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Résumé des chroniques précédentes - L’école est très malade. Dans ce grand corps malade, l’organe le plus mal en point, c’est le collège. Que faire ? Cessons de nous lamenter, les solutions existent[1]. Mais d’abord, il faut tordre le coup à un certain nombre de tabous. Le tabou du programme, essentiellement disciplinaire et fondé sur l’image du savoir au XIXème siècle n’est pas le seul… Tabou de l’emploi du temps, tabou du fonctionnement en classe, une heure, un prof, une discipline, etc…

Concrètement, que faire alors ? Quel projet innovant mettre en place et faire fonctionner avec des jeunes, des personnels et des structures ? Du papier à la… réalité, il peut y avoir une très grande distance ! Pour limiter ce grand écart, il nous a semblé important d’écrire un cahier des charges, un mode d’emploi détaillé et de les mettre à la disposition de tous ceux qui souhaiteraient s’en inspirer ou l’adapter à un projet spécifique[2]. Pas question de le faire descendre d’en haut. Ce serait la meilleure façon de le rendre inopérant !

Original et pragmatique

La proposition est originale et globale.

Originale parce qu’elle détonne par rapport à l’habitude et aux fonctionnements institutionnels en place. Il ne s’agit pourtant en aucun cas d’un projet théorique. Tous les aspects (pédagogie, organisation, espaces, formation,..) présentés dans les lignes et textes qui vont suivre ont été testés dans différents collèges.

Actuellement, l’un des auteurs suit un projet de même type, très dynamique, au Luxembourg. Au cours de sa carrière, il a coordonné plusieurs équipes pédagogiques qui ont conduit à des innovations remarquées à Villeneuve La Garenne, au collège du Lycée Carnot à Paris ou dans différents cycles d’orientation (c’est le nom du collège dans ce canton suisse) à Genève. Par ailleurs, il a eu la chance de participer à l’organisation d’une expérimentation ancienne puisqu’elle date des années 70 : « les collèges expérimentaux » de l’INRP, suscités par Louis Legrand. Quatre d’entre eux furent très significatifs et riches d’enseignement, à Marly le Roi, Yerres, Saint Denis et Villeneuve de Grenoble. Leurs résultats sont toujours d’actualité.

De plus, les deux auteurs ont au cours de ces six dernières années fait un important travail de veille pédagogique pour repérer -en France, mais également en Belgique, au Québec, en Finlande, au Brésil, au Japon- les plus intéressantes innovations. Les principales difficultés ont été listées et analysées. Des propositions alternatives ont été formulées et comparées, etc…

Globale, car il faut apprendre à penser le changement de l’institution scolaire de façon complète. Trop de réformes sont mortes de n’avoir attaqué qu’un petit bout du problème. Le socle, les rythmes, etc,… Seul un projet global, cohérent, englobant toutes les dimensions de l’institution scolaire a quelques chances de succès.

Une constitution

Ce projet de collège s’appuie sur une « Constitution » : une liste de principes qui s’imposent à tous (membres de l’équipe, parents, jeunes)[3]. Le « socle » sur lequel repose ce « Collège » est l’apprendre. Une grande part des apprentissages dépend de « travaux personnels accompagnés », l’autodidaxie est valorisée. Le cadre est conçu pour la faciliter. Par exemple, les locaux comprennent des lieux pour permettre aux élèves de travailler seuls ou en petits groupes : les studiolos.

En d’autres termes, son fonctionnement permanent n’est plus centré sur une organisation fondée sur une succession de cours - la routine des cours d’une heure, un prof, une discipline-, donc sur un enseignement systématique. Toutefois, cette approche intègre aussi des dispositifs classiques comme les séminaires, les conférences, les ateliers ou les projets.

Les enseignants ne se privent pas de « dire », de « montrer » ou d’expliquer- les cours ne sont pas exclus-, mais ils ne le font pas de façon systématique. Ils se le permettent quand l’élève est prêt à recevoir. L’essentiel du temps, leur fonction est de susciter, motiver, concerner ; ils sont également présents comme repère pour faire prendre du recul, élargir la réflexion ou fournir d’autres pistes de travail. Ils sont toujours là pour répondre aux demandes des élèves, leur fournir des conseils et les évaluer.

Une place importante est faite également à d’autres dispositifs plus originaux comme les échanges de savoirs, les défis, les intrigues ou les semaines à thème, comme l’English week.

La classe est finie

Mais oui, mais oui, la classe est finie ! La classe –au sens traditionnel- disparaît ! Plus de 6e, 5e… Le parcours scolaire est personnalisé par chaque adolescent. Chacun est différent, chacun n’a pas les mêmes tailles de chaussures ! Il est réparti sur 3, 4 ou 5 ans en fonction des facilités ou des difficultés des élèves.

De même, l’organisation par groupes-classe disparaît au profit de « groupes de vie », qui regroupent des élèves de tous âges. Une « équipe de référence » la remplace ; elle comporte une quinzaine d’élèves de tous âges autour d’un tuteur. Le jeune peut y trouver un point d’appui, un lieu de travail et des repères en compagnie de plus anciens qui l’accompagnent, voire le soutiennent dans ses difficultés.

Et ce n’est pas tout…

(suite à la prochaine chronique)

* André Giordan est le fondateur et directeur du Laboratoire de Didactique et Épistémologie des Sciences de Genève. Ancien instituteur, professeur de collège, animateur de banlieue, il est l’auteur et le coordonnateur de nombreuses innovations (http://www.ldes.unige.ch).

Jérôme Saltet est co-fondateur et directeur associé du groupe Play Bac (Les Incollables, Mon Quotidien). Il anime le blog www.changerlecole.com

Tous deux travaillent ensemble depuis six ans sur un projet de collège (Changer le collège c’est possible ! Coédition Playbac Editions & Oh ! Editions, 2010) et ont déjà publié ensemble deux ouvrages sur « apprendre à apprendre » (Librio 2007, Coach College, Play Bac 2006).



[1]Jérôme Saltet et André Giordan,Changer le collège c’est possible ! Coédition Playbac Editions & Oh ! Editions - 216 pages

[2]Ce mode d’emploi a beau être détaillé, il ne peut pas être exhaustif. De nombreux aspects seront à préciser sur le terrain. De notre côté, nous continuons à travailler avec le ministère, les rectorats et les conseils généraux pour monter le plus vite possible un premier Collège différent en France.

[3]Cette constitution pourra évoluer au cours du temps si les 2/3 des membres du Collège en ressentent par la suite la nécessité.

Dernière modification le mercredi, 30 novembre 2016
Giordan André

André Giordan est le fondateur et directeur du Laboratoire de Didactique et Épistémologie des Sciences de Genève. Ancien instituteur, professeur de collège, animateur de banlieue, il  est l’auteur d’un nouveau modèle de l’apprendre (modèle d’apprentissage allostérique) et l’initiateur de nombreuses innovations scolaires, muséologiques et médiatiques.