L’objectif de tout ceci serait « de proposer quelques mesures structurelles concrètes qui permettraient une véritable transformation de l’École. »

Comment quelques mesures structurelles pourraient sortir d’un tel dispositif ?

Un rêve bien limité

Cet abécédaire rassemble des thématiques très disparates.

On y trouve des questions d’ordre pédagogiques, des interrogations sur les objectifs, et des considérations sur les acteurs (de l’EN, mais aussi les familles et, bien sûr les élèves). Mais des absences sont à relever. La structure, l’architecture de notre système ainsi que son fonctionnement ne sont pas interrogés.

De quelle école rêvée s’agit-il ? La réponse se trouve en page 8 de la présentation : « C’est cette École de l’instruction obligatoire (primaire et collège), plus ambitieuse que jamais, dont nous tentons de définir les contours dans ce texte, avec le souhait qu’il puisse alimenter les débats sur le terrain. » On a là une limitation du champ de la réflexion qui sera à interroger à son tour.

Une explication peut se trouver dans la manière dont le Manifeste résume le système à deux acteurs (p 8). Il y a d’abord l’État qui « définit la politique éducative, notamment les contenus pédagogiques et le pilotage des ressources humaines, dans une logique d’équité territoriale et d’authentique mixité sociale ».

L’autre acteur, c’est l’établissement scolaire. Il « est l’échelon qui permet de mettre en œuvre collectivement la politique éducative. Il dispose d’une autonomie décisionnelle et financière suffisante pour rendre effective cette mise en œuvre locale. Un accompagnement dans la durée et une évaluation périodique garantissent l’efficacité de cette autonomie ». Ainsi, le ministère, ses services et organismes qui lui sont rattachés, mais aussi les rectorats et les DSDEN, toutes ces hiérarchies intermédiaires sont curieusement éliminées. Or, ce sont elles qui répartissent les moyens et qui peuvent ou pourraient mener une politique pertinente pour les territoires, un espace social qui va bien au-delà d’un établissement.

Le manifeste se concentre sur l’établissement comme lieu du changement, en tant que source et de mise en œuvre de celui-ci, sous certaines conditions. Deux de ces conditions me semblent discutables, ou manquer de précisions.

Tout d’abord, la nécessité du travail collectif. « Le travail collectif et la concertation entre acteurs permettent la construction d’un projet éducatif d’école et d’établissement auquel chacun peut contribuer. Le temps nécessaire à ce travail collectif est pris en compte dans les missions des différents acteurs » (p 9). Il y a deux aspects dans cette condition. D’un côté il y a nécessairement une réorganisation du fonctionnement des établissements et de ses diverses instances à penser ou à repenser. Si on mise sur l’autogestion spontanée, il est alors nécessaire de supprimer les statuts hiérarchiques et les instances institutionnelles de l’établissement scolaire. Ou bien ce travail doit être organisé, et la remarque sur son intégration dans les missions le laisse supposer, et, dans ce cas, il doit être organisé et diverses instances doivent être instituées dans l’établissement scolaire.

Il faut ajouter que l’intégration du travail collectif dans les missions des acteurs, et les conditions de son exercice suppose de fait une redéfinition du temps de travail contraint des acteurs. Mais cette conséquence, pour assurer le travail collectif, vecteur et condition du changement, n’est nulle part évoquée. Cette conception du collectif comme un appel à la bienveillance et à la bonne volonté de tous évite de s’affronter au problème institutionnel des statuts, assez délicat en France.

La deuxième condition qui m’interroge est celle-ci : « Ce projet s’inscrit dans la durée et est évalué avant éventuellement d’évoluer » (p 9). La question de l’évaluation des actions, des innovations est en effet essentielle, mais pose la question de qui la fait et pourquoi. Il y a ici un silence ambigu sur ce point. Ce rôle d’évaluateur de la réalisation du projet d’établissement doit-il être tenu par un personnel extérieur, et lequel ? Les inspecteurs pourraient jouer ce rôle, comme ils le jouent dans beaucoup d’autres pays, à la condition de perdre définitivement leur position hiérarchique et leur fonction de contrôle. Ou bien on peut considérer qu’il s’agit d’une pratique collective à intégrer dans la démarche même du projet[8] ? Cette démarche pourrait être accompagnée par des personnels extérieurs, spécialisés et sans liens hiérarchiques, à la demande de l’établissement.

Limiter l’École à l’espace de l’instruction obligatoire évite deux points importants à mes yeux.

On évite d’abord une réflexion sur l’architecture de notre système scolaire, et notamment la distinction des trois voies de formation à l’issue du collège, et ensuite, bien sûr, l’articulation du collège avec sa suite. Articulation que l’on pourrait nommer autrement, les procédures d’orientation. Faire cette impasse n’est pas anodin comme je ne fais que le répéter sur ce blog. Nos procédures d’orientation représentent la pointe de l’iceberg de la méritocratie.

Bernard Desclaux

Article publié sur le site : Le blog de Bernard Desclaux » Blog Archive » Le rêve de l’Académie des sciences

[1] https://www.ihes.fr/lecole-dont-nous-revons/

[2] Académie des sciences, Institut de France. COMMUNIQUÉ DE PRESSE, Le 21 janvier 2025. « De quelle école rêvez-vous ? » : pour une École plus agile. https://www.academie-sciences.fr/sites/default/files/2025-01/CP%20Ecole%20dont%20nous%20revons%20VF.pdf

[3] Voir sur Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Laure_Saint-Raymond. Et très intéressant son interview au Monde Laure Saint-Raymond, mathématicienne (17 novembre 2024). « En sciences comme avec ses enfants, on passe son temps à se tromper ». https://www.lemonde.fr/intimites/article/2024/11/17/laure-saint-raymond-mathematicienne-en-sciences-comme-avec-ses-enfants-on-passe-son-temps-a-se-tromper_6398024_6190330.html

[4] Présentation L’École dont nous rêvons – Laure Saint Raymond https://www.youtube.com/watch?v=TDvpKqMo4Do

[5] Si on vous dit « École », de quoi rêvez-vous ? Manifeste L’École dont nous rêvons suivi de l’Abécédaire de l’École. https://www.nane-editions.fr/produit/145/9782843682650/si-on-vous-dit-ecole-de-quoi-revez-vous

[6] Le formulaire de contribution https://academie-sciences.prod.aa-testing.tech/sites/default/files/2025-01/Mod%C3%A8le%20contribution.pdf

[7] CGE. (2014). L’école de nos rêves. https://changement-egalite.be/l-ecole-de-nos-reves/

[8] Aubert-Lotarski, A., Lecointe M., Maës, B., Rebinguet, M., Saint-Jean, M., (2006). Conduire un audit à visée participative : établissements scolaires services associations… Chronique sociale.

Dernière modification le vendredi, 16 mai 2025
Desclaux Bernard

Conseiller d’orientation depuis 1978 (académie de Créteil puis de Versailles), directeur de CIO à partir de 90, je me suis très vite intéressé à la formation des personnels de l’Education nationale. A partir de la page de mon site ( http://bdesclaux.jimdo.com/qui-suis-je/ ) vous trouverez une bio détaillée ainsi que la liste de mes publications.
J’ai réalisé et organisé de nombreuses formations dans le cadre de la formation continue pour les COP, , les professeurs principaux, les professeurs documentalistes, les chefs d’établissement, ainsi que des formations de formateurs et des formations sur site. Dans le cadre de la formation initiale, depuis la création des IUFM j’ai organisé la formation à l’orientation pour les enseignants dans l’académie de Versailles. Mes supports de formation sont installés sur mon site.
Au début des années 2000 j’ai participé à l’organisation de deux colloques :
  • le colloque de l’AIOSP (association internationale de l’orientation scolaire et professionnelle) en septembre 2001. Edition des actes sous la forme d’un cd-rom.
  • les 75 ans de l’INETOP (Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle). Edition des actes avec Remy Guerrier n° Hors-série de l’Orientation scolaire et professionnelle, juillet 2005/vol. 34, Actes du colloque : Orientation, passé, présent, avenir, INETOP-CNAM, Paris, 18-20 décembre 2003. Publication dans ce numéro de « Commentaires aux articles extraits des revues BINOP et OSP » pp. 467-490 et les articles sélectionnés, pp. 491-673
Retraité depuis 2008, je poursuis ma collaboration de formateur à l’ESEN (Ecole supérieure de l’éducation nationale) pour la formation des directeurs de CIO, ainsi que ma réflexion sur l’organisation de l’orientation, du système éducatif et des méthodes de formation. Ce blog me permettra de partager ces réflexions à un moment où se préparent de profonds changements dans le domaine de l’orientation en France.
Après avoir vécu et travaillé en région parisienne, je me trouve auprès de ma femme installée depuis plusieurs années près d’Avignon. J’y ai repris une ancienne activité, le sumi-e. J’ai installé mes dernières peintures sur Flikcr à l’adresse suivante : http://www.flickr.com/photos/bdesclaux/ .