Vers la fin de l’étape de 2012 du projet, je suis retourné sur les lieux pour y rencontrer des jeunes, leurs superviseurs, les archéologues responsables du projet et la directrice du musée dans le but de dresser l’ébauche d’un bilan éducatif.
Je me réserve pour un autre article une analyse du journal de bord réalisé, préférant cette fois-ci faire ressortir des acquis sur le plan du processus d’apprentissage de ce projet d’importance, débuté en 2010 et devant se poursuivre en 2013 à Odanak. L’usage des TIC constitue une grande préoccupation des divers protagonistes, qui les emploient comme outil de suivi des apprentissages, de recherche documentaire et comme moyen de prolongement à l’aventure muséale.
Des jeunes en pleine découverte
Les jeunes Janice Cardin-Boucher, Maxime Desrochers-Gill, Mathieu O’Bomsawin Gauthier et Alice O’bomsawin et leurs camarades ont éprouvé plusieurs coups de cœur en faisant eux-mêmes la découverte de pièces majeures sur le site, comme une sorte de pierre porte-bonheur pour la chasse, retrouvée dès les premières semaines des fouilles ; ou encore la découverte d’une pipe assortie de beaux dessins. Une pierre à fusil, une croix et une pointe de flèche comptent aussi parmi ces dignes témoins de la période de contact entre les Européens et les Amérindiens, et feront éventuellement l’objet d’une exposition dont la nature reste encore à déterminer. Pour les jeunes qui ont souvent consacré plus de 35 heures de travail hebdomadaire sur le site, il s’agit d’une contribution personnellement valorisante.
Dans le cadre de la démarche d’apprentissage, il a aussi été demandé aux jeunes de mener des recherches documentaires à partir de livres, mais aussi du Web et de soumettre un article diffusé dans le site Internet du musée. D’autres découvertes ont servi de matière à réflexion à l’équipe responsable du journal de bord.
La plupart affirment être peu au courant des habitudes de vie de leurs ancêtres au début du projet, mais reconnaissent y avoir réalisé d’importants apprentissages grâce aux fouilles. D’ailleurs, c’est à l’unanimité qu’ils ajoutent être prêts à collaborer aux suites des recherches l’été prochain. En plus d’acquérir d’importantes connaissances de nature historique, culturelle et anthropologique, et sur le plan des techniques de recherche scientifique, l’aventure éducative a constitué pour eux une occasion majeure de développement de rapports interpersonnels et d’apprentissage de vie de groupe. Pour Mathieu, déjà guide au musée, l’expérience représente aussi une opportunité d’accroître sa vision de la valeur muséale, alors que pour Janice et Alice il s’agit vraisemblablement d’une source de motivation à des études éventuelles dans un domaine connexe en archéologie.
Un système éducatif en pleine ouverture
L’équipe de jeunes apprentis-archéologues était supervisée par des étudiants en archéologie de l’Université Laval, bien expérimentée auprès de clientèles similaires. La complicité de Coralie Dallaire-Fortier, de Simon Picard et de Benjamin Petit a permis aux jeunes d’acquérir beaucoup d’autonomie et de confiance en soi. Au début du projet, une formation théorique a été offerte aux apprentis-archéologues, alors que les séances de fouilles étaient suivies très étroitement.
Les superviseurs rencontraient leurs protégés sur une base régulière, les appelant à former des équipes et à modifier celles-ci selon les tâches requises dans la mise à jour des données scientifiques. Ils notent toutefois que les jeunes ont rapidement acquis les compétences nécessaires à un fonctionnement autonome. Dans ce contexte, le travail de supervision a cédé la place à des tâches collaboratives en fouilles.
Le point de vue des experts
En ce qui a trait au processus éducatif, les archéologues responsables du projet, Geneviève Treyvaud et Michel Plourde, se sentent plus que satisfaits des résultats obtenus avec les apprentis-archéologues. À titre d’exemple, ils se disent étonnés de l’enthousiasme exprimé par ceux qui ont accepté de participer aux entrevues de bilan, dans la mesure où le groupe se composait au départ de jeunes passablement gênés. Ils notent avec joie le développement d’une belle cohésion au sein du groupe, à qui d’importantes responsabilités ont été confiées ; celles notamment de fournir des explications de nature historique et scientifique aux visiteurs sur le site de fouilles. En leur compagnie, les archéologues se donnaient la peine de réfléchir à voix haute, question d’exposer les jeunes au questionnement scientifique et à la prise de connaissance des savoirs. On se dit aussi heureux de l’intérêt manifesté par les parents et grands-parents aux travaux des apprentis-archéologues.
Le réinvestissement des apprentissages des jeunes auprès du public a permis aux archéologues de vaquer plus intensément à des tâches administratives et décisionnelles, nombreuses dans de tels projets. Il est important de noter que peu de projets de recherches, en dehors de Fort d’Odanak : le passé revisité s’inscrivent dans un contexte d’éducation populaire et d’implication communautaire. Pour les archéologues responsables, il était essentiel d’établir avec les divers intervenants du village abénakis un climat de confiance et de collaboration, ce qui s’est construit efficacement et avec satisfaction au fil des ans.
Bien que les preuves de limites du fort se font attendre, les découvertes actuelles combinées aux cartes tendent à démontrer que l’on serait bel et bien à l’endroit prévu. Notons que l’un de ces importants et rares documents de référence a été découvert sur le Web. Les archéologues nous rappellent qu’il faut savoir aussi tenir compte d’inexactitudes de cartes réalisées en France, bien loin des lieux réels. Des découvertes sur les modes de vie de l’époque et la flore ont été réalisées, répondant aussi à d’autres objectifs de la recherche.
Pour madame Bélanger, directrice générale du musée, plusieurs raisons expliquent cette belle réussite. Notons d’abord que l’ensemble des retombées de la recherche doit servir au rayonnement de la communauté par le biais d’une expérience muséale des plus riches, et que l’on poursuivra la tenue du journal de bord électronique jusqu’à la fin du projet. Madame Bélanger caresse aussi le rêve d’exploiter le potentiel de la réalité augmentée dans une éventuelle refonte du musée virtuel présenté dans le site Internet du Musée des Abénakis. Sur le terrain, de nouvelles expositions seront proposées aux visiteurs grâce aux découvertes d’un éventail volumineux d’artefacts, qui génèrera la création d’un nouvel emploi à temps plein au musée. Il est aussi question de recrutement de guides parmi les participants aux fouilles. Les découvertes favoriseront aussi des échanges avec des Abénakis du côté des États-Unis, et on souhaite rendre la production des rapports accessibles au plus grand nombre.
Par ailleurs, de nouveaux programmes éducatifs seront proposés aux jeunes de la communauté. On envisage aussi étendre l’expérience scientifique à des activités de prospection en canots, qui permettraient une prise de conscience de l’ampleur du territoire ancestral.
En ce sens, le projet actuel a bel et bien atteint de grands objectifs éducatifs.
Conclusion
Fort Odanak : le passé revisité constitue bien entendu un projet de recherche archéologique de grande importance pour mieux comprendre la vie des Abénakis à la période de contact entre les colons français et les Amérindiens. À Odanak, le projet revêt un caractère singulier dans la mesure où il s’inscrit dans la formation de jeunes de la communauté, leur donnant une longueur d’avance sur bien des camarades de classe tant sur le plan de compétences scolaires que professionnelles. Le projet contribue aussi au rayonnement de la communauté tout entière et à l’enrichissement de l’expérience éducative muséale. Les recherches qui se poursuivront l’an prochain, et les résultats actuels sont des plus encourageants. Je me propose d’élaborer en ce sens dans un article éventuel qui présentera le journal de bord électronique accompagnant le projet de recherche.
Luc Renaud, M.A. Sciences de l’éducation
Photos : Omaira Renaud
Références