Bien plus que de faire le constat que la réforme du lycée – notamment de sa voie générale – s’accompagne de déséquilibres qui ne manquent pas de poser problème aux équipes de direction, nous voyons dans cette étude officielle un véritable défi posant la très sensible question de la nécessaire remise en cause de l’actuelle politique de gestion des ressources enseignantes au sein de l’établissement.
Cet article se présente donc de deux façons complémentaires : une présentation de cette étude officielle, suivie en conclusion d’une analyse qui doit être comprise comme n’engageant que son seul auteur.
1. Les effets sur les services des enseignants de la voie générale
Au niveau de la classe de première générale, les élèves doivent désormais choisir trois enseignements dits « de spécialité », à raison de quatre heures hebdomadaires pour chacun d’entre eux (1).
En passant en classe terminale, ils choisissent obligatoirement deux de ces trois enseignements de spécialité, à raison de six heures chacun par semaine. En outre, en plus des traditionnels enseignements optionnels facultatifs proposés tout au long des années lycée, la réforme a introduit, au seul niveau de la classe terminale générale, la possibilité d’ajouter une option facultative (trois heures hebdomadaires) à choisir parmi les trois suivantes : droit et grands enjeux du monde contemporain (DGEMC), mathématiques complémentaires, mathématiques expertes).
Globalement, les enseignements de spécialité susceptibles d’être proposés au choix des élèves sont : arts (arts plastiques, cinéma-audiovisuel, danse, histoire des arts, musique, théâtre…), biologie-écologie (dans les lycées agricoles), histoire-géographie-géopolitique et sciences politiques (HGGSP), humanités-littérature et philosophie(HLP), langues-littératures et civilisations étrangères (LLCE anglais principalement, mais pas exclusivement), littérature-langues et cultures de l’antiquité (LLCA latin dans la plupart des cas), mathématiques, numérique et sciences informatiques (NSI), physique-chimie, sciences de la vie et de la Terre (SVT), sciences de l’ingénieur (SI), sciences économiques et sociales (SES). Bien évidemment, aucun établissement ne les propose tous. On trouve cependant presque partout ceux de HGGSP, HLP, LLCE anglais, mathématiques, physique-chimie, SVT et SES. Les autres sont plus ou moins rarement proposé
L’étude réalisée par la DEPP porte tout particulièrement sur les effets sur les services des enseignants des choix des élèves exprimés en première générale en 2019/2020, puis 2020/2021, ainsi qu’en terminale générale en 2020/2021.
Pour dire les choses clairement : force est de constater que si certaines disciplines sont « gagnantes », en ce sens que leurs nombres d’heures d’enseignement sont en croissance significative, d’autres sont dans la situation inverse, ce qui s’accompagne d’un accroissement des difficultés de gestion des « ressources humaines » enseignantes disponibles au sein de chaque établissement.
Evolution, entre 2018 et 2020, des nombres d’heures dispensées en première et terminale générale | |
Histoire-géographie | + 14,0% |
Langues | - 0,1% |
Lettres modernes | - 5,9% |
Mathématiques | - 18,2 % |
Philosophie | + 0,3% |
Physique-chimie | - 1,3% |
SES | - 13,6% |
SVT | + 8,3% |
Ainsi, du fait de la nouvelle organisation de la voie générale, et des choix des élèves, les disciplines significativement gagnantes de la redistribution des heures d’enseignement sont indéniablement l’histoire-géographie (+14%) et les SVT (+ 8,3%), et les perdants sont ceux de mathématiques ( - 18,2%), de SES ( - 13,6%), de lettres (- 5,9%), et dans une moindre mesure, de physique-chimie (-1,3%). Les langues et la philosophie connaissent une relative stabilité de leurs nombre d’heures d’enseignement.
Autre effet organisationnel de cette réforme : le fait que pour plusieurs enseignements nouveaux, il y a désormais partage des heures entre professeurs de disciplines différentes, ce qui augure d’un décloisonnement disciplinaire qui pourrait potentiellement devenir un mode de gestion des ressources humaines plus souple. C’est le cas désormais pour les enseignements suivants :
Origines disciplinaires des enseignants intervenant dans les enseignements pluridisciplinaires nouveaux | |
|
|
Enseignement scientifique | 47% de professeurs de SVT |
47% de professeurs de physique-chimie | |
6% de professeurs de mathématiques | |
Enseignement scientifique |
47% de professeurs de SVT |
47% de professeurs de physique-chimie | |
6% de professeurs de mathématiques | |
Sciences numériques et technologie (1) |
44% de professeurs de mathématiques |
26% de professeurs de technologie | |
17% de professeurs de physique-chimie | |
13% de professeurs d’autres disciplines | |
Numérique et science informatique (2) | 51% de professeurs de mathématiques |
20% de professeurs de technologie | |
17% de professeurs de physique-chimie | |
7 % de professeurs de NSI (1) | |
5% de professeurs d’autres disciplines | |
Humanités, littérature et philosophie | 49% de professeurs de philosophie |
43% de professeurs de lettres moderne | |
8% de professeurs de lettres classiques | |
Droit et grands enjeux du monde contemporain | 40% de professeurs de SES |
35% de professeurs d’économie-gestion | |
17% de professeurs d’histoire-géographie | |
8% de professeurs d’autres disciplines | |
(1)L’enseignement de SNT est un enseignement de spécialité proposé dans la seule classe de seconde générale et technologique
(2)Un corps des professeurs de NSI (numérique et science informatique) a été créé à l’occasion de la réforme du lycée. Une première session du CAPES/CAFEP correspondant a eu lieu en 2021
2. Et du côté de la voie technologique ?
Force est de constater que la réforme du lycée est avant tout une réforme de sa voie générale Concernant la voie technologique, l’organisation ancienne a été largement conservée, tant en ce qui concerne les diverses filières (STAV, STD2A, STHR, STI2D, STMD, STMG, ST2S, STL) que le mode d’organisation des enseignements.
En fait, l’impact le plus significatif de la réforme découle du constat d’une baisse globale des effectifs dans la série STI2D (-15% en première, -18% en terminale) qui, en 2021, représente à elle seule 20 % des effectifs globaux de la voie technologique. Cette baisse s’explique en grande partie par l’attractivité accrue de la voie générale qui a absorbé les trois quarts de ces transfuges, le quart restant ayant opté pour la voie professionnelle, en profitant des possibilités d’une telle réorientation créée par la multiplication des « classes de seconde GT passerelle ». Bien évidemment, cette forte baisse des effectifs s’est accompagnée d’une non moins forte baisse du nombre d’heures d’enseignement assurées par les professeurs de technologie (- 27%), et ce malgré l’appel à leur participation aux enseignements pluridisciplinaires nouveaux que sont ceux de « numérique et sciences informatique », ainsi que celui de « sciences numériques et technologie ». Ainsi s’explique que dans nombre de lycées proposant la filière technologique STI2D, on a de plus en plus de mal à assurer un plein service aux professeurs de technologie.
Il n’en va pas de même dans cet autre poids lourd de la voie technologique qu’est la filière STMG (53% des effectifs globaux de la voie technologique en 2021. Non seulement ses effectifs sont en hausse de près de 6%, mais on a constaté que 7,2% des élèves de terminale STMG ont choisi l’enseignement optionnel facultatif de « droit et grands enjeux du monde contemporain », se mêlant ainsi à une majorité d’élèves scolarisés en voie générale. Outre que cela vient ajouter aux arguments de ceux qui souhaitent que les voies générale et technologique ne fassent qu’une, il en résulte que le besoin en nombre d’heures d’enseignements d’économie-gestion a augmenté globalement de 13,4%.
3. Une forte croissance du nombre des professeurs qui interviennent au sein d’une même classe de la voie générale, qui contraste par rapport au constat inverse fait en voie technologique :
La réforme du lycée général oblige les élèves d’une même classe à choisir, en première et terminale, des combinaisons variées d’enseignements de spécialité, si bien que des élèves appartenant à des classes différentes, peuvent désormais se retrouver dans un même groupe, ayant choisi le même enseignement de spécialité. Il en résulte la constitution de groupes d’élèves à géométrie très variable, ne coïncidant fréquemment pas avec les groupes classes.
Cela a pour conséquence que les professeurs interviennent nécessairement dans un nombre accru de classes, ainsi qu’en témoigne le tableau qui suit :
Nombre moyen d’enseignants par type de classe (1) | ||
Type de classe | Nombre moyen d’enseignants par classe | |
2018/2019 | 2020/2021 | |
Première générale | 17,9 | 30 |
Terminale générale | 17,8 | 27,9 |
Première technologique | 14,5 | 13, |
Terminale technologique | 15 | 14,4 |
(1)Ces données chiffrées sont des moyennes nationales. Pour un établissement donné, ils sont fonction du nombre des enseignements de spécialité proposés au choix des élèves.
Ainsi, dans la voie générale, en augmentant le nombre de classes de provenance des élèves de chaque groupe d’enseignement de spécialité, la réforme a provoqué un important accroissement du nombre moyen d’enseignants qui interviennent au sein d’une même classe. Il n’en va pas de même dans la voie technologique, les possibilités de choix d’enseignements de spécialité n’ayant que très peu changé par rapport à la situation qui existait avant la réforme du lycée.
On peut en outre constater que ce phénomène global, ne touche pas également les professeurs selon leur discipline, ainsi que le démontre le tableau suivant.
Nombre moyen de classes par professeur (selon la discipline enseignée) |
||
2018/2019 | 2019/2020 | |
Professeurs de | ||
Arts plastiques | 12 | 12,1 |
Education musicale | 11,5 | 11,9 |
Education physique et sportive | 10.4 | 9,4 |
Histoire-géographie | 6 | 7,5 |
Langues | 7,5 | 8,4 |
Lettres | 5,3 | 5,6 |
Mathématiques | 4,9 | 7,6 |
Philosophie | 4,8 | 7,8 |
Physique-chimie | 5,3 | 7,6 |
SES | 6,6 | 12 |
SVT | 6,2 | 8,9 |
Si les professeurs d’un petit nombre de disciplines sont peu ou non impactés (arts plastiques, «éducation musicale, EPS), d’autres connaissent de plus ou moins fortes augmentations de leur nombre de classe par professeur. C’est en particulier le cas des SES (presque doublement de ce chiffre).
Conclusion :
Rarement une réforme du lycée n’aura eu un tel impact sur les services des enseignants, notamment ceux de la voie générale. Quand on sait à quel point la machine à recruter et former des enseignants est lourde, et lente à s’adapter à de tels changements, on peut hélas prédire que pour les équipes de direction, il y a là un défi majeur qui n’est certes pas nouveau, mais va s’amplifier, et va probablement durer plusieurs années encore.
Plus encore que dans les années passées, nous allons très probablement assister à une amplification du manque de professeurs dans certaines disciplines. En outre, ce phénomène ne manquera pas de rendre plus difficile encore la recherche de remplaçants de certaines catégories de professeurs absents pour toutes sortes de raisons. On aura beau faire appel à une augmentation du nombre d’heures supplémentaires, à accroître le nombre de postes à pourvoir aux concours de recrutement … le compte risque fort de ne pas y être, et ce pour plusieurs années à venir.
C’est pourquoi nous pensons qu’il est temps de s’attaquer au mode traditionnel de recrutement des enseignants. Il faudra bien qu’en ce domaine – comme en d’autres – on fasse plus confiance aux équipes de direction en se dirigeant vers un modèle de type « moins de recrutement national et académique, plus de recrutement local ». C’est en partie le cas dans l’enseignement privé sous contrat : les équipes de direction y disposent d’une plus grande marge de manœuvre que celles qui œuvrent dans la plupart des établissements de statut public. Il y a là une façon de gérer cette difficulté dont le Ministère de l’Education nationale ferait bien de s’inspirer.
Attention : ce sujet est des plus sensibles car les familles n’accepteront pas que leurs droits en matière d’éducation de leurs enfants ne soient pas respectés! L’enjeu va donc bien au-delà des seules limites du champ de l’Education nationale.
Bruno MAGLIULO - Inspecteur d’académie honoraire -
Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie