Comme pour donner corps à cette injonction, Véronique Anger de Friberg plaçait cette cinquième édition du Forum dans la continuité des Di@logues Stratégiques créés en 2013 pour rendre hommage aux penseurs du Groupe des 10, dont deux étaient présents : Henri Atlan et Joël de Rosnay.
Par des approches systémiques et transdisciplinaires avec des partenaires de tous les univers, il s’agit d’inspirer un modèle de société plus équitable. Avec un sous-titre quelque peu hédoniste, inspiré du dernier livre de Joël de Rosnay "Je cherche à comprendre… les codes cachés de la nature" (Ed. Les Liens qui libèrent, 2016), les débats étaient lancés par les propos introductifs de l’auteur.
Des hommes et des robots, le début d’un long travail
Pour Joël de Rosnay il s’agit d’un thème aux multiples facettes : à la fois politique scientifique, philosophique et technique.
Puisqu’il faut aujourd’hui ajouter l'intelligence naturelle et artificielle, nous allons atteindre un point de singularité dans lequel les machines et les robots vont apprendre plus vite que nous. Nous pourrions dès lors assister à la supplantation des humains par les robots comme le craignent Bill Gates, Stephen Hauwking ou Elon Musk.
Il existe bien un risque de disparition de travail, car de nombreux métiers seront pris par l’Intelligence Artificielle, notamment avocats (on analyse la jurisprudence de 5 ans en 5 secondes), 75000 publications par mois à lire par un médecin. Le deep learning le fait en 5 secondes, et en plus il peut faire de la traduction automatique.
On appellera cela l'hyper humanisme qui s'oppose au transhumanisme qui est par essence individualiste. L'entreprise pourrait se transformer en plateforme coopérative d'indépendants. Le management nouveau de l'entreprise digitale faite de personnes indépendantes augmentées grâce à l'Intelligence Artificielle est à inventer.
L’Intelligence artificielle : un sujet clivant pour les Français
Sur ce thème, Gaël Sliman, le patron d’Odoxa commentait les résultats d’un sondage « La vie aux humains, le travail aux robots » réalisé par le Baromètre mensuel de l'innovation.
Il s’agit d’un sujet clivant, puisque la France est partagée en deux : l’Intelligence Artificielle est perçue à la fois comme une chance et comme une menace. Ce clivage passe par les catégories exclues de la mondialisation : les moins diplômées, les jeunes, les personnes âgées des classes populaires ont peur à 60%. A l’inverse les diplômés du supérieur voient l'Intelligence Artificielle comme une chance pour les deux-tiers d’entre eux.
L'intégration sociale fait donc le clivage entre espoir et peur. Mais les deux-tiers pensent que la France peut être un leader dans ce domaine : c’est l’un des rares sujets où les Français ont un regard positif. Le développement de l’Intelligence Artificielle est vu de façon positive d'abord dans le domaine de la santé, l’équipement informatique et les transports. 62% pensent que les robots seront présents partout autour de nous dans les dix ans. Dans tous les domaines de la vie quotidienne les Français pensent que l'Intelligence Artificielle sera une opportunité, hormis pour l'emploi.
Les Français souhaitent donc l’inverse de ce qui était affirmé : le travail doit être conservé par les humains. Le développement de l’Intelligence Artificielle doit être accompagné d'un enseignement spécifique à la robotique et à l'Intelligence Artificielle dès le collège.
Le comportement hommes-machines : un vrai sujet
Il faut désormais tenir compte de l'Intelligence Artificielle dans le travail pour Joël de Rosnay.
Il y a aujourd’hui plus de travailleurs indépendants, moins de CDI ; avec les robots les interfaces vont s'humaniser de plus en plus, à l’exemple robots d’Apple TV, des chatbots qui vous écoutent et vous répondent par la parole. Le dialogue avec les machines va de plus en plus s'imposer pour créer de nouvelles interfaces qui pourront détecter directement dans le cerveau des mouvements synoptiques pour rechercher des informations.
Pour Laurence Devillers, professeure chercheuse en informatique à l’université Paris Sorbonne (CNRS), spécialiste des chatbots, on est encore loin d'une technologie avancée dans le domaine du dialogue avec les robots.
L’Intelligence Artificielle est sans doute intéressante pour gérer des pathologies, mais pas pour gérer des humains. La coévolution humain-machine dans tous les aspects, notamment le travail, pose question car des visions différentes existent : par exemple avec le Japon qui ne comprennent pas la question de la déshumanisation alors qu'ils sont déjà dans une relation artificielle de couple.
Si 10% des emplois sont remplacés par les machines, il y a surtout un nouveau rapport hommes-machines au travail.
L’enjeu est de comment former les gens à mieux appréhender ces technologies. Il faut travailler sur la mise en place de garde-fous éthiques dans tous les domaines : un vrai secteur de recherche est l'étude du comportement hommes machines.
Jean-Gabriel Ganascia, professeur d’informatique et spécialiste de l’Intelligence Artificielle (Paris VI), avance qu’il ne faut pas agiter des chiffons rouges.
Il convient en effet d’examiner de manière critique la prospective et notamment l’étude de l’université d'Oxford[1] qui dit que Intelligence Artificielle dépassera les humains au cours des dix prochaines années. Dans quels domaines ? La traduction des langues, certes mais il existe une grande marge entre traduire un rapport et un roman ou de la poésie : on ne se passera pas de traducteurs. Que nous annonce l’étude d’Oxford ? Qu’on pourra écrire des essais scolaires, conduire des véhicules, faire du commerce détail, écrire un Best seller (mais oui), et faire de la chirurgie en 2053 ! Ces résultats sont tout à fait discutables car il s’agit d'une étude fantaisiste qui n'a aucun fondement.
Pour mieux cerner le sujet « travail », il faut revenir à Anna Harendt qui distingue trois forme de travail : le « labor », l'œuvre et l'action politique.
Un certain nombre de labeurs disparaissent avec les robots, en revanche l'œuvre et l'action vont se développer car elles nécessitent beaucoup de compétences. Il est extrêmement positif de voir les évolutions de cette activité humaine qui prendra de nouvelles formes nécessitant de nouvelles compétences qu'il faudra développer.
En prenant l’exemple du Japon, on constate que la situation de l'emploi y est différente, car on compte très peu d'enfants par femme (1,2). Les Japonais ne pourront plus assumer les activités humaines avec par ailleurs un plus grand nombre de gens âgés : c’est pour cela qu’il leur faudra des robots. Ils désirent conserver une grande productivité sans immigration. C’est ainsi que l’Intelligence Artificielle va transformer l'activité, mais on ne résoudra pas le problème du travail avec robots pour s'occuper des personnes âgées.
Que se passe-t-il dans les entreprises ?
Nicolas Teysseire, senior partner du cabinet Roland Berger, constate que l’on est sorti de la dénégation des changements dus aux robots. On sait par ailleurs aujourd’hui que le numérique n'est plus une option mais une nécessité. On observe trois grandes tendances de ces changements : la substitution (photo), la cohabitation (le groupe Accor face à Booking ou Trip Advisor ), l’hybridation comme dans les véhicules connectés qui emploient des entreprises traditionnelles et des startup pour gérer un véhicule connecté. La mobilité devient la pierre angulaire de la relation. Il faut donc aider les entreprises à faire face à ces ruptures
Selon Françoise Mercadal-Delassales, toute la relation client va changer, et dans l'entreprise avec une plus grande horizontalisation du fonctionnement, de manière plus agile et intuitive.
L’Intelligence Artificielle et la robotisation n'en sont qu’à leurs débuts dans l'industrialisation, mais il n'y a déjà pas un seul homme dans une grande usine de turbines Siemens en Allemagne. La prochaine étape sera les cols blancs.
Les GAFA vivent de la donnée gratuite qu'on leur donne : il faut donc mettre en place des backbones (cœurs de réseaux informatiques ndlr) technologiques, il faut recruter des data scientistes. L’Intelligence Artificielle est utile pour détecter des comportements frauduleux, comme dans l'usage des cartes bancaires, ce sont des tâches basiques qui peuvent être remplacées par des robots, même si encore très peu intelligents.
Tout va aller très vite, il y a peu de limites : le défi pour les managers d'humains dans des grandes organisations d'humains sera de libérer la créativité et l'intelligence collective pour sortir du 20ème siècle, l’apprentissage tout au long de la vie est la clé, mais il faut une éthique pour éviter beaucoup d’erreurs et de choses menaçantes pour l'espèce humaine.
Les machines sont-elles capables de comprendre nos émotions (ou plutôt de les détecter) ? La question est posée. Ainsi dans les centres d'appel on remplace les humains par des robots qui donnent plus grande satisfaction que des humains. La capacité de remplacement des hommes par des machines va être galopante. S’il faut inventer les nouvelles modalités humaines et sociétales dans le domaine du travail, il faudra aussi inventer la façon de la rémunérer.
Guy Vallancien, professeur de médecine constate que la télémanipulation de machines a bouleversé le rôle du médecin : la machine fait déjà une partie du travail. Elle rectifie des erreurs de diagnostic, il existe un robot anesthésiste, bientôt un robot aide soignant, un robot brancardier, un robot administrateur : il faudra savoir vivre avec les machines.
Le malade nous demande l'expérience et la relation à l'homme malade, pas seulement le savoir qui peut être dans la machine. Le médecin sera le curé de demain.
Je m'inquiète des dérives transhumanistes : nous sommes là pour réparer l'humain, lui redonner sa liberté, et pas pour augmenter l'humain pour qu’il aille plus loin.
Le but n'est pas de vivre plus longtemps, car la mort est nécessaire à la vie : le moustique par exemple a 25 millions d'années et il vit quinze jours. A l'ouest américain et à l'est chinois on est entré dans un univers inhumain. Ne cherchons pas à nous augmenter. L'important est le lien social, le lien humain, l'affect qui lie les hommes.
« L'homme serait-il en train d'insuffler l'intelligence aux machines, à l'instar de Dieu représenté par Michel-Ange ?» s’interroge Alain Dupas, physicien, expert en politiques, technologies et stratégies spatiales.
Le robot Curiosity sur Mars est piloté par des milliers d'humains sur la terre, car en dépit de son hyper sophistication technique, il est très limité dans ses possibilités. Si les humains étaient auprès du robot, il ferait beaucoup plus. Où est l’augmentation de la productivité au regard de l'augmentation de la capacité de calcul par milliards de fois ?
Ces éléments ne sont pas corrélés, car plus on augmente la capacité de calcul, plus on augmente la complexité. L’exemple de la conquête spatiale est parlant : on l'a faite avec des capacités techniques très imitées les circuits imprimés industriels n'existaient pas. Si on voulait revenir sur la Lune, ce serait très compliqué et très dangereux. Entretenir un robot est quelque chose de très complexe, le travail de col bleu en usine à été remplacé par quelque chose de beaucoup plus riche.
L’Intelligence Artificielle ce sont des algorithmes qui tournent de manière sophistiquée : mais où est le regard critique? Beaucoup de décideurs vont donner le pouvoir à des machines car ils ne sont pas capables de les contrôler.
Il faut parler des jeux vidéo qui contiennent les logiciels les plus sophistiqués, avec en plus la réalité virtuelle. Question : Quand le patron est un algorithme, comment les employés réagissent?
Les robots seront-ils des interlocuteurs possibles ?
Pour Joël de Rosnay il faut considérer que la vie est la recherche du bonheur, la recherche du plaisir, l'affectivité. Notre assistant personnel sera un chatbot qui devient proactif. Il existe aujourd'hui des robots affectifs, des sexbots, on pourrait donc avoir de l'amour pour des robots.
Il faut empêcher les machines de nous manipuler affectivement, et pour cela Laurence Devillers demande des règles morales et des garde-fous qui devront être mis aux machines. Mais l'autonomie d'une machine n'existe pas, hormis d'aller se recharger. L’autonomie consiste à créer une situation pour obtenir une satisfaction : et les robots n’en sont pas capables. On ne peut pas parler de souffrance des robots : un robot ne souffre pas, n'a pas de conscience, ce sont des outils sans capacité d'interagir socialement ce qui sous entend une capacité affective. Il faudra donc mettre en place des règles éthiques à l'international pour les robots. Arrêtons de faire croire des choses qui n'existent pas : les robots n'ont pas de conscience. La machine ne sait pas, elle ne comprend pas.
Nous sommes empathiques avec tous les objets, affirme Guy Vallancien, mais parler de l'émotion de la machine est quelque chose de grotesque. Les japonais sont dans une civilisation shintoïste où tous les éléments on une âme, ils peuvent donc faire l'amour avec des robots. L'humain a la capacité de se sacrifier pour défendre ses convictions : pas le robot. La puce de silicium n'a rien à voir avec un neurone.
Mobilité du futur, ou quand tout est connecté
Christian Peugeot évoquait les avancées de la voiture automobile désormais bardée de capteurs, caméras vers l’extérieur et l'intérieur du véhicule avec aide à la conduite. Le but est de limiter les risques, car pour une entreprise toute innovation doit l'intégrer les enjeux sociaux et environnementaux. « Free to move » pourra servir à faire de l'automobile un outil collaboratif, car l'avenir du transport en commun c'est l'automobile. Il faut travailler sur la connectivité des automobiles et sur la voiture autonome pour construire la mobilité de demain.
Pour Alain Bensoussan, avocat, le monde de demain commence dans les usines d'aujourd'hui. Une définition du robot est une machine intelligente capable de prendre des décisions dans un environnement tonométrie. Le code est loi et la loi est code. La vraie question est « qui a codé quoi ? » Une grande marque a décidé qu’une voiture fabriquée par elle ne tuera jamais un humain. Il s’agit d’un algorithme altruiste. Des robots qui travaillent en collaboration avec des hommes ce sont des « cobots ».
Nous allons vers un monde où chacun d'entre nous aura son robot, où chacun pourra l'utiliser selon ses aspirations, où chacun aura un robot construit à son image. J'ai proposé « la personne robot » en continuant le raisonnement juridique fondé sur le fait que le robot est l'équipier dans l'usine. Une personne morale n'est pas forcément un humain mais doit avoir une responsabilité dans un nouveau système en examinant ce qui se passe dans l'usine avec assistance et compréhension.
David Lacombled dirige le Think tank « La villa numéris ». Une nouvelle carte des territoires plus vite plus loin plus fort hier. Google peut vous proposer un trajet selon vos vœux : écologique, rapide etc. Véhicule autonome va mettre en jeu notre propre liberté. Approche holistique. Difficile de prévoir les évolutions d'infrastructures a une époque où tout va très vite (parkings covoiturage, bla bla car)...
La mobilité de l'esprit et des idées est fondamentale pour Francois Taddei (Directeur du Centre de Recherches Interdisciplinaires). Mais il prône l'immobilité : avec la télécommande universelle qu'on appelle le Smartphone on peut obtenir services et informations.
Le végétal est le modèle avec deux fois plus de gènes que nous, la plante travaille en synergie avec l'environnement. Végétalisons-nous dans un monde hyper connecté selon trois directions : approfondissement, transmission et recherche de sens. C'est le lien humain, le lien social qui donne du sens aux choses.
Il y a trois manières de s'adapter pour un organisme vivant : muter en se déplaçant dans l'espace génétique, migrer notamment vers la lumière pour les plantes, modifier son environnement, comme le castor qui transforme le torrent en lac. La question est : « Qu'est ce qu'on veut faire bouger : les gènes, la migration de la terre vers ailleurs, l'environnement ? » Quelles sont nos autres stratégies, puisque la mobilité est seulement l’une des stratégies.
Qu’est-ce qui a du sens ? Pour François Taddei, il y a trois manières de donner du sens : entretenir la relation aux autres aux proches, faire des choses créatives, faire des choses qui ont un impact qui nous dépasse en tant qu'individu. Les intelligences artificielles optimisent à partir des données d'hier, mais elles n’inventent rien. Qu'est ce qui est le propre de l'homme? Quelle est sa valeur ajoutée, qu'est ce qu'il peut faire sans la machine, qu'est ce qu'il peut faire avec? Il faudra construire ensemble un futur souhaitable plutôt que de subir un futur impose par d'autres.
Scène carte blanche "O 21 : trouver sa voie!" ou la question du Sens.
Emmanuel Davidenkoff, rédacteur en chef et Laure Belot journaliste au journal Le Monde ont mené le projet « O21 : trouver sa voie » à la rencontre des jeunes dans quatre villes de France. Le sujet : s'orienter au vingt et unième siècle ou comment s'oriente la jeunesse? Ils ont interrogé des penseurs, réalisé de nombreuses interviews, recueilli témoignages. La question de l'utilisation des données et de l'éthique est constamment mise en avant par la jeune génération. Ils constatent à regret que la créativité n'est pas forcément bien vue dans le monde de l'entreprise.
Pour eux, la question du sens de ce que l'on fait est essentielle. Ils observent que dans le monde éducatif il existe un fossé entre le scolaire et le supérieur, avec un véritable entonnoir à l’entrée du supérieur et que la transversalité manque à l’enseignement scolaire (les Travaux Personnels Encadrés sont pourtant appréciés). Le constat est brutal : bien sûr, on peut tout faire, mais qu'est ce qu'on va décider de faire?
Humanisme, technologie et défi éthique : contrer la manipulation
Mathieu Baudoin interrogeait le professeur Henri Atlan qui s’affirme réfractaire à la prospective. Si pour demain la prospective est indispensable, la prévision sur cinquante ans est impossible. Personne ne pouvait imaginer au début du vingtième siècle comment nous vivons aujourd'hui.
Cependant, la prospective et la planification ne sont pas la même chose. Un projet et sa réalisation peuvent être planifiés, comme celui d’aller sur lune annoncé par Kennedy. Par contre guérir le cancer en dix ans ne s'est pas fait, contrairement aux annonces de Nixon. La "post vérité" est l'amplification énorme d'un processus d’invention de la publicité qui s’est d’abord intéressée aux produits de consommation, puis à la transmission de la communication qui remplace de plus en plus l'information destinée à vendre des fausses idées, à acheter les opinions.
Il est dramatique de voir que la communication est en train de contaminer la science. La post vérité ou « alternative fact » est la situation où les faits objectifs ont moins d'importance pour déterminer l'opinion que les éléments subjectifs. C'est pire que le mensonge, car actuellement, dans les démocraties, on ne sait pas ce que l'on peut croire ou pas. C’est la paradoxe du menteur qui vous dit "Je suis menteur". Les « Spin doctors » peuvent retourner la fausse information en une autre fausse information, comme les « platistes » qui professent que la terre est plate. Google dépense des milliards pour promouvoir une vie immortelle : c'est un mensonge. On utilise la passion, la fascination et la peur : cela prouve que l'on est dans une manipulation.
Quel nouveau contrat social dans les entreprises à l’heure des robots ?
Sylvie Galam, forte de son expérience de psycho-sociologue à la RATP est responsable bien être dans l’entreprise. C'est le haut de l'iceberg d'une nouvelle marée. Dessous il y a la réalité du mal être dans l’entreprise. Le bien être doit s’inscrire dans une dynamique constructive pour l'entreprise. Par le numérique, e sont les individus eux mêmes qui ont amené du bien être dans l'entreprise.
Jérôme Ballarin ("1762 Consultants", date de publication du Contrat social de Rousseau) rappelle que le vœu qui arrive en numéro un chez les jeunes est de vivre pleinement sa vie, concilier vie professionnelle et vie personnelle. Il faut agir pour des entreprises qui s'engagent vers un nouveau contrat social.
Sophie Pène (Conseil National du Numérie et Centre de Recherches Interdisciplinaires) remarque que les étudiants ne peuvent plus supporter le mode de la transmission. Des lieux pédagogiques vont mettre le focus sur l'expérience de l'étudiant à partir d’une pédagogie fondée sur les défis.
Les étudiants ne viennent plus consommer du cours. Ils représentent une communauté informelle de plusieurs millions qui se demandent comment ils vont vivre. Ils sont dans les objectifs du développement soutenable avec une culture « Do it yourself » en ateliers.
Par exemple des étudiants ont conçu pour l'Inde des prothèses, des sources d'énergie, des fab lab mobiles pour les bidonvilles. Cela produit du lien social dans une époque où la disruption numérique c'est avant tout la valeur de la relation. Le modèle du travailleur en artiste, en créateur, a modelé une nouvelle culture, mais n’est-ce pas une manipulation managériale vers une forme avancée de subordination ? Les salariés vivent dans la peur de perdre leur emploi en compétition avec le robot. L’idée de bonheur n’est pas ce qui traverse le plus : ils revendiquent essentiellement le fait d'être maîtres de la transformation de leur emploi.
Roger Sue (Professeur à l’université Paris Descartes, « La contresociété » Ed Les Liens qui libèrent 2016) montre comment l'individu social façonne cette contre société. Rousseau n'a pas appelé son œuvre "le contrat social, mais "de la société civile". On relève dans son livre le mot association, mais pas le contrat social. Le contrat appartient à la servitude volontaire s'il n'y a pas préexistence d'une association, ce serait alors la relation du fort au faible. L’entreprise enferme de ce fait souvent les individus dans l’injonction paradoxale avec des formes de contractualité très difficiles à vivre.
La chaîne de la valeur est dans l'individu, elle n'est plus dans l'entreprise. Il y a aujourd'hui un débat à mener sur le nouveau rapport entre l'instituant et l'institué.
Deux cultures sont en opposition pour Robert Sue. La valeur aujourd'hui est dans l'individu et plus dans l'entreprise. Nous allons tous être des intermittents du spectacle. L'erreur des manageurs est de croire qu'ils vont pouvoir piloter la créativité des travailleurs. Le travail est une externalité de l'entreprise. Problème de culture dans l'entreprise. Ce qui marche en fait c'est le contraire, quand la vie privée des individus entre dans l'entreprise. Les plateformes qui mettent en valeur les réseaux sociaux des individus rejaillissent en fait sur l'entreprise, pas le contraire. Si on veut changer vraiment, il faut traiter l’entreprise comme une association. Il est important arriver à trouver des systèmes de redistribution de la richesse qui font que la création de la valeur par l’individu soit encouragée : c’est l’économie collaborative et peut-être un revenu « universel » de type collaboratif ou contributif.
La vie dans une start-up est placée sous le signe de l’injonction paradoxale que décrit Mathilde Ramadier dans son essai Bienvenue dans le nouveau monde, comment j’ai survécu à la coolitude des start-ups, Premier Parallèle, 2017).
Le nouveau monde des startups est censé être un nouveau monde, mais il est plutôt confronté à la « servitude volontaire » de la Boétie, avec une hiérarchie soi disant plate, mais cachée et pyramidale. On est toujours "manager" de quelque chose. Le nouveau monde des start-ups ce sont de vieux ressorts poussiéreux de l'entreprise recyclés en nouveaux modes grâce à la communication qui enrobent d’un vernis sexy tout ce qui a trait à la précarité. Les modalités des ressources humaines elles-mêmes étaient déshumanisées et automatisées. Des lors, comment survivre à cette « coolitude »? On y voit l'effacement total entre la vie privée et la vie professionnelle. On doit s’engager totalement sans compter nos heures, afficher notre fierté de travailler là sur les réseaux sociaux, répondre toujours à la demande etc.
Si le débat a bien posé les bonnes questions, on n’a pas encore trouvé le bon modèle pour un nouveau contrat social dans les entreprises à l’heure du numérique. La question reste pendante pour la recherche d’une nouvelle manière de vivre le travail en entreprise à l’âge des robots.
Allons-nous pouvoir inventer un modèle « gagnant-gagnant » entre humains et robots au travail ?
Michel Perez
Président An@é
[1] “The future of employment: how susceptible are jobs to computerisation?”, publié dans The Economist en 2013
Dernière modification le jeudi, 30 novembre 2017