Les pouvoirs publics constatent le gâchis des sommes gigantesques englouties dans le système pour de piètres résultats : presque 20% des jeunes qui entrent en sixième ont des difficultés de lecture, plus de 100000 quittent l’école chaque année sans diplôme, une égalité des chances n’existe simplement pas.
Dans ce grand corps malade, l’organe le plus mal en point, c’est le collège. Le collège, où les enfants deviennent des adolescents, où les choix essentiels se préparent, où les grandes questions de la vie commencent à se poser. C’est à lui qu’il faut prodiguer les soins les plus vigoureux. Pourtant, rien ne semble bouger. La réforme du collège se heurte à tous les immobilismes.
Que faire ? Cessons de nous lamenter, les solutions existent[1]. Elles ont même été expérimentées dans des collèges en Europe –et même en France- depuis plus de 20 ans !
Mais d’abord, il faut tordre le coup à un certain nombre de tabous.
Et d’abord, les programmes…
Tout le système est construit en descendant, à partir des classes préparatoires aux grandes écoles. Chaque année n’est conçue que comme une préparation à l’année suivante. De plus, les programmes prennent toujours la forme de nomenclatures de savoirs disciplinaires, même mâtinés de compétences comme le propose le socle commun. L’enjeu essentiel est éludé : les savoirs de l’époque ne sont pas proposés par l’institution scolaire.
Il s’agit dès lors de sortir des habitudes, et notamment du corporatisme disciplinaire, pour se demander quels sont les savoirs vraiment porteurs pour un jeune d’aujourd’hui, afin de lui permettre de comprendre la société dans laquelle il vit, condition essentielle pour que cette société en mutation reste démocratique ? D’évidence, apprendre à écrire reste un objectif prioritaire, mais pas en se limitant à la seule dissertation. Faire un rapport, réaliser une note, établir une synthèse, savoir prendre des notes, écrire un article, développer un argumentaire ou une intrigue sont autant de passages obligés.
Dans le même temps, il faut apprendre à parler, à argumenter, à communiquer, à convaincre, donc faire de la rhétorique, comme nos lointains ancêtres ! Prendre du recul, être critique, être curieux, avoir une bonne estime de soi et savoir entreprendre sont tout autant indispensables.
Le socle commun proposé reste bien trop timide pour permettre au jeune de faire face au enjeux actuel ! Au-delà de ces bases inévitables que ne propose pas ou si peu l’école actuelle, le jeune reste tout autant illettré s’il n’a pas appris à rechercher, à trier et à critiquer l’information, y compris visuelle. Il doit s’approprier les savoirs de base sur le droit – ne vit-on pas dans une société de droit ?-, sur l’économie ou sur l’éthique. Pourquoi attendre la terminale –ou maintenant la seconde- pour commencer la philosophie, c’est-à-dire comme le dit Luc Ferry pour « apprendre à vivre » ? Désormais, il faut comprendre l’autre différent, gérer des conflits, changer son regard sur le monde… c’est-à-dire faire de l’anthropologie.
9 enfants sur 10 habitent la ville, pourquoi n’apprennent-ils pas les bases de l’urbanisme pour lire leur cité ? De même, pourquoi la sociologie, la psychologie, l’analyse des institutions, l’histoire des idées ne sont-elles toujours pas au programme des lycées ?
Tous ces savoirs sont indispensables pour comprendre notre époque, au même titre que la culture des techniques ou de la production industrielle, toujours dévalorisée, méprisée, alors que les objets et la consommation envahissent nos vies. Pouvoir les décoder intelligemment, en maîtriser les usages et les limites devrait faire partie du bagage de base.
Apprendre à apprendre
De plus, on ne peut plus se contenter de réfléchir en termes de contenus disciplinaires ; des savoirs transdisciplinaires sont à introduire, des savoirs organisateurs sont à définir pour éviter l’émiettement des connaissances. Les démarches, comme l’analyse systémique, la pragmatique, la modélisation sont des outils nécessaires pour décoder un monde complexe et incertain.
Enfin l’apprendre, pourquoi n’est-il pas non plus au programme ? Cette immense lacune est reconnue de tous. Apprendre à apprendre n’a rien d’évident ; ce n’est pas une retombée automatique des autres apprentissages. Connaître son regard sur la connaissance, savoir mobiliser son attention, savoir travailler seul ou en groupe, comprendre les consignes, mémoriser durablement, gérer le stress, cela s’apprend !
Pendant ce temps, d’autres savoirs continuent à être enseignés, uniquement pour… l’examen, par habitude. C’est le cas de beaucoup de savoirs mathématiques inutiles ! Dans cette discipline, de nombreux savoirs algorithmiques seraient à évacuer ; leur apprentissage gaspille un temps énorme alors que la plupart d’entre eux bloquent, et l’imaginaire, et la pensée...
(suite à la prochaine chronique)
* André Giordan est le fondateur et directeur du Laboratoire de Didactique et Épistémologie des Sciences de Genève. Ancien instituteur, professeur de collège, animateur de banlieue, il est l’auteur et le coordonnateur de nombreuses innovations (http://www.ldes.unige.ch).
Jérôme Saltet est co-fondateur et directeur associé du groupe Play Bac (Les Incollables, Mon Quotidien). Il anime le blog www.changerlecole.com
Tous deux travaillent ensemble depuis six ans sur un projet de collège (Changer le collège c’est possible ! Coédition Playbac Editions & Oh ! Editions, 2010) et ont déjà publié ensemble deux ouvrages sur « apprendre à apprendre » (Librio 2007, Coach College, Play Bac 2006).
[1] Jérôme Saltet et André Giordan, Changer le collège c’est possible ! Coédition Playbac Editions & Oh ! Editions - 216 pages