Changement de masse et changement individuel
En dehors de cette future loi portant sur la formation professionnelle, il y a des évolutions de fonds que je vais tenter d’évoquer.
Récemment la revue Sciences humaines a publié en décembre 2013 un numéro sur le thème « Reprendre sa vie en main ». De plus en plus de personnes sont en recherche de changement professionnel. Héloïse Lhérété ouvre son article « Changer de métier, du fantasme au projet » ainsi : « Huit salariés sur dix se disent tentés de changer de métier. Pourtant, en France, peu passent à l’acte. Qu’est-ce qui les fait rêver ? Qu’est-ce qui les freine ? ». Ce désir de changer de la part des adultes est alimenté par diverses raisons : économique, technologique, de motivation personnelle. On peut sans doute faire l’hypothèse sans trop se tromper que ces désirs deviendront de plus en plus importants et deviendront même des nécessités.
On peut penser à une forte augmentation de la demande de formation pour des problèmes de reconversion. Mais la reconversion n’est sans doute pas la même, ni pour les demandeurs de formation ni pour les offreurs de formation selon les motifs de cette reconversion. La motivation à changer, à se former n’est sans doute pas la même pour des licenciés en masse ou des chômeurs et pour un travailleurs qui veut se reconvertir vers un métier qui lui plaît. Et l’offre de formation sera également bien différente.
Yves Barou, président de l’Afpa indique : « Ce qui inquiète les salariés, avant de s’engager dans une reconversion, est le défaut d’aide pour s’orienter et se former. » Et Héloïse Lhérété poursuit : « La plupart des formations accessibles aux adultes via le droit individuel à la formation (Dif) s’avèrent trop émiettées pour permettre à quiconque de planifier un projet d’envergure. » Le CPF, le Compte Personnel de Formation qui sera créé par la loi devrait réduire cet émiettement.
Mais les conseillers, les psychologues de l’AFPA signalent un problème. L’offre de formation n’étant plus nationale, les conseillers de l’AFPA ne peuvent plus proposer de formations hors de la région. L’offre devient à utilité régionale.
Vers des stratégies individuelles de formation
Si les états doivent organiser et soutenir l’offre de formation professionnelle pour assurer l’adéquation des travailleurs de tous niveaux aux évolutions économiques et technologiques, ils doivent également être capables de répondre à une individualisation de plus en plus forte. La formation tout au long de la vie doit s’accompagner d’une orientation tout au long de la vie.
Dans sa Résolution sur « Mieux inclure l’orientation tout au long de la vie dans les stratégies d’éducation et de formation tout au long de la vie », 2905ème session du Conseil ÉDUCATION, JEUNESSE et CULTURE, Bruxelles, le 21 novembre 2008, le Conseil de l’Union européenne précise les quatre principes directeurs :
1. favoriser l’acquisition de la capacité à s’orienter tout au long de la vie,
2. faciliter l’accès de tous les citoyens aux services d’orientation,
3. développer l’assurance qualité des services d’orientation,
4. encourager la coordination et la coopération des différents acteurs aux niveaux national, régional et local.
Pour une discussion des effets en France, voir notamment mon article : Où en sont les recommandations européennes ?
Exit le stage, bonjour le MOOC
Par rapport à ce phénomène de régionalisation de l’offre, le principe des MOOCs pourraient un peu contrebalancer ce point.
Cécile Demailly dans son article « Les MOOCS, facteur de rupture pour l’entreprise » développe quelques idées, sans doute un peu idylliques mais que je citerai ici, car elles indiquent une direction de l’évolution en court.
« Avec des cours gratuits, facilement accessibles et de bon niveau, chaque personne va de plus en plus prendre en charge son propre développement. »« Les entreprises quant-à-elles commencent seulement à s’y intéresser, et réfléchissent à la manière de prendre en compte ce nouveau type de développement professionnel, la plupart du temps en complément des outils existant et non pas en remplacement. L’entreprise peut aider à choisir les bons cours, voire en intégrer certains dans ses cursus ou s’en servir comme préliminaire à des séminaires résidentiels. Dans ces deux dernier cas, les participants ont la possibilité de se préparer sérieusement sur le thème choisi pour le présentiel. »
Comment les entreprises vont se retrouver dans cette offre, et comment vont-elles soutenir la motivation individuelle ?
« Il y a un dernier aspect à prendre en compte, au niveau du recrutement et de l’évaluation des employés : la reconnaissance des certificats de complétion est incontournable à moyen terme. Et là encore, comment s’y retrouver ? Quelle valeur donner à quel certificat ? »« L’entreprise va changer de culture : les processus et les usages top-down passeront de la centralisation du catalogue au collaboratif et à l’autonomisation des individus. »
La future loi sur la formation professionnelle semble répondre à cette inquiétude des entreprises par la mise en place d’un observatoire des métiers. « Il permettra aux branches professionnelles d’anticiper l’évolution des métiers et des besoins, pour adapter l’offre de formation aux demandes du marché du travail. Il sera notamment chargé de la liste des formations éligibles au compte personnel de formation. »
Mais est-ce suffisant ? Les stratégies individuelles des demandeurs d’une part ; et celles des fournisseurs de formation ne se laisseront peut-être pas régulée par cet observatoire, et on pourrait aboutir à une certaine divergence entre les formations proposées et réclamées par les entreprises, et les stratégies individuelles de formation alimentées par une offres de plus en plus ouverte.
Cette évolution « Vers de nouveaux formats d’apprentissage » n’est pas aussi triomphale. Ainsi, Valérie Landrieu signale les difficultés ressenties par les DRH : « Mais, explique Sylvie Brunet, « cette résistance ne résulte pas tant d’une opposition que d’une adaptation au dispositif réglementaire et au système d’évaluation ». Les dispositifs hybrides – à distance et présentiel – ont de belles perspectives… La question principale que posent aujourd’hui les services ressources humaines sur les nouveaux formats est : comment rendre ces nouvelles formations imputables ? » explique Sylvie Brunet, vice-présidente de l’ANDRH, »
La différenciation des bénéficiaires
Même si nous avons un taux de participation à la formation continue de 45%, deux données doivent nous inquiéter pour l’avenir (pas si lointain) : « la formation continue bénéficie beaucoup aux plus qualifiés et beaucoup moins aux autres », et les deniers résultats de PISA confirment que nous avons « un système d’éducation initiale le plus inégalitaire du monde industrialisé » (Formation continue : peut mieux faire ! par Claude Emmanuel Triomphe ). Une bombe sociale se prépare alimentée de plus par un taux important de décrocheurs.
Dans une interview au Café pédagogique, Philippe Meirieu s’inquiète également : « d’un côté, nous continuons à produire de bons élèves, formatés pour de brillantes études, tandis qu’à l’autre bout de l’échelle, l’échec et la désespérance sociale se sont durablement installés. Nous n’avons pas su transformer la démocratisation de l’accès en démocratisation de la réussite. »
Or la grande masse des décrochés-décrocheurs alimente celle des personnes en très grande difficulté d’insertion. Et parmi les publics éloignés de l’emploi, on a repéré depuis les années 80 une catégorie spécifique et particulièrement sensible : les jeunes peu ou pas qualifiés.
Une autre ligne de fracture s’annonce, celle entre les travailleurs internationaux et les locaux.
« L’accélération de la mondialisation de l’économie a créé plus de travailleurs migrants que jamais auparavant. Le chômage et la pauvreté croissante ont amené de nombreux travailleurs dans les pays en développement à rechercher du travail ailleurs. Dans les pays industrialisés, la demande de main-d’œuvre, en particulier de main-d’œuvre non qualifiée, a augmenté. C’est pourquoi, des millions de travailleurs et leur famille émigrent pour trouver du travail. Il y aurait 175 millions de migrants dans le monde aujourd’hui, dont environ la moitié sont des travailleurs et quelque 15 pour cent seraient en situation irrégulière. » écrit l’OIT (l’Organisation internationale du travail).
Un mouvement inverse se dessine : dans les pays développés, beaucoup d’étudiants vont chercher leur première insertion à l’étranger. Ce mouvement est accompagné en France par les écoles de commerce et d’ingénieurs avec une partie de leur cursus passée hors de l’Hexagone, par les bourses ERASMUS financées par l’Europe, et par les entreprises qui exigent de plus en plus une expérience internationale, pensant ainsi faciliter leur développement à l’international.
« Coincés » entre ces deux mouvements, il y a ceux qui ne bougent pas ou qui ne peuvent pas bouger, et qui travaillerons « au pays ».
Et pour terminer ce premier article de l’année 2014, 163 ème depuis la création de ce blog, permettez-moi de vous souhaiter une excellente année pleine de découvertes et de réussite dans vos projets personnels, professionnels, familiaux.
Bernard Desclaux