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Le CICUR vient de proposer un séminaire le 6 novembre 2024 sur le thème : Quel sens les enseignants donnent-ils à leur métier pour faire entrer les élèves dans les apprentissages ? Nous proposerons ici quelques réflexions générales sur les interventions.

Observations en creux

Dans la discussion générale qui a suivi les trois présentations, l’animateur, Patrick Rayou a fait remarquer la difficulté à répondre à la question posée par le CICUR.

Comment interpréter cette difficulté à aborder le sens du métier « pour faire entrer les élèves dans les apprentissages » ? Au fond, cela suppose de relier le sens du métier de l’enseignant à la réussite scolaire de ses élèves. On peut alors formuler une hypothèse, sans doute grossière : l’enseignant doit pouvoir percevoir la réussite de l’élève. Mais la « réussite scolaire » est un construit social.

Avant 1959 et la mise en système, les unités, l’école, le primaire supérieur, le lycée, voyaient leur parcours sanctionné par un examen et l’obtention d’un diplôme attestant de la réussite scolaire, des événements organisés socialement et publics. Il y avait également les cérémonies de remises de prix et les multiples classements. Tout ceci rendait visible aux yeux de tous la réussite des élèves et, par là témoignait également de la réussite et de l’efficacité du travail de/des enseignants. Avec la mise en système, les unités sont devenues des étapes d’un parcours, la réussite étant renvoyée à l’étape suivante, l’enseignement supérieur s’ajoutant aujourd’hui à ce parcours. La perception de la réussite s’éloigne ainsi de plus en plus.

Un point commun a rassemblé les trois interventions : non pas la recherche du sens du métier pour les enseignants, mais la forme du contexte particulier à ces trois occasions d’exercer le métier. Et cette forme était le collectif qui n’est pas une caractéristique du métier enseignant en France, nous y reviendrons.

Les trois collectifs

De plus, ces trois interventions ont présenté trois types de collectifs. Nous ne reprendrons pas ici en détail la description des situations évoquées, mais nous proposons quelques réflexions plus générales sur ces trois formes.
La plupart du temps le collectif évoqué dans les différentes présentations concerne les adultes, les professionnels, et moins les élèves.

Le collectif territorial

Un cadre institutionnel incitatif apparaît, ici, la labellisation concernant la thématique du développement durable. Une inspectrice propose de le mettre en œuvre. Cela suppose le développement de relations entre établissements, ainsi que des relations de ceux-ci avec la ou les collectivités territoriales. Ceci engage d’abord un travail collectif des enseignants pour élaborer les différents projets, mais ensuite également dans la réalisation.

Le collectif professionnel

Ici, le déclencheur est une offre de formation caractérisée par la durée très importante supposant un engagement important des acteurs, l’objectif étant de réfléchir en groupe sur sa pratique professionnelle et celle des autres, et d’élaborer de nouvelles pratiques grâce au travail collectif. Si l’offre est nécessaire, elle doit correspondre à un besoin personnel. Le collectif s’exerce en dehors de son lieu professionnel.

Le collectif établissement

Ce collectif suppose un fort sentiment d’appartenance à un lieu commun d’exercice de son activité professionnelle et donc de responsabilités partagées. On peut faire l’hypothèse (car cette thématique n’a pas été clairement abordée) que ce collectif est une réponse à une situation vécue difficilement individuellement. Mais on sait que les réponses à une situation difficile ne vont pas toujours vers le collectif. Il y a sans doute des conditions particulières pour que ce soit cette « solution » qui s’installe. Dans l’exemple de l’école parisienne Tourtille, elle se trouve depuis très longtemps dans les différents dispositifs de l’éducation prioritaire, qui suppose d’une part des moyens supplémentaires, mais aussi l’élaboration d’un projet qui suppose un travail collectif d’élaboration.

On peut donc tirer une première condition d’existence d’un collectif : il faut la rencontre entre deux « occasions », un cadre institutionnel qui sollicite des activités nécessairement collectives, et un « besoin » suffisamment identique ressenti par les acteurs.

Un autre constat général doit être tiré. Les trois exemples qui ont été présentés s’inscrivent dans le temps long. Cela suppose un engagement des acteurs, des efforts particuliers, et souvent certains acteurs plus particulièrement porteur du projet.

Le collectif, un état exceptionnel en France

Une définition temporelle du statut

Une caractéristique importante de la définition de l’enseignant français c’est le statut temporel. Le temps de travail est défini d’abord, la nature du travail vient après.

Mais derrière, cette caractéristique se différencie selon le primaire et le secondaire. Dans le primaire, le temps est d’abord le temps de présence dans l’école, le temps en classe vient après. Dans le secondaire, c’est le temps d’enseignement en classe face aux élèves. Et comme les uns sont pluridisciplinaires et les autres monodisciplinaires, les objectifs professionnels sont différents. Pour les premiers, c’est la vie de l’élève (voire de l’enfant) et pour les seconds, c’est bien sûr la discipline et son enseignement. En miroir de cela, on trouve cette différence dans les « vocations » et les raisons de faire le métier.


La définition du métier enseignant, en France, repose sur une conception individuelle de l’exercice et sur la définition d’un cadre temporel de celui-ci.

Concernant le temps, il y a une différence entre l’enseignant du primaire et celui du secondaire. Le temps contraint concerne non seulement le temps en heures de cours, de présence face à la classe, mais aussi le temps de présence dans l’école. Dans le secondaire, le temps contraint est le nombre d’heures de cours selon les statuts. Les référentiels professionnels, par contre, listent un très grand nombre d’activités, nécessaires à l’exercice du métier, mais extérieures au temps contraint et contrôlé. Ainsi, les activités de préparation, de correction et celles de coordination (avec les autres) et d’organisation (participation aux instances) se déroulent dans un temps perçu comme personnel.

Or, la complexité du fonctionnement des établissements et les nouvelles formes scolaires impliquent le développement important de ces activités extérieures au temps de la classe ou du cours et le plus souvent collectives. Il y a ainsi une tension entre temps professionnel contraint et temps professionnel personnel. Cette tension étant particulièrement forte dans le secondaire, renforcée par la multiplicité des statuts enseignants et des temps contraints.

Le Pacte enseignant

On aurait pu penser que le Pacte enseignant était une manière de modifier la solidité du statut, mais il est d’abord une promesse électorale du candidat Macron de revalorisation financière. Il se traduit par un dispositif indemnitaire de missions complémentaires. Le mot mission utilisé dans Pacte enseignant n’est pas quelconque. Dans ses définitions, on trouve qu’il s’agit d’une tâche ou devoir important qui est assigné, attribué ou auto-imposé. C’est aussi un objectif ou un but important qui s’accompagne d’une forte conviction ; un appel ou une vocation. Ainsi, la notion de mission, signale sa nécessité, mais réclame également l’engagement personnel du missionné ou du missionnaire. On est dans l’exceptionnel, dans le hors organisationnel.


La plupart des « missions » du Pacte sont des missions face aux élèves et donc d’abord individuelles. Mais, le plus souvent, la mission suppose de participer, d’animer des rencontres, des réunions avec notamment les collègues, qui, eux, peuvent ne pas avoir signé de pacte pour la participation à cette mission. Ainsi, pour participer au même temps d’activité, le temps de la rencontre, l’un le fait en étant payé et les autres gratuitement. Un travail réellement collectif dans ces conditions ne peut être qu’un miracle dépendant de l’engagement personnel des acteurs. Le collectif est un supplément à l’organisation normale et institutionnelle.

Vocation, recrutement, abandon

Depuis plusieurs années, les difficultés du recrutement des enseignants inquiètent . Des réformes de la formation et des modalités de recrutement se succèdent sans enrayer le mouvement décroissant. Ces difficultés de recrutement entrainent le développement de postes occupés par des contractuels, et la détérioration des conditions de travail renforce sa non-attractivité du métier.

« De plus, les nouvelles situations de travail, marquées par de lourdes prescriptions institutionnelles, font peser sur les agents des injonctions contradictoires : accompagner pas à pas le développement des enfants par une adaptation à leur diversité, respecter leurs rythmes propres tout en obtenant des performances évaluées de manière normative et administrative ; de même, les inspections attendent plus de partenariats alors que les professionnels disent manquer de temps pour assurer une relation directe à l’enfant réellement pédagogique. »

Non seulement l’ancien prestige social du métier d’enseignant s’effondre, mais aussi « Les derniers chiffres dont nous disposons indiquent 2 411 départs volontaires en 2020-2021. Cela ne pèse certes pas lourd statistiquement en regard du total de 800 000 enseignants, mais c’est quatre fois plus qu’une décennie plus tôt. » Et la tendance est à la hausse.

Il est évident que l’évolution des nouvelles formes scolaires suppose et nécessite des activités collectives.

Le développement des éducations à nécessitent des coordinations entre les acteurs. Les réformes éducatives ont une forme de plus en plus incitative, le ministère indique les objectifs et les établissements doivent concevoir, élaborer la mise en œuvre. Ceci implique le développement de l’autonomie de l’établissement et donc les activités collectives, sans compter le développement des partenariats avec les acteurs externes à l’Éducation nationale, les associations, les acteurs économiques, les collectivités territoriales. Ce mouvement rencontre des limites que nous avons indiquées plus haut. En un mot, notre définition du métier d’enseignant en en question.

Bernard Desclaux

Article publié sur le site : Le blog de Bernard Desclaux » Blog Archive » Le CICUR examine le sens du métier

Programme détaillé sur le site du CICUR https://curriculum.hypotheses.org/6551. Je signalerai ici le lien vers les vidéos qui seront installées sur la chaîne Youtube du CICUR.

Dernière modification le mardi, 12 novembre 2024
Desclaux Bernard

Conseiller d’orientation depuis 1978 (académie de Créteil puis de Versailles), directeur de CIO à partir de 90, je me suis très vite intéressé à la formation des personnels de l’Education nationale. A partir de la page de mon site ( http://bdesclaux.jimdo.com/qui-suis-je/ ) vous trouverez une bio détaillée ainsi que la liste de mes publications.
J’ai réalisé et organisé de nombreuses formations dans le cadre de la formation continue pour les COP, , les professeurs principaux, les professeurs documentalistes, les chefs d’établissement, ainsi que des formations de formateurs et des formations sur site. Dans le cadre de la formation initiale, depuis la création des IUFM j’ai organisé la formation à l’orientation pour les enseignants dans l’académie de Versailles. Mes supports de formation sont installés sur mon site.
Au début des années 2000 j’ai participé à l’organisation de deux colloques :
  • le colloque de l’AIOSP (association internationale de l’orientation scolaire et professionnelle) en septembre 2001. Edition des actes sous la forme d’un cd-rom.
  • les 75 ans de l’INETOP (Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle). Edition des actes avec Remy Guerrier n° Hors-série de l’Orientation scolaire et professionnelle, juillet 2005/vol. 34, Actes du colloque : Orientation, passé, présent, avenir, INETOP-CNAM, Paris, 18-20 décembre 2003. Publication dans ce numéro de « Commentaires aux articles extraits des revues BINOP et OSP » pp. 467-490 et les articles sélectionnés, pp. 491-673
Retraité depuis 2008, je poursuis ma collaboration de formateur à l’ESEN (Ecole supérieure de l’éducation nationale) pour la formation des directeurs de CIO, ainsi que ma réflexion sur l’organisation de l’orientation, du système éducatif et des méthodes de formation. Ce blog me permettra de partager ces réflexions à un moment où se préparent de profonds changements dans le domaine de l’orientation en France.
Après avoir vécu et travaillé en région parisienne, je me trouve auprès de ma femme installée depuis plusieurs années près d’Avignon. J’y ai repris une ancienne activité, le sumi-e. J’ai installé mes dernières peintures sur Flikcr à l’adresse suivante : http://www.flickr.com/photos/bdesclaux/ .