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Dans le contexte de remise en question de l’organisation du service publique d’orientation de l’éducation nationale qui semble se jouer à l’occasion de la loi « la liberté de choisir son avenir professionnel » dont j’ai déjà présenté un certain nombre de conséquences, il n’est peut-être pas inutile de prendre la perspective historique du problème.

L’apprentissage

Une particularité française réside dans la suppression des corporations à la fin de l’Ancien régime et au début de la Révolution. Or elles organisaient notamment ce qu’on appellerait aujourd’hui la formation professionnelle. Le développement de l’industrie et de la société qui lui est liée a besoin d’une organisation de cette formation. Au début du siècle dernier, l’état se saisit enfin de la question du côté de la loi avec une succession de loi organisant l’apprentissage et l’orientation vers l’apprentissage[1].

En 1919, la loi dite Astier crée l’apprentissage. En 1922, un décret favorise le financement par le département d’un office d’orientation professionnelle. En 1928, c’est la création de l’Institut national d’orientation professionnelle (INOP) qui deviendra l’INETOP en 1939, cet institut est chargé entre autre de la formation des personnels d’orientation. Le décret-loi du 24 mai 1938 rend obligatoire la mise en place dans chaque département d’un office d’OP. L’avis d’orientation signée par un conseiller d’OP est obligatoire pour entrer en apprentissage dans une profession industrielle ou commerciale. Enfin en 1951 les « centres obligatoires » deviennent des centres publics dont les personnels sont pris en charge par l’État.

Dans toute cette période, les formations professionnelles, de l’apprentissage ou scolaires, relèvent d’un Secrétariat d’état à l’enseignement technique qui oscille selon les époques entre le ministère du travail et celui de l’éducation.

La scolarisation

Au retour de la seconde guerre mondiale, une sorte de « deal » est passé entre l’état et le patronat : l’état forme et le patronat emploi. Du coup les organismes de formations professionnelles relevant d’acteurs très divers sont intégrés petit à petit dans l’éducation nationale. Et ce mouvement se boucle avec la réforme Berthoin de 1959. Comme le dit Antoine Prost, le système éducatif unifie enfin tous les éléments. Le Secrétariat à l’enseignement technique est ainsi intégré totalement au ministère et les conseillers d’OP deviennent fonctionnaires de l’EN. Jusque-là, ils travaillaient essentiellement à la charnière école primaire – formations professionnelles (apprentissage et formations professionnelles scolaires). Ils deviennent des conseillers d’orientation scolaire et professionnelle (des COSP) et le centre devient un centre d’orientation scolaire et professionnelle (COSP). Ils interviennent dans le secondaire. Notons également que le rôle de professeur principal est créé en 1959 et se trouve rejeté au départ par les enseignants.

Mais que faire des COSP ? La question se traite en haut lieu, entre De Gaule et Pompidou. Faut-il leurs attribuer un pouvoir, celui d’orienter ? Antoine Prost a raconté ce débat, et j’en ai fait l’échos dans plusieurs articles[2]. Finalement le rôle attendu des COSP s’organisera autour de trois besoins du système : 

  • confirmer les enseignants dans leur jugement par l’usage du testing collectif ;
  • convaincre les familles ;
  • placer les élèves, car il n’y a pas d’affectation encore organiser à l’époque. 

Mais ce n’est pas aussi harmonieux, peu avant les événements de 68, le ministère veut créer des professeurs délégués à l’information, différents des professeurs principaux. Les services d’orientation doivent former ces nouveaux acteurs, mais s’y opposent interprétant cette création comme préparation à leur propre suppression. La formation ne peut se dérouler, les événements éclatent. Et le projet est abandonné.

68 et ses suites

L’autorité institutionnelle se trouve ébranlée par les « évènements » et ne peut plus se réinstaller. L’orientation se réorganise autour de la question du choix et de l’information. De nouvelles procédures d’orientation sont instituées, les centres d’OSP deviennent des centres d’information et d’orientation (CIO), les personnels sont des conseillers d’orientation. L’ONISEP est créé dans la suite du BUS (Bureau universitaire de statistiques, association créé dans les années 30 pour l’information des lycéens). Les CDI (centre de documentation et d’information) sont créés dans chaque établissement et doivent notamment présenter les documents produits par l’ONISEP). L’affectation des élèves est organisée et attribuée à l’inspection académique. Enfin des conseillers techniques sont placés auprès du recteur (le CSAIO, chef du service académique d’information et d’orientation) et auprès de chaque IA (l’IEN-IO, inspecteur de l’éducation nationale chargée de l’information et de l’orientation), sans autorité hiérarchique, mais seulement fonctionnelle sur les personnels d’orientation. Chaque CIO travaille sur un district scolaire (un lycée et les collèges l’alimentant).

« Petite précision », à la création du CIO, il est indiqué que l’ensemble des CIO seront étatisés (le financement fonctionnel des centres d’OSP relevant des départements). De fait, les nouveaux CIO créés, qui suivent le développement urbain, seront d’état, et les anciens COSP resteront à financement départemental. Et dans les années 80-90, il y aura autant de CIO d’état que de CIO départementaux.

La régionalisation à partir des années 80

De Gaule avait tenté de lancer la régionalisation mais avait échoué. L’idée est reprise par la Gauche et se concrétise par la loi de 85. Elle a quelques conséquences pour l’orientation. Elle attribue le financement des différents étages du système scolaire aux organisations territoriales, le primaire à la commune, le collège au département et les lycées à la région. Mais on oubli la situation des CIO. Les départements continuent de financer « leurs » CIO sans base légale claire ni subvention de la part de l’état.

La carte des formations professionnelles relève de la responsabilité de la région, les recteurs devront négocier de plus en plus avec les régions.

Le statut de l’EPLE (établissement public local d’enseignement) ainsi que celui de chef d’établissement sont créés. Beaucoup de responsabilités sont alors attribuées à ce niveau organisationnel. Chaque établissement doit élaborer son projet d’établissement, dont celui de l’aide à l’information et à l’orientation.

Après débats et combats, le titre de psychologue est créé et protégé (en France). Il sera finalement attribué aux conseillers d’orientation en 1991 qui deviennent des conseillers d’orientation-psychologues (COP ou CoPsy, la bataille des sigles commencent). Mettre en avant la qualité de psychologue n’est pas partagé par l’ensemble du corps. En tout cas, dès lors le recrutement se fera uniquement sur la base de la possession de la licence de psychologie.

L’autoritarisme des procédures d’orientation se déconstruit petit-à-petit[3] tandis que l’affectation s’informatise de plus en plus. Et dans le même temps une conception éducative de l’orientation se développe. Les différents ministères qui vont se succéder vont tenter de développer sa mise en œuvre[4]. Ce mouvement renforce la responsabilité collective et organisationnelle attribuée à l’établissement.

« Petit » détail, au début des années 90, la ligne budgétaire concernant les CIO d’état disparait. La hauteur de leur financement relève du recteur à partir du budget global qu’il reçoit. Et c’est aussi le moment où certains départements commencent à contester l’obligation du financement des CIO[5].

En 2003, coup de tonnerre sur les services d’orientation ! A l’occasion de la modification de la constitution, qui ajoute à l’article 1[6] « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » la petite phrase : « Son organisation est décentralisée. », les personnels d’orientation sont invités par lettre à rejoindre les régions… La résistance s’organise, les syndicats enseignants s’en mêlent et le ministère retire son projet[7].

Au début des années 2010, la notion de Service public d’orientation est lancée supposant la coordination, la mutualisation des différents organismes qui en France s’occupent de l’orientation des jeunes, des adultes, des scolaires, des non-scolaires, des personnes en recherche d’emploi ou de formation, etc… La liste est longue. A qui attribuer la coordination ? A la région et ce sera le SPRO. Mais les services d’orientation de l’EN restent sous la responsabilité de l’EN. « Ouf », croit-on.

En parallèle, les départements se désengagent du financement des CIO départementaux, et en 2015 le ministère adresse aux recteur une « carte cible des CIO » (Il s’agit du nombre « minimum » de CIO par académie dans le cas où des Conseils généraux se désengageraient). Et de fait les recteurs se lancent dans l’opération, fermant les CIO départementaux et les fusionnant avec les CIO d’état. Le BOEN publie régulièrement ces opérations. Concrètement chaque CIO voit son territoire d’intervention l’élargir, une partie du public se trouve de plus en plus éloigné, et dans les mêmes locaux le nombre de professionnels double et parfois triple !

Pour poursuivre dans l’apaisement, un corps unique de psychologue est créé, rassemblant les psychologues de l’éducation nationale et les conseillers d’orientation-psychologues sous la dénomination de Psy En, psychologue de l’éducation nationale. « Re-ouf » !

Nouvelles menaces

Sauf qu’une nouvelle menace vient de surgir avec la loi sur « « la liberté de choisir son avenir professionnel ». Elle est clairement affirmée : avec l’attribution des DRONISEP aux régions, c’est la fin de la conception nationale de l’information sur l’orientation, les formations et les professions.

Par « ailleurs », les syndicats, séparément rencontrés par le ministère de l’éducation nationale, font le même compte-rendu : le ministère veut fermer les CIO, nommer les personnels dans les établissements et transformer les DCIO (directeurs de CIO) en chargés de mission dans les DASEN et rectorat.

Dans un précédent article, « Vers la disparition des personnels d’orientation de l’EN »  j’ai essayé de repérer quelques conséquences de ces « modifications ». J’ai publié également sur mon blog « La liberté de choisir son avenir professionnel, par JM Quairel »  . Je vous recommande également l’article de Jacques Vauloup sur son blog, qui propose une autre piste, la piste belge : « Il faut sauver le soldat CIO, parce qu’il le vaut bien ».

On s’interrogera dans un prochain article sur la cohérence de cette nouvelle conception de l’orientation qui semble se dessiner en ajoutant l’évolution des procédures d’orientation et l’orientation vers le supérieur.

Bernard Desclaux

Article publié sur le site : http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2018/04/10/levolution-des-rapports-entre-letat-et-lorientation/

 [1] Voir mon article « Apprentissage : le contexte historique français » http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2010/10/15/apprentissage-le-contexte-historique-francais/

 [2] « L’orientation dans le secondaire : effets des procédures » http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2013/10/22/lorientation-dans-le-secondaire-effets-des-procedures/  et « L’état, l’orientation et le supérieur ? » http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2015/10/09/letat-lorientation-et-le-superieur/

[3] « Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (IV), ou la déconstruction de l’autorité sur autrui »

http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2015/04/27/apprendre-a-sorienter-dhier-a-aujourdhui-iv-ou-la-deconstruction-de-lautorite-sur-autrui/ et « Les chantiers de l’orientation » http://www.cahiers-pedagogiques.com/Les-chantiers-de-l-orientation

[4] Vous trouverez plusieurs articles sur la page « Posts Tagged ‘« éducation à l’orientation »’ » http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/tag/education-a-lorientation/

[5] Un exemple, le département des Hauts de Seine (le 92) déclare ne plus vouloir financer les 12 CIO départementaux sur les 13 CIO existants sur son territoire. Il poursuivra finalement leur financement durant plusieurs années.

[6] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;?idArticle=LEGIARTI000019240997&cidTexte=LEGITEXT000006071194

 [7] J’ai expliqué ma position dans l’article « Après la décentralisation, la territorialisation des services d’orientation » http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2012/10/28/apres-la-decentralisation-la-territorialisation-des-services-d%E2%80%99orientation/

Dernière modification le mercredi, 11 avril 2018
Desclaux Bernard

Conseiller d’orientation depuis 1978 (académie de Créteil puis de Versailles), directeur de CIO à partir de 90, je me suis très vite intéressé à la formation des personnels de l’Education nationale. A partir de la page de mon site ( http://bdesclaux.jimdo.com/qui-suis-je/ ) vous trouverez une bio détaillée ainsi que la liste de mes publications.
J’ai réalisé et organisé de nombreuses formations dans le cadre de la formation continue pour les COP, , les professeurs principaux, les professeurs documentalistes, les chefs d’établissement, ainsi que des formations de formateurs et des formations sur site. Dans le cadre de la formation initiale, depuis la création des IUFM j’ai organisé la formation à l’orientation pour les enseignants dans l’académie de Versailles. Mes supports de formation sont installés sur mon site.
Au début des années 2000 j’ai participé à l’organisation de deux colloques :
  • le colloque de l’AIOSP (association internationale de l’orientation scolaire et professionnelle) en septembre 2001. Edition des actes sous la forme d’un cd-rom.
  • les 75 ans de l’INETOP (Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle). Edition des actes avec Remy Guerrier n° Hors-série de l’Orientation scolaire et professionnelle, juillet 2005/vol. 34, Actes du colloque : Orientation, passé, présent, avenir, INETOP-CNAM, Paris, 18-20 décembre 2003. Publication dans ce numéro de « Commentaires aux articles extraits des revues BINOP et OSP » pp. 467-490 et les articles sélectionnés, pp. 491-673
Retraité depuis 2008, je poursuis ma collaboration de formateur à l’ESEN (Ecole supérieure de l’éducation nationale) pour la formation des directeurs de CIO, ainsi que ma réflexion sur l’organisation de l’orientation, du système éducatif et des méthodes de formation. Ce blog me permettra de partager ces réflexions à un moment où se préparent de profonds changements dans le domaine de l’orientation en France.
Après avoir vécu et travaillé en région parisienne, je me trouve auprès de ma femme installée depuis plusieurs années près d’Avignon. J’y ai repris une ancienne activité, le sumi-e. J’ai installé mes dernières peintures sur Flikcr à l’adresse suivante : http://www.flickr.com/photos/bdesclaux/ .