Utilisation d’objets connectés personnels [1] dans l’espace scolaire
Un débat existe sur l’utilisation des objets personnels numériques et de leur contenu[2] dans l’espace scolaire, domaine qui ne concerne pas directement l’utilisation du numérique dans le cadre du design didactique et pédagogique.
Dans la communauté scolaire, est-il possible d’exclure les usages de ces outils quand publicité consumériste, objectifs économiques, orientation politique en font un objet de consommation quotidienne des générations montantes, soit un véritable fait social ?
En les utilisant au sein de l’espace scolaire, l’élève introduit physiquement un objet personnel qui contient des connaissances le plus souvent non validées et des expériences extra scolaires vécues hors de l’établissement.
L’objet est représentatif de son milieu social, son contenu expose sa vie privée d’enfant, de pré adolescent et d’adolescent avec ses représentations affectives, sociales, cognitives extérieures à l’espace scolaire[3].
Cette exposition de la vie privée est une raison pour que ces outils et leur contenu soient laissés à la porte de l’établissement : ils perturbent une organisation faite pour l’élève, entité administrative, qui correspond à des normes propres à une institution visant la transmission et l’acquisition de notions et méthodes instituées en utilisant ses propres outils.
Cependant ne faut-il pas s’interroger sur l’utopie de ce choix, le public scolaire laisserait à la porte de l’espace scolaire son vécu, avec ses expériences, ses connaissances, ses comportements ?
De nombreux auteurs ont traité les conséquences d’une telle volonté politique. N’a-t-elle pas pour conséquence des effets déstabilisant pour l’humain au moment où il est en plein développement de sa personnalité ?
Si l’ensemble des éducateurs[4] est concerné par les usages connexes des objets connectés. Peuvent-ils vraiment être exclus de l’espace scolaire[5] en considérant qu’ils ne font pas partie de la documentation, des outils et des contenus des programmes académiques institués?
De 1964, à 1984, la ligue de l’enseignement et l’antenne régionale de l’Institut pédagogique National[6] développèrent une expérience qui attribuait des heures hebdomadaires à des enseignants formés en sémiologie des images et des sons, en psychologie sociale et en sciences du comportement.
Les comptes rendus et les études des pratiques attirèrent l’attention des enseignants expérimentateurs[7] sur les réactions d’un public scolaire quand il aborde son environnement composé de films, de bandes dessinés, de romans photo, de publicités. Au cours de ces séances éducatives, après une première période de réserve où sont énoncés tous les stéréotypes sur la portée de ces usages et de leur contenu, commence une série d’énoncés qui mettent en scène la personnalité de chacun.
Ces énoncés provoquent contradictions, conflits que la psychosociologie appliquée à la dynamique de groupe et les sciences du comportement permettent de réguler sans omettre parfois la « sauvagerie » dont un groupe de pré-adolescents et adolescents peut faire preuve. Si dans l’expérience le stimuli était un document audio-visuel, aujourd’hui la demande d’exposer des réactions personnelles à un thème diffusé sur une multiplicité d’écrans suscite conflits, agressions, rumeurs.
Les méthodes coercitives scolaires peuvent éviter momentanément l’explosion des conséquences de cette « culture de masse » pendant les heures d’enseignement consacrées à la pédagogie et à l’enseignement. Mais elles n’évitent pas les situations que des études récentes ont mis en évidence.
Trois manifestations souvent relatées confirment en les amplifiant les situations vécues et traitées cinquante ans plutôt : celle de vengeance s’exerçant à l’encontre de l’autre sur les réseaux sociaux s’ajoutant aux règlements de compte dans et hors l’espace scolaire, celle du refus de reconnaître une valeur à une connaissance située dans son contexte scientifique par l’enseignant en y opposant des informations situées dans d’autres contextes et celle du « décrochage scolaire »[8] quand l’intérêt de l’apprenant se trouve mobiliser par la culture de masse dont la définition et les effets avaient été posés par Edgard Morin dés 1984[9].
Entre le 20ème et le 21ème, l’évolution des technologies de l’information et de la communication apporte de nouvelles pratiques telles que « les réseaux sociaux » et nécessite de redéfinir les composantes de « la culture de masse » à laquelle participe le public scolaire.
Les méthodes éducatives ont pour finalité que ces manifestations personnelles, groupales, comportementales donnent lieu à une formation réflexive.
Elles libèrent l’enfant, le pré-adolescent, l’adolescent des comportements qui ne le disposent ni à la vie d’une communauté scolaire, ni à une aptitude cognitive par leurs effets addictifs.
A partir des prises de parole, elles ont comme finalité d’éduquer le public scolaire à distinguer les différences entre les informations acquises hors du contexte de l’enseignement et les connaissances transmises par l’enseignant, à comprendre les comportements induits par l’addiction aux écrans, à saisir les différences entre les informations médiatisées et les contenus des disciplines académiques pour en comprendre leur place dans l’ensemble plus vaste de la société.
Alain Jeannel
[1] L’outil devient objet dés que l’utilisateur se l’approprie pour obtenir des bénéfices.
[2] Desvergne Marcel, Le numérique terminal mobile intégré aux pratiques, banalisation de l’outil mobile in « Pékin, entrevue, perception », Educavox mai 2017.
[3] Perez Michel, « Accompagner nos enfants dans le nouveau monde numérique » un entretien avec Ghislaine de Chambine, Educavox, octobre 2017.
[4] Laurissergues Michelle, « Si nous prenons, par exemple, puisque nos réflexions sur Educavox sont centrées sur le changement induit par le numérique, la question des « compétences nécessaires au traitement de ressources numériques » nous percevons toute la complexité du problème. » in « L’éclosion d’un nouveau monde éducatif » Educavox, février 2018.
[5] Cool Jacques, Rubrique apprentissage dans « Sans le mieux, le nouveau ne vaut pas la peine » Educavox , novembre 2017
[6] La Borderie René, Jeannel Alain, Lafond Suzanne, Initiation à la Communication Audio visuelle, Le monde des images Cahier C – Etudes, Collection Messages,CNDP Crdp Bordeaux, 1977.
[7] Après 1984, l’expérience s’est poursuivie en sciences de l’éducation dans une option formation de formateurs sous la responsabilité de Giles Dumas Professeur agrégé, maitre de conférences.
[8]Zaffran Joël et Juliette Vollet, Zadig après l’école. Pourquoi les décrocheurs scolaires raccrochent-ils ? , Groupe d’édition le bord de l’eau, février 2018.
En complément, Le Ferrand Philippe, « Histoire d’un kikikomori occidental » in Rhizome, septembre 2016, p.12 – 13
[9] Morin Edgard, Sociologie, Fayard, 1984, p.379.
« La culture de masse n’est donc pas une émanation mécanique des masse media. C’est toute fois la culture qui s’est développée dans et par les mass media selon une dynamique historique propre à la société moderne industrielle-capitaliste-bourgeoise, à partir d’un marché ouvert par les techniques de diffusion massive où des produits culturels ont été proposés comme marchandise selon la loi de l’offre et de la demande. »
Céci Jean François parte de Néo-culture à propos de la culture numérique : Rubrique formation à la culture numérique, in « Pourquoi le numérique éducatif fait-il tant débat autour des bénéfices que l’on peut attendre ? » Educavox novembre 2017.
Dernière modification le mercredi, 14 mars 2018