L’eau est indispensable à la survie de tout être vivant, animal ou végétal : l’homme ne peut survivre plus de 3 jours sans boire et 30 jours sans aliments dont la disponibilité est strictement dépendante de l’eau que ce soit au stade de la production ou au stade de la transformation domestique ou/et industrielle. Par ailleurs de nombreuses secteurs économiques ont aussi besoin d’eau : artisanat, industrie, production d’énergie, activités numériques…
Les prélèvements d’eau douce ne cessent d’augmenter : +500 % au 20ème siècle soit deux fois plus que la croissance démographique. Ils s’approchent de 5000 km³ par an 1 % du renouvellement naturel par évaporation/condensation et 10 % des ressources en eau renouvelables intérieures provenant des cours d’eau et des aquifères représentent 45 000 km3/an (données FAO). Il faut distinguer la consommation, c’est à dire l’eau utilisée sans être restituée directement dans l’environnement après usage du prélèvement qui consiste à extraire de l’eau pour la rejeter ensuite (ainsi sur 32 milliards de m³ d’eau prélevés en France en 2019, 18 % sont utilisés pour des usages domestiques (eau potable), 15 % servent à l’agriculture (irrigation principalement).
Eau et agriculture : je t’aime moi non plus
Irrigation des terres cultivées : une situation contrastée
Au niveau mondial l’agriculture représente plus de 70 % des prélèvements d’eau douce dont la majeure partie est utilisée pour l’irrigation de 20 % des terres cultivées, qui fournissent 40 % de la production alimentaire totale. Ces terres terres irriguées (310 millions d’ha) sont situées en Asie du Sud Est 55 %, aux États-Unis 8 %, en Europe continentale 7 %, au Moyen Orient, en Afrique 5 %.
On notera que si l’irrigation permet d’accroître substantiellement les productions elle entraîne aussi une dégradation des terres (surexploitation, pollution…) sur 62 % des surfaces où elle est pratiquée : les bassins hydrographiques les plus affectés sont situés en Afrique du Nord, , en Californie, en Amérique latine, en Asie, et en Australie.
Cela dit, la FAO estime que plus de 3 milliards de terriens vivent dans des régions où les productions agricoles manquent d’eau et 1,2 milliard de personnes vivent sur des territoires où les épisodes de sécheresse sont très fréquents dans les zones d’agriculture pluviale et de pâturages ou dans des zones irriguées soumises à un stress hydrique très élevé : Asie centrale, Afrique du Nord, Asie de l’Ouest notamment. On notera le cas particulier de l’Afrique subsaharienne où l’irrigation des terres agricoles est très peu pratiquée ce qui accentue les effets calamiteux des épisodes de sécheresse tant sur les terres cultivées que sur les pâturages, notamment dans la Corne de l’Afrique.
Menace sur les eaux souterraines
Dans ce contexte, les eaux souterraines font l’objet de toutes les attentions car elles représentent l’essentiel de l’eau potable de la planète et leur exploitation pour l’agriculture représente actuellement 25 % des prélèvement pour l’irrigation. L’exploitation des nappes phréatiques ne cesse d’augmenter : au niveau mondial : les volumes pompés ont quadruplé au cours des 50 dernières années et croissent d’1 % par an. Cela se traduit par un épuisement des réserves souterraines dans les régions où le stress hydrique est le plus intense : système aquifère arabique, bassin aquifère indien, système aquifère de Murzuk-Djado en Afrique du nord, réservoir souterrain de la vallée centrale de Californie…
Les nappes phréatiques subissent aussi la pression de la pollution par le lessivages des intrants agrochimiques, l’infiltration d’effluents d’origine animale ou humaine. Ainsi, 60 % des aquifères chinois soumis aux contrôles sont polluées, en Pennsylvanie près les nappes situées à proximité des sites exploitant le gaz de schiste sont contaminés par du méthane, En France plus de 60 % des eaux souterraines dépassent le seuil de la présence naturelle des nitrates dans les nappes (10 mg/l) , Cette détérioration qualitative limite les utilisations possibles des aquifères et la rémanence des pollutions rend leur traitement coûteux, quand il est possible.
Last but not least, les travaux du GIEC montrent que le dérèglement climatique aura une incidence significative sur le cycle de l’eau ce qui impactera les productions agricoles (cultures végétales, élevage, aquaculture)
-par une altération des performance des systèmes pédologiques par modification de l’humidité des sols ou par érosion de leur couche arable
– ou/et par la réduction des ressources en eau renouvelables.
S’il subsiste des incertitude sur l’ampleur de ces problèmes les modèles prédisent que les pénuries toucheront les pays de latitude élevées, la zone intertropicale humide et les régions humides de moyenne latitude.
Impacts (géo)politiques et sociaux
Sous nos latitudes la prise de conscience de la rareté de l’eau est récente et fait suite à la médiatisations de conflits d’usage entre agriculture, industrie et consommation domestique : activité industrielle de Nestlé à Vittel, barrage de Sivens, construction de retenues d’eau sur le bassin de la Sèvre niortaise.
Au delà de nos frontières les prélèvements d’eaux fluviales ou souterraines (principalement destinés à l’irrigation font l’objet d’accords, ou de désaccords, internationaux depuis plusieurs décennies : guerre de l’eau dans le bassin du Jourdain depuis 1948, partage et contrôle de l’utilisation des eaux du Nil entre l’Égypte et le Soudan en 1959, négociations entre la Turquie, la Syrie et l’Irak pour le partage des eaux du bassin Tigre-Euphrate (1962-1974), échec de l’accord de 2010 entre le Paraguay, le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay pour l’exploitation de l’aquifère Guarani qui est le troisième réservoir d’eau souterraine mondial (55 000 km3* d’eau potable), qui s’étend sur une surface de plus de 1 500 000 km². (*55 000 milliards de tonnes)
A plus petite échelle c’est le creusement des inégalités liées à l’inéquitable accès à l’eau qui est préoccupant car il accentue des différenciations sociales basées sur le genre, l’age, l’appartenance ethnique ou culturelle… et son principal corollaire est une aggravation de la pauvreté qui pousse la migration des populations rurales vers les métropoles les plus proches.
Il est encore temps d’agir…
…par une évolution des pratiques agronomiques, l’innovation , les investissements et de la gouvernance dont on donnera ici quelques exemples (relevés par la FAO) qui ne constituent pas une liste exhaustive, loin s’en faut.
Agronomie et travail du sol
L’amélioration de l’infiltration de l’eau dans la zone racinaire et l’optimisation de sa conservation par accroissement la capacité d’absorption de la plante et/ou la réduction l’évaporation au niveau de la zone racinaire et les pertes par drainage peut augmenter le rendement utile (mesuré en kCcalories) de plus de 20 % de l’agriculture pluviale. Près de 20 pour cent des terres cultivées cultivée se prêtent à de telles pratiques notamment dans de vastes zones d’Afrique de l’Est et d’Asie du Sud-Est.
Pratiques innovantes de gestion de l’eau
Les solutions innovantes faisant appel à des sources non conventionnelles, eaux usées
traitées collecte du brouillard ou de la rosée, sont expérimentées (en France : INRAE Montpellier) et commencent à e^tre utilisées dans des régions où l’approvisionnement en eau est très limité.
Les programmes de récupération et du stockage d’eaux de surface et d’eau souterraines peuvent être envisagés sous réserve d’une étude approfondie démontrant l’absence d’effets indésirables tels que l’épuisement des ressources souterraines où le déséquilibre d’écosystèmes fluviaux.
Dans les productions animales, la productivité de l’eau, sur les plans physique et nutritionnel, peut être augmentée en agissant à différents niveaux : contrôle et suivi des pâturages-de l’alimentation et de l’abreuvement, surveillance de l’état sanitaire des élevages.
Investissements et gouvernance
L’irrigation des terres agricoles, pratiquée depuis près de 10.000 ans a une efficacité très variable d’un pays à l’autre liée à la disparité des systèmes utilisés. Les techniques traditionnelles : arrosage, ruissellement, submersions très gourmandes en eau et faiblement productives à cause des pertes par évaporation et une mesure très approximative de la ressource consommée. Il y a un gisement de productivité, sous réserve que les investissements pour modernisation de l’irrigation soient précédés de la mise en place d’une « comptabilité » de l’eau incontestable. C’est la condition sine qua none d’une gouvernance acceptée par toutes les parties prenantes, pour que la répartition de l’eau visant à maintenir ou à réduire le volume utilisé à l’échelle des bassins hydrographiques après l’introduction de nouvelles technologies soit véritablement efficiente sans qu’elle n’abaisse l’écoulement restitué en aval.
Xavier Drouet
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