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Vers une spirale éducative et l’amélioration continue dans les arts de la scène - Des cinéastes m’ont affirmé que l’usage des TIC avait grandement démocratisé certaines tâches de réalisation cinématographique. C’est ainsi que Shawn Baichoo, par exemple, a pu réaliser Mountain Kombat (1), un court-métrage faisant la promotion de ses cours d’arts de combat pour acteurs.
La troupe de théâtre La Métamorphose avec Mylène Thériault et Karl P. Werleman (2) a fait un large étalage de la vidéo dans la comédie Chat et souris pour créer divers effets spéciaux, alors que leThéâtre du Zèle avec Rosalie Leblanc (3) se servait d’un vieux rétroprojecteur et de dessins naïfs pour provoquer le rire des spectateurs.
 
Si les technologies de toutes les générations ont leur place auprès des experts du cinéma, du théâtre ou même de la musique et de la chanson, qu’en est-il de leur rôle dans un dispositif éducatif en autoformation, particulièrement chez des néophytes des arts de la scène ? Pour être efficace dans des domaines aussi complexes, une exigeante démarche d’apprentissage en spirale dans trois champs d’activités me semble nécessaire : 1) l’observation de modèles (les siens parfois) et la reproduction de techniques, 2) la réflexion métacognitive et la maïeutique, électronique ou en présentiel et 3) la création de projets et la contribution à la vitalité culturelle d’une région donnée. Il ne s’agit pas d’étapes linéaires, mais bien d’un processus dynamique et interactif ; et, selon le degré d’expertise de l’artiste, certains champs seront privilégiés.
 

1) L’observation de modèles et la reproduction de techniques

Pour l’apprentissage de la musique, il existe des logiciels autoportants comme Pizzicato (4), destinés aux élèves des niveaux débutants aux niveaux avancés qui souhaitent jouer aussi bien de la guitare que du saxophone ou du piano. D’autres offrent aussi des leçons sur YouTube à quiconque désire observer les gestes d’experts et les répéter sur un instrument réel, une technique d’apprentissage que j’ai employée avec succès à partir d’une séquence sur DVD du film The Core (5) pour apprendre à faire… mes nœuds de cravate.
 
Dans le même esprit, le Web regorge de vidéoclips (6), comme ceux du gala Clip ton 514 (7), que des comédiens en herbe peuvent consulter à loisir pour y observer aussi bien les jeux d’acteurs, que les techniques et les genres cinématographiques : du Stop Motion (8), cher à de grands cinéastes d’animation comme Pierre M. Trudeau, récipiendaire de plusieurs prix, (9) aux documentaires en passant par les jeux de fiction habituels.
 
Une fois que l’élève a baigné dans cet univers artistique, de quelle manière peut-il s’exercer ? Il est possible de se créer des sketchs et de se filmer avec des outils aussi rudimentaires qu’un appareil photo ou même un téléphone intelligent, puis de réaliser des montages vidéos et audios à l’aide de logiciels relativement bon marché, comme AVS Video Editor (10), personnellement mon préféré, ouMuvee (11), et de gratuiciels comme Audacity (12) si l’on veut mixer des trames sonores. Nul besoin d’équipement sophistiqué au départ.
 

2) La réflexion métacognitive et la maïeutique, électronique ou en présentiel

 
Malgré l’abondance des ressources techniques actuellement disponibles sur le Web, la clé de l’apprentissage repose sur la qualité des observations effectuées par l’apprenant, ses questionnements, puis ses échanges avec les pairs, et curieusement non sur les manipulations techniques. Ainsi, le jeune acteur devra se poser des questions sur l’univers théâtral en s’inspirant d’ouvrages comme La formation de l’acteur de Constantin Stanislawski (13), disponible aussi en version numérique sur Kindle dans plusieurs librairies. Notez que des résumés de l’œuvre de 344 pages sont aussi disponibles sur le Web (14), présentés justement par des amateurs de théâtre ouverts à l’idée d’échanger leurs découvertes dans des communautés apprenantes de réseaux en ligne comme Facebook. Par la conversation écrite et le partage de documents, les membres participent à une coconstruction de leurs savoirs, respectant en cela le concept de la maïeutique électronique (15) qui a intéressé le professeur Jacques Viens de l’Université de Montréal au début du millénaire.
 
Parallèlement à cette pratique de la maïeutique électronique, l’apprenant pourrait se construire des parcours d’apprentissage (16) à l’aide de logiciels en ligne comme Belearner ou de communautés d’apprentissage comme Beebac ou se créer des questionnaires personnels à l’aide d’éditeurs de tests gratuits comme NetQuiz (17). Il peut également consigner ses apprentissages dans un journal de bord sous forme de blogue, suivant ainsi une démarche de réflexion sur la pratique, inspirée des travaux du professeur André Morin. Le dernier ouvrage de ce chercheur, Cheminer ensemble dans la réalité complexe (18), est aussi disponible en version numérique ; et, par le fait même transportable par des outils nomades.
 
La tenue d’un blogue de nature journalistique permettrait même à l’apprenant d’établir d’intéressants contacts avec des professionnels des domaines artistiques mentionnés et de tirer ainsi profit de l’expérience de ces derniers.
 

3) La création de projets et la contribution à la vitalité culturelle

 
Selon le principe de la spirale vu en introduction, l’ensemble des pratiques initiales et des observations et réflexions devront se traduire par la création de projets plus complexes ; lesquels seront aussi sujets à une étude personnelle en profondeur. Et bien entendu, les mêmes technologies et principes pédagogiques serviront d’autoencadrement, non plus à des sessions d’apprentissage de base, mais bien à des séances de perfectionnement. Dans ce contexte, les membres de la communauté apprenante voudront, par moments, s’inscrire à des cours structurés afin de bénéficier de l’expertise d’un maître ; ou, à l’opposé, s’impliquer dans des activités éducatives populaires bien éloignées des établissements scolaires.
 
Il arrive, par exemple, au cinéaste Pierre Trudeau et à sa complice de longue date Élène Dallaire (19) d’offrir des ateliers sur le cinéma d’animation dans les bibliothèques municipales de Montréal. Geneviève Fuoco (20) et Kristina Sandev (21) présentent régulièrement des lectures d’œuvres théâtrales, donnant ainsi de façon informelle un cours de théâtre 101 aux spectateurs ou aux apprenants autodidactes. Bref, la vitalité culturelle regorge d’opportunités d’apprentissage.
 
Après avoir reçu, il convient de donner.
 
L’étudiant autonome peut partager ses découvertes, poussant plus loin encore le mécanisme de coconstruction des savoirs. Dans ce contexte, une comédienne en herbe et moi avons conçu récemment un livret pédagogique de création vidéo destiné à un groupe de jeunes amateurs des jeux de la scène et des vidéoclips : il s’agissait à la fois d’un exercice d’initiation pour les jeunes visés et d’une session de perfectionnement pour les auteurs du document.
 
Voici les principales étapes proposées :
 
a) lecture d’articles sur le gala Clip ton 514 et sur les efforts déployés par des gens du métier d’acteurs, etc., suivie d’une discussion sur les valeurs et les émotions véhiculées par les personnes impliquées ;
b) consultation de vidéoclips en ligne, suivie d’échanges sur les genres cinématographiques, le jeu des acteurs, etc.,
c) animation par ma collaboratrice sur la réalisation d’un vidéoclip, suivi d’un remue-méninges pour la création d’un scénario et la description de personnages ;
d) réalisation d’un découpage technique, suivie d’une pratique de tournage ;
e) échanges de points de vue et de conseils ;
f) réalisation d’un court-métrage, etc.
 
Bien que cette formation ait été conçue pour un groupe restreint, elle s’inscrit délibérément dans un processus de Work-In-Progress qui laisse place à de nombreuses occasions de travail en équipe sous un mode autonome. C’est ensemble que nous, amateurs des arts de la scène et des débutants dans le domaine, conseillés sur mesure par des experts, pourrions acquérir d’intéressantes compétences en cinéma et en théâtre.
 
Conclusion
 
Comme blogueur de Le blogue de Luc R (22), et par la couverture d’évènements culturels, j’ai rencontré des professionnels du cinéma et du théâtre, des agents d’artistes, des étudiants en arts de la scène et quelques chanteurs et comédiens autodidactes, comme Marc-André Boisvert-Bondu (23). Bref, je suis témoin d’un panorama assez complet des angles d’approches de ces disciplines artistiques.
 
Qu’ils aient ou non suivi des formations formelles, ces artistes investissent tant que, par exemple, le succès de la revue musicale Alter Ego (24) avec Soienielle Lamarche, chanteuse pop, danseuse et chorégraphe issue des Grands ballets canadiens (article à paraître) découle de bonnes stratégies d’apprentissage en autoformation et de la passion qui les pousse jour et nuit à la réalisation de leurs rêves. Je me fie ici à l’étendue des heures passées sur Facebook qui me portent à croire en l’existence de journées de quarante-huit heures…
 
D’une certaine manière, la démarche d’apprentissage en spirale décrite dans le présent article, incluant l’usage des TIC, correspond à leur vécu, délibérément ou non. Les contenus abordés et les outils utilisés peuvent varier ; mais, selon son niveau d’expertise, chacun emploie des stratégies d’observation de modèles (parfois de ses propres modèles), de reproduction de techniques, de réflexion métacognitive, de discussion de type collaboratif et constructif (la fameuse maïeutique), de création de projets et de contribution à la vitalité culturelle d’une région donnée dans une boucle qui les conduit sur la voie de l’amélioration continue.
 
Texte : Luc Renaud, M.A. Sciences de l’éducation
 
Sur la photo : Shawn Baichoo, Marc-André Boisvert-Bondu, Kristina Sandev, Geneviève Fuoco, Simon Lacoste, Christine Goyer, Audrey Sambeau et Mylène Thériault
 
Références
  1. Mountain Kombat de Shawn Baichoo avec Kristina Sandev, sur YouTube
  2. Renaud, L. (2012) Accueillez le printemps avec le sourire de Chat et Souris, avec Mylène Thériault et Karl P. Werleman
  3. Renaud, L. (2012) Festival Fringe 2012 : L’art d’être soi-même,Off Course !
  4. Logiciel Pizzicato
  5.  Bande annonce du film The Core
  6. J’attends dans le couloir, vidéoclip conçu par des élèves de la Maison des Jeunes, L’autre maison
  7. Site Web Clip ton 514
  8. Renaud, L. (2012) Lancement de la saison 2012 du Festival Stop Motion de Montréal
  9. Renaud, L. (2011) Rencontre Cinéma avec Élène Dallaire et Pierre M Trudeau
  10. Logiciel AVS Video Editor (11) Logiciel Muvee (12) Logiciel Audacity
(15) Viens, J. et Renaud, L. (2001). « La complexité de l’implantation de l’approche socio-constructiviste et de l’intégration des TIC », Revue Éducation Canada, Vol. 41, No. 3, p.20-26.
(17) Logiciel NetQuiz
(24) Production Alter Ego, avec Soienielle Lamarche
Renaud Luc

Luc Renaud est spécialisé en technologie éducationnelle et enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Détenteur d’une maitrise en éducation, il a aussi été chargé de cours à l’Université de Montréal dans le domaine de l’intégration pédagogique des TIC, et a participé à des projets de recherche portant sur la formule hybride et le socioconstructivisme. Il possède également une solide expertise en développement et expérimentation de formations en ligne et s’intéresse vivement à la collaboration internationale. 
Mal à l’aise dans le milieu scolaire, il croit à une remise en question continuelle de l’école ; il tient d’ailleurs un blogue, L’éduc-acteur, le Blogue de Luc Renaud, sur des thèmes variés, qui mettent de l’avant l’importance de l’autoformation.
Il est aussi entrepreneur, ayant démarré récemment une entreprise de consultant en technologie éducationnelle, La boîte à idées E.T.L.R. Ideas Boxdans la région de Montréal.


Montréal, Québec (Canada)