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André Giordan et Jérôme Saltet - Résumé des chroniques précédentes - Le collège est très « malade ». Pour innover, il nous faut tordre le coup à un certain nombre de tabous. Mais pas question de faire n’importe quoi… En s’appuyant sur des expériences préparées et évaluées, en France et dans d’autres pays, ils est possible d’avancer des propositions concrètes[1].

La réforme du collège en particulier, et de l’école en général, se heurte à tous les immobilismes. D’un côté, des ministres qui se succèdent à un rythme digne de la Quatrième République, et qui faute de pouvoir s’inscrire dans la durée multiplient les annonces. Chacun y va de sa petite phrase et de sa « petite » réforme, souvent bâclée, toujours parcellaire, jamais évaluée, fatalement inefficace.

De l’autre, les profs, lassés de cette réformite permanente, peu reconnus, rarement valorisés, qui se sont recroquevillés sur une position de défense, en attendant la prochaine supposée « réforme »… Que sont devenus ceux qui ont cru à l’école du XXIème siècle, aux TPE, aux IDD, à la main à la pâte, aux projets sur l’art,.. ?

Au centre, des élèves qui s’ennuient, qui trainent les pieds sans acquérir les savoirs pour aujourd’hui ou pire qui désertent ou deviennent violents parce qu’ils se sentent exclus. Les conséquences qui en résultent sur le plan social sont dramatiques : délinquance, agressivité, incivilité, ghettoïsation, perte immense de matière grise, etc.

Cessons de nous lamenter

Alors, que faire ? Cessons de nous lamenter, les solutions existent. Elles ont même été expérimentées dans des collèges français depuis plus de 20 ans !

Tout d’abord, après les tabous (voir les chroniques précédentes), il faut tordre le coup à deux autres ennemis d’un « vrai » changement : le mythe des moyens et le saupoudrage.

Dès que l’on parle problèmes de l’école ou innovations, le dieu « Moyens » est convoqué. Plus d’argent, moins de réduction de postes, plus de matériels et tout ira mieux. Disons-le tout net : c’est faux ! Malgré les réductions actuelles pour des raisons de clientélisme politique, l’école ne manque pas de moyens. Sans doute sont-ils mal répartis : pas assez sur le terrain, trop de cadres intermédiaires et d’administration dévoreuse de rapports ? Et surtout une formation des enseignants laissée à l’abandon.

L’éducation est depuis longtemps le premier budget de la Nation. Les sommes dépensées par les collectivités locales pour construire des établissements donnent le vertige : un conseil général dépense environ 20 millions d’euros pour construire un nouveau collège. Et le coût annuel moyen d’un collégien a grimpé de 33% entre 1990 et 2004 pour atteindre 7401€ !

Dans les comparaisons internationales qui nous font si mal, les pays plus performants que nous ne dépensent pas plus par élève. Tant mieux si la société veut investir plus sur la jeunesse, mais on a d’abord besoin de mieux utiliser les moyens disponibles… De trop nombreuses heures sont perdues parce que les élèves attendent que le professeur enseigne, parce qu’un emploi du temps saucissonné fait perdre la motivation, parce que la pédagogie frontale ne suscite pas le désir d’apprendre et ne fournit pas les outils pour apprendre. Dans une heure de cours (en fait 50 minutes avec les changement de classe), parfois on constate seulement 10 minutes efficaces ; le reste est perdu en mise en place, organisation, dispersion, consommation, surtout discipline et passivité…

Un projet global

Enfin, il faut apprendre à penser le changement de façon globale. Trop de réformes sont mortes de n’avoir attaqué qu’un petit bout du problème. Le socle, les rythmes, etc,… seul un projet global, cohérent, réfléchi et d’abord expérimenté a des chances de succès.

Tout à la fois, il s’agit de revoir le programme habituel trop décalé par rapport aux savoirs souhaitables pour tout jeune et limité à des contenus disciplinaires. Le parcours scolaire et l’emploi du temps des élèves demandent à être repensés pour éviter les grandes pertes de temps. Des pédagogies multiples permettant aux élèves d’apprendre par eux-mêmes sont à introduire en même temps que les clefs pour apprendre : le métier d’élève ne s’improvise pas. L’évaluation des élèves, c’est-à-dire la validation des acquis est également à revoir complètement… sans oublier l’architecture scolaire… C’est le sens du projet que nous soumettons comme base de départ.

Peut-être pensez-vous qu’une telle démarche est utopique ! Sans doute… si chacun reste figé sur les habitudes immuables d’une certaine école. Bien sûr, cela nécessite de s’interroger sur la culture de l’école et d’envisager une autre formation des personnels : enseignants et facilitateurs – ceux qu’on appelait avant directeur ou inspecteur !... Car ces changements ne pourront se faire par un nouveau décret ministériel. C’est à la base que de nouvelles directions très concrètes sont à prendre et elles demandent un accompagnement exigeant.

Le défi est à la hauteur du changement nécessaire : plus de 100 000 jeunes quittent le collège chaque année sans diplôme. Cela est devenu inadmissible. L’égalité des chances n’existe simplement pas…

 (suite à la prochaine chronique)

* André Giordan est le fondateur et directeur du Laboratoire de Didactique et Épistémologie des Sciences de Genève. Ancien instituteur, professeur de collège, animateur de banlieue, il est l’auteur et le coordonnateur de nombreuses innovations (http://www.ldes.unige.ch).

Jérôme Saltet est co-fondateur et directeur associé du groupe Play Bac (Les Incollables, Mon Quotidien). Il anime le blog www.changerlecole.com

Tous deux travaillent ensemble depuis six ans sur un projet de collège (Changer le collège c’est possible ! Coédition Playbac Editions & Oh ! Editions, 2010) et ont déjà publié ensemble deux ouvrages sur « apprendre à apprendre » (Librio 2007, Coach College, Play Bac 2006).


[1]Jérôme Saltet et André Giordan,Changer le collège c’est possible ! Coédition Playbac Editions & Oh ! Editions - 216 pages

Dernière modification le jeudi, 21 mai 2015
Giordan André

André Giordan est le fondateur et directeur du Laboratoire de Didactique et Épistémologie des Sciences de Genève. Ancien instituteur, professeur de collège, animateur de banlieue, il  est l’auteur d’un nouveau modèle de l’apprendre (modèle d’apprentissage allostérique) et l’initiateur de nombreuses innovations scolaires, muséologiques et médiatiques.