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Trop de baccalauréats réduit la valeur individuelle du baccalauréat et contribue à renforcer l’emprise de Parcoursup sur le processus d’orientation des lycéens vers l’enseignement supérieur. En France, le baccalauréat moderne fut créé par le décret impérial du 17 mars 1808. « (Il) est délivré au vu des résultats à un examen qui sanctionne les enseignements dispensés dans les classes de première et terminale » (article D 334-1 du Code de l’éducation), et « comprend des épreuves finales et des évaluations de contrôle continu » (article D 334-2 du Code de l’éducation). De plus, comme il est écrit à l’article L 612-3 du Code de l’éducation, « le premier cycle (des études supérieures) est ouvert à tout titulaire du baccalauréat. Toutefois, ce privilège n’existe que pour l’accès aux premiers cycles universitaires non sélectifs.

Pour les autres  formations supérieures, toutes sélectives (y compris certaines formations universitaires), le fait d’être bachelier est une condition nécessaire mais non suffisante. Ainsi s’explique qu’en dérogation du droit d’accès automatique en première année des études supérieures, diverses autres formations réservent leurs capacités d’accueil aux candidat(e)s qui se seront soumis à diverses épreuves de sélection, et en sortiront classés en « rang utile ».

C’est aujourd’hui le cas pour les demandes d’accès en première année des sections de techniciens supérieurs (STS), d’IUT, des écoles professionnelles en 3ans, des programmes bachelors, de la filière comptable supérieure, des bi licences universitaires, des classes préparatoires aux grandes écoles, des grandes écoles à recrutement niveau bac, etc.

1. A une longue période de faible croissance du nombre des bacheliers, succède un siècle de forte augmentation.

De sa première session en 1809, qui aboutit à la délivrance de 31 baccalauréats, jusque vers les années 1920, la croissance du nombre de baccalauréats délivrés chaque année demeura faible. Il fallut attendre les années 1880 pour que la barre des 5000 soit franchie, et l’année 1914 pour atteindre le chiffre de 10000. Ce n’est qu’à partir de 1920 que cette croissance s’accéléra, ininterrompue jusqu’à ce jour : 18000 nouveaux baccalauréats furent décernés à l’issue de la session de 1930, 45000 en 1960, 100000 en 1970, 320000 en 2000 et 684000 en 2024.

Autre indicateur significatif de l’augmentation du nombre des bacheliers : la part d’une tranche d’âge (ou d’une génération) qui accède au niveau bacclauréat. Inférieure à 5% jusqu’en 1945, elle connut ensuite une très forte croissance, passant à 20% en 1970, 43% en 1990, 66% en 2010, et 88% en 2024. On prévoit que le chiffre de 90% sera atteint vers 2030. Bien plus que d’une simple vague montante, c’est d’un véritable tsunami qu’il s’agit.

2. Deux facteurs principaux expliquent ce phénomène de généralisation de l’accès au baccalauréat 

Premier facteur explicatif : la diversification des filières d’enseignement secondaire permettant d’accéder au baccalauréat.

Jusqu’en 1946, il n’existait en France que deux baccalauréats : lettres/philosophie et sciences/mathématiques. Une réforme survenue peu après la fin de la Seconde guerre mondiale ajouta ceux de « sciences expérimentales » et « mathématiques et techniques ». Les années 1960 furent celles de la création du baccalauréat « économique et social » et de trois baccalauréats techniques qui allaient devenir les baccalauréats technologiques, au nombre de huit aujourd’hui. Enfin, en 1985 les baccalauréats  professionnels apparurent, avec plus d’une centaine de spécialités. Au total, on compte aujourd’hui plus de 130 baccalauréats.

Autre facteur explicatif : le niveau d’exigence permettant d’accéder au baccalauréat a été réduit.

Tant que le baccalauréat conserva son image de diplôme de haut niveau délivré très parcimonieusement par des jurys uniquement composés de professeurs de l’université, maîtres reconnus dans leurs domaines respectifs, il fit l’objet d’une haute considération. La conception élitiste de ce diplôme perdura jusqu’aux années 1950, dates à partir desquelles le nombre des bacheliers augmenta si fortement qu’il en résulta une diminution de la valeur individuelle et du prestige de ce diplôme.

Le choix politique fait à cette époque, et confirmé depuis, fut celui de permettre l’accès à ce diplôme de la quasi-totalité des membres d’une même tranche d’âge. C’est ce que les chercheurs en sciences de l’éducation ont qualifié de « processus de démocratisation de l’accès au baccalauréat et aux études supérieures ». Pour qu’un tel objectif politique soit atteint, il fallut que les sujets à traiter soumis aux candidats soient plus à leur portée. C’est pourquoi on cessa d’en confier la conception aux seuls universitaires, recourant de plus en plus à des enseignants et inspecteurs de l’enseignement secondaire.

En outre, sous prétexte d’harmonisation des modalités d’évaluation des candidats, on mit en œuvre des dispositifs d’encadrement de la notation des candidats, visant à réduire le risque d’une évaluation excessivement sévère.

Cette nouvelle conception de l’évaluation des élèves eut beau se heurter à de vives réserves exprimées par des personnes soucieuses de ne pas accepter cette conception laxiste de l’évaluation des élèves et la réduction des libertés pédagogiques dont jouissaient pleinement les enseignants, elle fit son chemin, et ce très officiellement.

C’est ainsi, par exemple, que les autorités ministérielles parvinrent à imposer la «loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République » (loi N° 2015-595 du 8 juillet 2015) et son décret d’application N° 2015-1929 du 31 décembre 2015 », qui expriment clairement la volonté que « les modalités de la notation des élèves doivent évoluer pour éviter une notation/sanction (…) et privilégier une évaluation positive, simple et visible, valorisante ».

Cette conception d’une évaluation plus formative que sommative ne manqua pas d’avoir des conséquences sur les modalités d’évaluation des candidats aux examens nationaux que sont le baccalauréat, mais aussi le brevet et plusieurs autres. Cette loi provoqua une amplification de la croissance  des taux de réussite au baccalauréat et de l’octroi des mentions : alors qu’en 1970 il n’y eut que 62% d’admis, dont  32% furent jugés dignes de se voir décerner une mention, en 2024, 86% des candidats furent déclarés admis (plus de 91% pour le baccalauréat général), parmi lesquels 58,4% ont obtenu une mention.

3. La forte croissance du nombre des bacheliers est accompagnée par une non moins forte croissance des effectifs de l’enseignement supérieur :

Le nombre des étudiants inscrits dans les diverses filières d’enseignement supérieur françaises, à tous niveaux, est passé de 300000 en 1960 à près de trois millions en 2024, soit dix fois plus ! Dans cet ensemble, la part des universités s’est effritée mais demeure majoritaire, passant de 85% en 1960 à 55% aujourd’hui. Inversement, la part des étudiants formés dans les autres formations (IUT, BTS, programmes bachelor, filière comptable et financière, écoles professionnelles, classes préparatoires aux grandes écoles, grandes écoles à recrutement niveau baccalauréat …), qui était de 8 % en 1960, atteint 30% aujourd’hui.

Or, du fait que le baccalauréat est, depuis  sa création en 1808, le premier des grades délivrés par les universités, il procure à celles et ceux  qui en sont dotés un droit d’accès automatique en première année d’une formation supérieure non sélective, donc essentiellement en premier cycle licence.

Pour l’accès aux formations de premier cycle de l’enseignement supérieur sélectif, le fait d’être détenteur du baccalauréat est une condition nécessaire mais non suffisante : on n’y est admis qu’à la double condition d’être bachelier, mais aussi de faire ses preuves à l’occasion d’épreuves supplémentaires. 

Cette double exigence a contribué à donner le sentiment que le secteur sélectif est globalement de meilleur niveau. Ajoutons qu’on y propose des programmes plus fréquemment concrets, un meilleur encadrement des étudiants, que les taux de réussite y sont nettement supérieurs, que l’insertion professionnelle des diplômés est nettement plus satisfaisante … Comment s’étonner que l’orientation vers le secteur des études supérieures sélectives fasse l’objet d’une nette préférence de la part des lycéens et de leurs parents, sauf dans les formations longues de santé et de droit, pour lesquelles l’université est, en France, en position quasi monopolistique au niveau bac + 5 et plus.

Conclusion :

Ces évolutions mettent en lumière la nécessité de clarifier le rôle désormais joué par le baccalauréat dans le processus de régulation des flux d’admission dans l’enseignement supérieur. Fondamental jusque vers les années 1950/1960, il s’effaça petit à petit au profit de plateformes télématiques. Au début des années 1950, on comptait en France  moins de 50000 nouveaux candidats à l’admission en première année de l’enseignement supérieur.

Les inscriptions, et les épreuves de sélection, se déroulaient le plus souvent en « face à face » : chaque candidat s’adressait directement au service des inscriptions de la formation demandée, et sa candidature était validée par l’envoi d‘ un « dossier/papier ».

Comme aujourd’hui, il était possible de se porter candidat à plusieurs formations supérieures, mais en moyenne, les lycéens d’alors se limitaient à trois candidatures par tête. Avec La forte croissance du nombre des demandeurs d’entrer dans l’enseignement supérieur (en 2024 ils furent un peu plus d’un million, soit vingt fois plus qu'en 1950), et le fait qu’en moyenne, en 2024, les usagers de Parcoursup ont exprimé 14 demandes d’admission par tête, il s’avéra que les anciennes modalités des demandes d’admission dans l’enseignement supérieur devaient évoluer.

Pour pouvoir convenablement gérer une telle quantité de dossiers de candidatures,  on assista petit à petit à l’émergence de procédures nouvelles, faisant appel aux nouvelles technologies (Minitel d’abord, portails informatiques ensuite) permettant de faciliter la tâche des familles et membres des équipes pédagogiques et administratives dans les lycées, et des jurys en charge de l’analyse comparée des dossiers de candidature.

Ce fut d’abord, dans les années 1980/2000, la mise en œuvre de plateformes  académiques (inter-académique pour la région Ile-de-France), désignées par des noms divers : RAVEL, OCAPI… En 2002, le relais fut pris par la plateforme nationale  APB (admission post bac), puis par l’algorithme Parcoursup depuis 2018.

Force est de constater que les fonctions remplies par Parcoursup (information et conseil, présentation pour chaque formation de ses « attendus » ou pré requis, gestion des dossiers de candidatures, accompagnement des travaux des « commissions d’examen des vœux », gestion des réponses aux vœux des candidats, etc.), sont aujourd’hui si nombreuses et bien remplies que Parcoursup s’est progressivement substitué au baccalauréat comme moyen principal de régulation des flux d’entrée dans l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, on ne dit plus « passe ton bac d’abord ! », mais « gère bien ton dossier Parcoursup d’abord !».

C’est désormais d’autant plus fortement ancré dans les esprits que les calendriers respectifs du baccalauréat et de Parcoursup donnent le rôle majeur à la plateforme télématique.

On ne peut en effet que constater que lorsqu’arrive la période durant laquelle les candidats reçoivent leurs diverses propositions d’admission, et doivent exprimer leur choix, ils n’ont pas encore connaissance de leurs résultats finaux du baccalauréat. De plus, du fait que les dossiers Parcoursup doivent obligatoirement être transmis aux établissements recruteurs au plus tard vers la mi-avril,  les notes obtenues à cet examen ne peuvent pas être intégralement prises en compte.

Attention cependant à ne pas perdre de vue le fait que réussir à se doter du baccalauréat est, malgré l’indéniable perte de valeur individuelle de ce diplôme, une condition nécessaire pour pouvoir passer dans l’enseignement supérieur. Rien de plus bête que d’avoir élaboré un bon dossier de candidature, recevoir courant mai/juin une bonne proposition d’admission… et devoir y renoncer en cas d’échec au baccalauréat. C’est une mésaventure qui  concerne chaque année un peu plus de 5000 lycéens.

Bruno MAGLIULO

Inspecteur d’académie honoraire

Docteur en sociologie de l’éducation

Agrégé de sciences économiques et sociales

Auteur dans la collection L’Etudiant (www.editionsopportun.com)

-          SOS Parcourus

-          Parcoursup : je gère

-          Parcoursup : 50 questions que vous devez vous poser avant de choisir votre orientation

-          Quelles études supérieures sont faites pour vous ?

-          Quelles études pour quels métiers ?

Et « Les grandes écoles » aux éditions Fabert (www.fabert.com)

Dernière modification le mardi, 18 mars 2025
Magliulo Bruno

Inspecteur d’académie honoraire -Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie de l’éducation - Formateur/conférencier -

(brunomagliulo@gmail.com)

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun : www.editionsopportun.com ) :

  • SOS Parcoursup
  • Parcoursup : les 50 questions que vous devez absolument vous poser avant de choisir votre orientation post baccalauréat
  • Quelles études (supérieures) sont vraiment faites pour vous ?
  • SOS Le nouveau lycée (avec en particulier toute une partie consacrée aux liens entre les choix d’enseignements de spécialité et d’option facultative, et le règles de passage dans le supérieur)
  • Aux éditions Fabert : Les grandes écoles : une fabrique des meilleurs, mode d’emploi pour y accéder

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