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La déscolarisation de l’apprentissage est une déclaration de foi en la capacité humaine de transformer toute ressource disponible en objet d’apprentissage ; en plus d’en arriver à de grandes habiletés de réflexion métacognitive dans une démarche totalement en autoformation.
S’il peut s’inspirer d’une simple agrafe traînant sur un bureau pour en faire une analyse scientifique quasi judiciaire, ou encore de l’observation minutieuse du graphisme sur la portière d’un camion de fleuriste pour en découvrir des règles de l’art, l’apprenant pourra aussi bénéficier des productions de nombres de ses semblables pour lui faciliter la tâche.
 
Dans l’article, Cinéma et théâtre : Les TIC et l’apprentissage en autoformation (1) et dans Le jeu sérieux et la déscolarisation de l’apprentissage , (2) publiés plus tôt sur Educavox, j’ai démontré que les arts de la scène et les jeux peuvent d’une certaine manière constituer deux piliers de ressources éducatives extrascolaires. Cette fois-ci, j’aimerais m’arrêter sur l’expérience muséale (3), qualifiée d’élargie, dans la mesure où j’associe celle-ci non seulement au contact subjectif de la personne face à une œuvre donnée, mais aussi à des univers de conservation du savoir multisensoriels, qui dépassent les limites des édifices. C’est ce que nous verrons aujourd’hui.
 

1- Le regard muséal global

 
Le regard muséal se pose aussi bien sur l’environnement urbain environnant le musée que sur les objets mis en vitrine à l’intérieur de ce dernier. Des villes, comme Québec, ont tellement bien compris ce phénomène qu’elles transforment le tourisme traditionnel en véritable expérience muséale grâce à la réalité augmentée ; un téléphone intelligent y assumant un rôle de guide (4). De simples promenades deviennent des sources d’apprentissage en architecture, mais aussi en histoire et culture. À Montréal, sur Sherbrooke entre Drummond et Mcgill College, par exemple, se dressent de petits châteaux, des immeubles de l’Université Mcgill (5) ou des //www.flickr.com/photos/24871797@N00/4683498270/" rel="external" style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; color: rgb(25, 64, 182); text-decoration: none; font-weight: bold;">résidences ayant appartenu à des personnalités historiques, comme celle du docteur Molson (6), et encore un restaurant marocain incrusté à la base d’une tour ou des consulats comme celui de l’Italie, dignes témoins du cosmopolitisme de la métropole du Québec.
 
Les musées à ciel ouvert dépassent le milieu urbain. En plein rang de campagne à Saint-Anicet au Québec, l’apprenant revisite le passé amérindien (7) dans une démarche à la fois virtuelle et réelle, mais curieusement sans recourir aux technologies. Monsieur Michel Cadieux, archéologue autodidacte, a procédé à une reconstitution historique spectaculaire d’un village iroquoien, tout juste à côté de feux mis à jour par l’équipe de fouille du professeur Claude Chapdelaine, ce qui constitue une expérience immersive intense. Il est même possible d’y passer une nuit traditionnelle et de renouer avec des traditions ancestrales. La photo au début de cet article donne un aperçu du siteDroulers / Tsiionhiakwatha et montre Professeur Chapdelaine et Monsieur Michel Cadieux, collaborateurs majeurs en dépit d’un cheminement académique évocateur divergent... Dans des réserves autochtones comme Wendake (8) et Odanak (article à paraître), les promoteurs ont aussi à cœur l’enrichissement de l’expérience muséale par l’ajout de ressources à l’extérieur.
 
Si le regard muséal global concerne dans le fond tout ce qui nous entoure, qu’en est-il exactement de l’expérience muséale et du rôle des technologies ?
 

2- Vers une définition de l’expérience muséale

Selon l’UNESCO, le musée constitue un agent du changement social et du développement (9) dans la mesure où l’ensemble des œuvres forme une mosaïque culturelle du patrimoine mondial favorisant une meilleure connaissance de l’humanité. Par respect à l’endroit de la richesse culturelle mondiale, je me permettrai dès lors de qualifier l’expérience muséale de multisensorielle, répondant minimalement aux cinq motivations suivantes : apprécier la beauté et le génie humain ; se souvenir d’événements importants ; mieux apprécier la réalité tangible ; nous rapprocher de l’inaccessible, et vivre une expérience-choc.
 
Selon l’amateur de musée et l’offre muséale disponible, ces champs d’intérêts peuvent être distinctifs ou combinés. Les exemples qui suivent pourraient très bien faire partie de plusieurs catégories, une expérience étant par nature personnelle, dynamique et holistique.
 
 
- Apprécier la beauté et le génie humain
 
Les peintres muralistes américains de renommée internationale Philip Adams et David Guinn, l’aquarelliste Huguette Bernais (10) et le peintre réaliste Stéphane Daraiche (11) sont d’avis que l’art constitue non seulement une expression de la beauté, mais aussi une forme de communication universelle entre les artistes et le public. Nombre de peintres haïtiens ont aussi exposé des œuvres en ce sens dans le cadre du mois de l’histoire des Noirs. (12) Pour plusieurs artistes en herbe, les œuvres constituent également des sources d’inspiration exceptionnelles et d’analyse de techniques mises au point grâce au génie humain.
 
Ce qui est vrai de la peinture est applicable aux autres formes d’art ; l’artiste Michelle Bérubé exposant par exemple des objets, collages ou sculptures, conçus à partir de matériel recyclé. (13)
 
 
- Se souvenir d’événements importants
 
La fourchette temporelle muséale s’échelonne pratiquement des origines de l’univers au passé récent, avec même une vue prospectiviste. Je m’arrêterai au passé pour le moment.
 
Rattaché à l’Université McGill à Montréal, par exemple, le musée Redpath (14) offre une grande panoplie de pierres et de métaux datant des origines terrestres, ainsi que des fossiles de dinosaures et des momies. De son côté, Pointe-à-Callières (15) fait revivre le passé de Montréal, à l’aide entre autres de spectacles multimédias et holographiques. Le Centre commémoratif de l’holocauste (16) rappelle le génocide commis lors de la Deuxième Guerre dans l’espoir de voir l’humanité tirer des leçons du passé.
 
 
- Mieux apprécier la réalité tangible
 
Le monde virtuel est souvent employé pour nous aider à mieux comprendre des phénomènes naturels ou scientifiques. Grâce à une technologie de pointe, le nouveau planétarium Rio Tinto de Montréal promet de poursuivre la mission d’éducation populaire en astronomie de l’ancien Planétarium Dow. (17) Les dômes étoilés et les explications sur les constellations permettront de mieux interpréter les cartes du ciel, un soir de camping à Val-Cartier. L’imagerie 3D et les expériences immersives sont aussi employées dans d’autres ères scientifiques de l’espace comme au Cosmodôme de Laval.
 
Dans un autre ordre d’idées, des expositions comme Bodies (18), ayant entre autres fait l’objet d’une exposition au Centre des sciences de Montréal permettent d’impressionnants voyages dans le corps humain. Ce type d’expositions constitue en même temps une forme de recrutement d’étudiants pour les facultés de médecine, donnant l’occasion de prendre dans ses mains un cerveau ou un foie humain, d’explorer une zone de fœtus à divers âges de développement, et encore de constater de visu les effets néfastes de l’alcool et du tabac sur les organes.
 
 
- Se rapprocher de l’inaccessible
 
La Terre comprend de nombreux coins accessibles que par quelques privilégiés. En revanche, leBiodôme de Montréal (19) permet de traverser plusieurs environnements climatiques en quelques pas et à peu de frais. Le musée des sciences et technologie d’Ottawa (20) offre aux visiteurs l’opportunité d’y admirer le Bras canadien manipulé par des astronautes, sans avoir à se rendre dans une vraie navette spatiale. Des expositions sur l’or des Incas ou des statues de guerriers chinois épargnent aussi des déboursés considérables en expéditions, alors que des musées de cire présentent des copies impressionnantes de célébrités inaccessibles ou des personnages cinématographiques.
 
 
- Vivre une expérience- choc
 
Au Complexe muséal du Musée de la civilisation de Québec (21), des systèmes informatiques permettent de simuler des catastrophes, comme les effets de tremblement de terre, sans avoir à en subir de réelles conséquences. Il en va de même de présentations sur les explosions nucléaires ou les changements climatiques. La Société des arts technologiques, SAT (22) de Montréal a aussi conçu des univers immersifs aussi bien visuels que musicaux (article à paraître).
 
Par ailleurs, la Vieille prison de Trois-Rivières constitue un site muséal tout à fait singulier. Cette enceinte carcérale, fermée en 1986 pour des raisons d’insalubrité, a été le terrain de plusieurs pendaisons à une époque où la peine de mort était en vigueur au Canada. Le visiteur est convié à y vivre une expérience-choc qu’il n’est pas près d’oublier en y ressentant la violence en provenance d’un passé récent.
 
 
Conclusion
 
 
L’expérience muséale constitue sans doute un pilier de l’éducation populaire et de la déscolarisation de l’apprentissage. Elle permet de jeter un regard varié sur la richesse de l’activité humaine et de vivre des moments multisensoriels de grande importance. Les exemples fournis dans cet article n’en constituent qu’un bref échantillon ; et les critères mentionnés ne sont ni exhaustifs ni exclusifs. Un objet peut très bien témoigner à la fois de la recherche de la beauté et constituer en soi une expérience-choc, déterminante dans la vie d’une personne. Ce qui importe, c’est que l’apprenant autodidacte puisse apprécier la valeur éducative des savoirs qui le baignent et transformer ceux-ci en réels objets d’apprentissage en vivant auprès d’eux une forme de communication intersubjective, qu’il questionne de manière appropriée et qu’il traduit dans un projet éducatif, comme un article sur…Educavox.
 
Texte : Luc Renaud, M.A. Sciences de l’éducation
 
Références
 
  1. Renaud, L. Cinéma et théâtre : Les TIC et l’apprentissage en autoformation
  2. Renaud, L. jeu sérieux et la déscolarisation de l’apprentissage
  3. Bourdaleix-Manin, A-L., L’expérience muséale ou le phénomène de la rencontre avec l’oeuvre d’art au musée : Une venue à soi du visible
  4. Renaud, L. (2012) La valeur rajoutée de la réalité augmentée (RA) en éducation
  5. Université McGill
  6. //www.flickr.com/photos/24871797@N00/4683498270/" rel="external" style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; color: rgb(25, 64, 182); text-decoration: none; font-weight: bold;">Résidences historiques de Montréal
  7. Renaud, L. (2011) Le trésor des Iroquoiens enfoui dans un rang de campagne
  8. Renaud, L. (2011) Une visite chez les Hurons-Wendat de la réserve de Wendake
  9. L’UNESCO encourage la célébration de la Journée internationale des musées le 18 mai 2008
  10. Le face-à-face des rêveurs et la magie du blogue
  11.  Stéphane Daraiche, quadriplégique, artiste-peintre professionnel
  12. Le mois de l’histoire des Noirs au Canada : des modèles pour tous
  13. Une société hétéroclite émerge de l’exposition Art d’Éco à la galerie Mile End
  14. Musée Redpath de l’Université McGill
  15. Pointe-à-Callières
  16. Le Centre commémoratif de l’holocauste
  17. Le Planétarium Rio Tinto Alcan en bref
  18. Exposition Bodies
  19. Biodôme de Montréal
  20. Musée des sciences et technologies d’Ottawa
  21. Complexe muséal du Musée de la civilisation de Québec
  22. Société des arts technologiques de Montréal
  23. La vieille prison de Trois-Rivières
Renaud Luc

Luc Renaud est spécialisé en technologie éducationnelle et enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Détenteur d’une maitrise en éducation, il a aussi été chargé de cours à l’Université de Montréal dans le domaine de l’intégration pédagogique des TIC, et a participé à des projets de recherche portant sur la formule hybride et le socioconstructivisme. Il possède également une solide expertise en développement et expérimentation de formations en ligne et s’intéresse vivement à la collaboration internationale. 
Mal à l’aise dans le milieu scolaire, il croit à une remise en question continuelle de l’école ; il tient d’ailleurs un blogue, L’éduc-acteur, le Blogue de Luc Renaud, sur des thèmes variés, qui mettent de l’avant l’importance de l’autoformation.
Il est aussi entrepreneur, ayant démarré récemment une entreprise de consultant en technologie éducationnelle, La boîte à idées E.T.L.R. Ideas Boxdans la région de Montréal.


Montréal, Québec (Canada)