La formation des enseignants en sciences sociales et humaines et la parole des usagers des objets connectés
Une proposition confierait à l’enseignant pendant ses heures d’enseignement, le traitement des effets psychologiques, sociologiques, comportementaux de ces usages sans oublier que l’ensemble des acteurs de l’environnement des publics scolarisés est aussi concerné.
Cette proposition introduit une confusion entre la formation en sciences sociales et humaines des enseignants et la prise en compte de la complexité des effets des usages des informations médiatisées.
La formation des enseignants en sociologie, en psychologie, en ethnographie et à leurs multiples interactions dans la communication scolaire a pour finalité de leur permettre une appréhension des personnalités et des groupes sociaux qui leur sont confiés[1]. Elle facilite l’organisation des activités pédagogiques ou andragogiques qui créent une ambiance permettant le fonctionnement des méthodes didactiques qui concernent l’enseignement.
La mise en actes de cette formation est un facilitateur de l’organisation pédagogique et elle en permet une approche compréhensive.
Appliquer les sciences sociales et humaines pour que public scolarisé ait une analyse de leurs usages des informations médiatisées est une autre activité que celle de l’enseignement de disciplines académiques et a sa propre finalité.
L’accueil de la parole sur des histoires de vie qui résultent des effets projectifs suite aux usages des réseaux filaires, sans fil et satellitaires a ses propres méthodes. Cette expression de vécus personnels introduit une réflexion sur les phénomènes psychiques et sociaux provoqués par des incitations à une consommation non désirée et non vitale, à une dépendance aux relations virtuelles prémisses de passage à l’acte, au jetable et au spectacle[2].
Cette « culture de masse » masque les informations publicitaires et propagandistes sous des formes cognitives[3] par un discours d’emprunt aux données scientifiques et aux analyses sociales, psychologiques et politiques. Il s’agit bien d’une tâche éducative nécessaire pour créer de bonnes conditions pédagogiques et didactiques d’apprentissage. Elle permet au public scolaire de faire le tri entre les informations qui correspondent aux enseignements et celles qui sont psychologiques, sociales, ethniques. Elle se distingue de l’enseignement par l’espace qu’elle crée, espace d’expression des vécus et d’appropriation[4].
Ce discours est un travail collectif qui s’élabore à partir des usages de chacun et peut donner lieu a une rédaction volontaire d’un texte collectif. Il développe les liens sociaux par la controverse entre les participants. Son élaboration est une action éducative préventive, se distinguant d’autres actions plus individuelles qui sont curatives[5].,
Cet espace éducatif est nécessairement d’ordre privé pour éviter de mettre en danger la personne qui énonce ses propres émotions, ses propres certitudes, ses propres sentiments. Il reste le lieu d’une expression libre qui nécessite d’être protégé par le secret. Il appartient au groupe conformément aux méthodes de la psychosociologie et des sciences du comportement appliquées aux petits et moyens groupes.
Par contre, l’espace de l’enseignement est consacré à la représentation d’acquis cognitifs qui ont été retenus par la décision politique ou sociale. Il se prête donc à une évaluation qualitative et quantitative.
L’enseignement se construit sur une représentation cognitive d’analyses référencées de l’humain et de la matière.
Il s’agit d’évaluer des représentations de notions, de méthodes, de connaissances instituées qui sont extérieures à la personnalité de chacun puisqu’elle porte sur des contenus. Il se prête à des évaluations qualitatives et quantitatives réalisées tantôt en interne au groupe concerné, tantôt par des observateurs extérieurs.
Elles répondent aux questions : l’enseignement d’une connaissance a-t-il donné à l’enseigné la compétence de sa restitution ? Produit-il un modèle évolutif ou de rupture par une succession de confrontations avec d’autres représentations issues soit du milieu scientifique soit d’autres origines ?
Que l’évaluation soit endogène ou exogène, les responsables de l’enseignement doivent être formés à une approche compréhensive qui leur permet de distinguer la matière enseignée de l’investissement psychique du public scolaire.
Lucien Sfez dans son ouvrage sur la communication, espace commun à l’éducation et à l’enseignement, propose :
« Expression et Représentation : deux visions du monde social, chacune trouvant dans l’autre compensation à ses limites. »[6]
La communication concerne l’éducation et l’enseignement, la finalité de l’une et de l’autre est le lien social. Nous constatons que, bien que distincts dans leur processus, ils font partie d’un même tout dont ils sont porteurs en se produisant réciproquement et en reconnaissant les débats contradictoires[7].
Si l’information sur l’enseignement est accessible à l’ensemble des acteurs concernés par les évaluations réalisées, il n’en est pas de même pour l’espace protégé et privé des actes éducatifs.
Cependant, il ne peut échapper à tout contrôle comme le mettent en évidence par exemple les actes de pédophilie et d’endoctrinement quand l’espace demeure clos. Il est donc nécessaire qu’il y ait information sur les processus existant au sein des groupes tant auprès des autres acteurs privés ou institutionnels de l’éducation, qu’auprès des enseignants pour qu’ils aient connaissance des processus éducatifs mis en actes.
Les études sur les impacts des messages audio-visuels-écrits et les travaux sur les usages des réseaux non filaires, filaires et satellites par le public scolaire offrent de nombreuses pistes.
Un dispositif prend ses origines dans les méthodes des sciences du comportement, des études de contenu, de la sémiologie des sciences de l’information et de la communication, de la psychologie sociale, de la psychosociabilité, de l’ethnométhodologie. Au delà de ces domaines, « la Pensée complexe »[8] en est le fondement.
" Enseigner à vivre ". Edgar Morin
Un dispositif possible a pour objectif la protection de la parole des enfants, des pré-adolescents et des adolescents de toute évaluation et de tout contrôle institutionnel. Par ailleurs, certaines informations sont nécessaires au personnel de l’établissement, aux auteurs de la gouvernance du système, aux responsables du public scolaire extérieurs à l’établissement…
Alain Jeannel
[1] Luis Elisabeth, Lamboy Béatrice, « Les compétences psychosociales :définition, état des lieux », in dossier La santé en action, Développer les compétences psychosociales chez les enfants et les jeunes, Inpes Mars 2015/n°431, pp 12 16.
[2]Debord Guy, La société du spectacle, Buchet chastel Paris 1967, réédition Gallimard 1992.
[3] Relire la relation d’expérience de Lafond Suzanne sur « Malboro , le goût des grands espaces » in Le monde des images cahier C Etudes, CNDP crdp de Bordeaux 1977.
[4] Mendel Gérard, « une intervention au long court depuis 1984 :l’apprentissage de l’expression collective des élèves dans 150 classes de l’enseignement secondaire » in La société n’est pas une famille- de la psychanalyse à la sociopsychanalyse, Editions La Découverte Paris 1992, pp.85 98.
[5] A titre d’exemple, le film L’atelier, réalisateur Laurent Cantet, scénario Robin Campillo et Laurent Cantet, Producteur Denis Frey, France 2017.
[6] Sfez Lucien, Critique de la communication, Seuil, 1988, p.91.
[7] Morin Edgar, Introduction à la pensée complexe, ESF éditeur 1990, pp. 94 104.
[8] Elbaz Jennifer, « Enseigner à vivre, Educavox, novembre 2017.
Dernière modification le mercredi, 14 mars 2018