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Pour réglementer la circulation des élèves dans le système scolaire, nous avons, en France, construit peu à peu ce que nous appelons les procédures d’orientation. On peut consulter le détail de celles-ci sur Eduscol.  La décision d’orientation peut être contestée par la famille. Nous allons reprendre ici l’histoire de l’encadrement de cette contestation et en examiner sa conformité aujourd’hui.

Aux origines, point de contestation

Les procédures dont nous allons parler concernent l’ordre du secondaire, soit le lycée, c’est-à-dire entre 2 à 5 % d’une génération. La très grande majorité se trouve soit dans le primaire-supérieur, dans les quelques établissements techniques, l’apprentissage, et surtout au travail.

Les origines, c’est 1880. On retrouvera le détail du règlement dans mon article « Aux origines du conseil de classe »  sur ce blog. L’élève qui n’est pas admis dans la classe supérieur sur la base de ses notes est invité à un examen en septembre. Et si l’élève ne réussit pas il est « remis » à sa famille.

Le mot « orientation » n’apparait pas dans cet univers du secondaire. Son émergence se fait dans le primaire et surtout à l’articulation du primaire et du professionnel, essentiellement lors de l’entrée en apprentissage. Il va apparaitre timidement lors de l’expérimentation des classes d’orientation lors du Front populaire avec le ministre Jean Zay. L’expérience sera menée dans 41 établissements scolaires français. « Il s’agit dans ces classes de proposer un enseignement permettant de déceler les aptitudes des élèves afin de les conduire à s’orienter au terme de cette première année dans le second degré, vers l’enseignement classique, l’enseignement moderne ou l’enseignement technique. Cette expérimentation est mise en place durant deux années scolaires, 1937-1938 et 1938-1939, la guerre mettant un terme au projet. »[1] Dans cette expérience, dont nous détaillerons les éléments dans un prochain article, nous insisterons sur la liberté des familles. Les familles ont choisi de scolariser leur enfant dans ce type de classe. Et surtout, « Jean ZAY, dans un communiqué du 24 septembre 1937, précise que la liberté des familles demeure entière mais que celles-ci « trouveront dans I’institution en voie d’organisation une information objective qui leur faisait jusqu’à présent défaut et qui leur permettra d’exercer cette liberté à laquelle ils sont si légitimement attachés, dans des conditions meilleures de clarté et de sécurité ». »[2]

Suite à la réforme Berthoin de 1959, des procédures d’orientation sont ébauchée   dans lesquelles il est prévu que les parents soient interrogés en fin d’année sur le vœu d’orientation, le conseil décidant du passage dans la classe supérieure.

Et c’est avec les nouvelles procédures d’orientation de 1973 que la notion d’appel apparaît (68 étant passé par là sans doute). Les parents peuvent faire un recours, de deux manières différentes. Tout d’abord le fameux examen de septembre se transforme en examen d’appel, et d’autre part une commission d’appel est créée qui examinera les dossiers des élèves. Ces commissions étant constituées pour l’essentiel de personnels de l’éducation nationale reviennent très peu sur les décisions données par les conseils de classe. L’examen est donc « recommandé ».

Mais petit à petit les commissions prennent leur « indépendance » et les taux satisfaction données aux familles augmentant, finalement en 1982 sous le ministère Savary on supprime l’examen d’appel. Puis on va autoriser les parents à se présenter devant la commission, et ensuite sera le tour de l’élève lui-même (avec l’accord des parents).

Deux lois à propos de la motivation des décisions administratives sont à prendre en compte, d’autant plus que dans ce processus de l’appel, les parents ne contestent pas une « décision », mais une proposition. En effet, le conseil de classe émet une « proposition d’orientation ». D’où peut-être l’ajout dans la procédure d’une nouvelle étape en 1992. Après le conseil de classe du troisième trimestre, s’il y a désaccord entre ce que demande la famille et ce que propose le conseil de classe, « la famille et l’élève sont reçus par le chef d’établissement ou son représentant. Le chef d’établissement prend la décision d’orientation en s’appuyant sur l’avis du conseil de classe et sur l’échange avec la famille. »

C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Le théâtre de la commission

Quelle est la constitution de la commission d’appel ? Sur le site du ministère : « La commission d’appel est composée de : 

  • le directeur académique des services de l’éducation nationale ou son représentant choisi parmi ceux de ses collaborateurs appartenant aux corps d’inspection ou de direction, président
  • deux chefs d’établissement du type d’établissement scolaire concerné
  • un conseiller principal d’éducation
  • un directeur de centre d’information et d’orientation
  • trois représentants des parents 

La commission peut s’adjoindre un médecin de santé scolaire et une assistante sociale scolaire »[3].

Cherchez l’erreur ! La commission d’appel qui est prévue à l’article 13 du décret du 14 juin 1990 indique également « trois professeurs exerçant au niveau scolaire concerné »[4].

Et de fait la plus part du temps c’est un chef d’établissement qui préside la commission.

Quels sont les documents examinés ? « Le chef d’établissement a l’obligation de transmettre à la commission d’appel les décisions motivées et tous les éléments susceptibles de l’éclairer, selon l’article D. 331-35 du Code de l’éducationL’absence de motivation ou la motivation insuffisante de la décision du chef d’établissement sont des motifs qui peuvent permettre de faire annuler la décision d’orientation. En effet, les juges considèrent que l’obligation de motivation est une formalité substantielle. L’absence de motivation de la décision du chef d’établissement ne peut pas être régularisée après coup. Il s’agit donc d’un motif sérieux de contestation. »[5]

La liste reste ouverte avec cette formule « tous les éléments susceptibles de l’éclairer ». Du côté de l’établissement on fournit systématiquement le bulletin des trois trimestres, mais aussi des éléments de statistiques sur les décisions d’orientation de la classe et éventuellement du niveau concerné. Du côté de la famille on peut avoir des comptes-rendus médicaux ou psychologiques (qui seront consultés par le médecin de la commission, le directeur de CIO et le Président de la commission.

Et du côté du déroulement il y a quelques hésitations que l’on peut repérer dans les descriptifs donnés par les associations de parents d’élèves.

Sur un site de la PEEP de province[6] on trouve ceci :

« Déroulement de la commission

Des instructions précises sont données pendant ces commissions :

Le président présente le dossier de l’élève, lit le courrier s’il existe et distribue aux membres de la commission une fiche de synthèse du niveau scolaire, (en l’absence de la famille et du représentant de l’établissement concerné).

Un professeur de la classe et le conseiller d’orientation-psychologique sont entendus, ensuite la famille et/ou l’élève exposent leur point de vue et répondent aux questions posées.

La commission délibère en l’absence de la famille, du professeur et du conseiller d’orientation psychologique.

Les résultats sont communiqués aux établissements scolaires d’origine par message électronique. Ceux-ci vous adresseront la notification de décision de la commission d’appel. Si l’appel est accordé, vous aurez besoin de ce document pour l’inscription. »

Et sur un site de l’UNION NATIONALE DES ASSOCIATIONS AUTONOMES DE PARENTS D’ELEVES on trouve un document[7] décrivant « Déroulement de la commission d’appel :

Le dossier de l’élève est présenté à la commission par un professeur de la classe à laquelle appartient l’élève et par le conseiller d’orientation de l’établissement. Les rapporteurs n’ont pas voix délibérative. Les parents de l’élève ou l’élève majeur qui en ont fait la demande écrite auprès du président de la commission d’appel sont, ensuite, entendus par celle-ci. Ils peuvent adresser au président de la commission d’appel tous documents susceptibles de compléter l’information de cette instance.

Les participants peuvent poser des questions complémentaires puis, hors de la présence des familles, sont invités à émettre une proposition.

La commission statue uniquement sur le vœu contesté et ne peut faire aucune autre proposition d’orientation La décision sera notifiée, par écrit, à la famille. »

Et sur un site parisien[8] on trouve :

« Dans un premier temps le professeur principal de l’élève (ou son CPE) présente l’établissement et la classe de l’élève, il expose ensuite la perception du Conseil de classe et les raisons ayant présidé à la décision objet de l’appel. Le Conseiller d’orientation-psychologue expose quant à lui le résultat de ses entretiens avec l’élève. Ils quittent ensuite la commission après avoir répondu aux éventuelles questions de ses membres.

Dans un deuxième temps, les parents et/ou l’élève se présentent et exposent les raisons qui les amènent à faire appel. Chacun des intervenants peut poser librement des questions, pour notamment comprendre les souhaits professionnels et la motivation de l’élève. Le médecin et le représentant du CIO donnent souvent des indications et conseils. 

En dernier lieu vient le débat entre les membres de la commission et le vote final. Les résultats sont envoyés au collège d’origine qui doit les afficher au plus tard le lendemain matin. Ils seront également adressés par courrier à la famille. »

Ces différentes descriptions sont donc pour la plus grande partie des règles locales, plus ou moins stabilisées.

Illégalité ?

Depuis la création de cette étape intermédiaire entre le conseil de classe et la commission d’appel, c’est-à-dire la rencontre obligatoire du chef d’établissement et de la famille, s’il y a désaccord, à l’issue de laquelle le chef d’établissement prononce une « décision d’orientation », c’est bien contre cette décision que l’appel des parents est formulé, et non contre la « proposition d’orientation du conseil de classe ».

Dès lors il est très curieux que seuls l’enseignant de la classe, le PsyEN, les parents de l’élève, et lui-même, sont invités à s’exprimer, à expliquer, leurs points de vue, sans que le décideur ne soit invité à en faire de même !

Le principe de la commission est d’aller au-delà de la décision. Elle ne s’arrête pas à la lecture de la décision, elle entend le point de vue des uns et des autres, et mêmes elle prend connaissance d’informations que parfois les acteurs ne partageaient pas. Elle entend des points de vue, et non des faits. Elle les interprète et les évalue dans un contexte qui n’est ni la classe de l’élève, ni son établissement.

Dès lors, il semblerait normal de tenir compte également des explications données par le décideur lui-même.

Mais alors le chef d’établissement devrait se justifier devant ses pairs et la commission… Situation fortement improbable en France.

Bernard Desclaux

Article publié sur le site : http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2018/04/24/legalite-et-illegalite-de-la-procedure-dappel/

 [1] Jean-Yves SEGUY, De l’expérimentation à la réforme, les risques de la généralisation: le projet inachevé des classes d’orientation.  

http://www.aref2013.univ-montp2.fr/cod6/?q=book/export/html/1437

[2] André Caroff, L’organisation de l’orientation des jeunes en France : évolution des origines à nos jours, Issy-les-Moulineaux, Éditions EAP, 1987.

[3] http://www.education.gouv.fr/cid2586/les-mots-cles-de-l-orientation.html#Commission_d_appel

[4] Version consolidée au 23 avril 2018 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000159504&dateTexte=20180423

[5] http://www.letudiant.fr/college/3e/comment-contester-une-decision-d-orientation-devant-la-commission-d-appel.html

[6] http://ad31.peep.asso.fr/qui-sommes-nous-que-faisons-nous/nos-champs-d-action/commissions-d-appel-pour-l-orientation-fin-de-6eme-5eme-3eme-et-2nde/

[7] https://www.unaape.asso.fr/pdf/FI_CommissionAppelSecondaire.pdf

[8] http://parentsaparis.typepad.com/blog/2010/06/les-coulisses-dune-commission-dappel-.html

 

Dernière modification le vendredi, 11 mai 2018
Desclaux Bernard

Conseiller d’orientation depuis 1978 (académie de Créteil puis de Versailles), directeur de CIO à partir de 90, je me suis très vite intéressé à la formation des personnels de l’Education nationale. A partir de la page de mon site ( http://bdesclaux.jimdo.com/qui-suis-je/ ) vous trouverez une bio détaillée ainsi que la liste de mes publications.
J’ai réalisé et organisé de nombreuses formations dans le cadre de la formation continue pour les COP, , les professeurs principaux, les professeurs documentalistes, les chefs d’établissement, ainsi que des formations de formateurs et des formations sur site. Dans le cadre de la formation initiale, depuis la création des IUFM j’ai organisé la formation à l’orientation pour les enseignants dans l’académie de Versailles. Mes supports de formation sont installés sur mon site.
Au début des années 2000 j’ai participé à l’organisation de deux colloques :
  • le colloque de l’AIOSP (association internationale de l’orientation scolaire et professionnelle) en septembre 2001. Edition des actes sous la forme d’un cd-rom.
  • les 75 ans de l’INETOP (Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle). Edition des actes avec Remy Guerrier n° Hors-série de l’Orientation scolaire et professionnelle, juillet 2005/vol. 34, Actes du colloque : Orientation, passé, présent, avenir, INETOP-CNAM, Paris, 18-20 décembre 2003. Publication dans ce numéro de « Commentaires aux articles extraits des revues BINOP et OSP » pp. 467-490 et les articles sélectionnés, pp. 491-673
Retraité depuis 2008, je poursuis ma collaboration de formateur à l’ESEN (Ecole supérieure de l’éducation nationale) pour la formation des directeurs de CIO, ainsi que ma réflexion sur l’organisation de l’orientation, du système éducatif et des méthodes de formation. Ce blog me permettra de partager ces réflexions à un moment où se préparent de profonds changements dans le domaine de l’orientation en France.
Après avoir vécu et travaillé en région parisienne, je me trouve auprès de ma femme installée depuis plusieurs années près d’Avignon. J’y ai repris une ancienne activité, le sumi-e. J’ai installé mes dernières peintures sur Flikcr à l’adresse suivante : http://www.flickr.com/photos/bdesclaux/ .