La classe d’orientation
André Caroff présente ainsi cette nouvelle classe.
« Les maîtres chargés des enseignements littéraires, scientifiques et techniques se réunissent en conseil de classe une fois par semaine, la durée de cette réunion étant comprise dans le service normal.
Au début de I’année scolaire, les élèves sont répartis – en fonction des vœux des familles – selon trois « types pédagogiques » :
1 avec langue vivante et sans latin ;
2 avec latin et sans langue vivante ;
3 sans latin ni langue.
Après un trimestre, le conseil de classe répartit les élèves par options : classique, moderne ou technique, les élèves restant réunis pour toutes les disciplines, sauf pour le latin, la langue vivante et le travail manuel. Ces options pour le choix desquelles il est tenu compte des désirs des familles, peuvent être modifiées à I’issue de la classe de sixième. Par ailleurs,
« des élèves qui se seraient révélés insuffisamment préparés à suivre un enseignement du second degré pourront, avec I’assentiment des familles, être dirigés vers les classes de l’enseignement primaire correspondant à leur âge et à leur degré de développement, peut-être même vers les classes de scolarité prolongée » (circulaire du 20 décembre 1937).
Jean ZAY, dans un communiqué du 24 septembre 1937, précise que la liberté des familles demeure entière mais que celles-ci « trouveront dans I’institution en voie d’organisation une information objective qui leur faisait jusqu’à présent défaut et qui leur permettra d’exercer cette liberté à laquelle ils sont si légitimement attachés, dans des conditions meilleures de clarté et de sécurité ».
Ces propos confirment les termes de la circulaire du 31 mai 1937 :
« Les maîtres de la classe d’orientation n’auront d’autre mission que de découvrir les aptitudes et les goûts dominants des enfants, de leur en faire prendre conscience et d’informer sur ce point et sur les possibilités ultérieures de débouchés les familles qui restent libres de leur choix ».
L’observation continue des élèves par les maîtres étant le fondement des classes d’orientation, un support est étudié pour recueillir les divers renseignements collectés. Une réunion tenue en septembre 1937 au Musée pédagogique arrête un modèle de « livret de renseignements » destiné à centraliser les observations recueillies sur chaque élève. Déjà la circulaire précitée du 31 mai 1937 annonçait une fiche « d’observation et d’orientation » qui comprendrait : une partie médicale, des renseignements sur les antécédents scolaires, les résultats des observations faites par les maîtres au cours des divers exercices scolaires, y compris l’éducation physique et les loisirs.
Par ces diverses dispositions, on peut dire que I’orientation scolaire commence à s’inscrire dans les faits.
En rapprochant le système arrêté par le décret-loi du 24 mai 1938 et les mesures qui viennent d’être évoquées, se dessine les contours d’un dispositif d’ensemble de I’orientation où coexistent les deux aspects présents dès l’origine : d’une part l’orientation intégrée à I’action éducative, d’autre part I’orientation conçue comme une aide ponctuelle apportée au moment du choix professionnel. » (p. 110)
Effraction, triage, répartition
Il s’agit d’une expérience menée dans 41 établissements en France, qui ouvre 172 classes de ce type. Elle fait suite à d’autres expériences, celles des classes « amalgamées »[1] ! Il s’agit de la poursuite de la revendication de l’école unique par les Compagnons de l’Université au niveau du secondaire et donc de supprimer les barrières entre section classique et section moderne au lycée.
C’est l’argument pédagogique qui sera utilisé pour défendre la séparation des sections au moment de l’expérience des classes amalgamées. Ainsi, Jean-Yves Seguy écrit : « Derrière ces avis, on voit poindre un débat pédagogique lié à l’existence même de l’enseignement moderne. Comment enseigner le français au collège ou au lycée ? Peut-on enseigner le français sans avoir recours aux langues anciennes ? Si oui, quels sont les choix d’auteurs et les choix pédagogiques qu’il convient de faire, pour conférer à l’enseignement moderne une réelle originalité et une valeur certaine ? »
Et il poursuit : « Plus fondamentalement, c’est la grandeur du travail enseignant qui se trouve condamnée. Cette idée est exprimée par un groupe de professeurs de lettres du lycée de Périgueux.
« Si l’enseignement a pour simple but de préparer des élèves au baccalauréat, à coup sûr l’amalgame est possible : le professeur fait parcourir un programme dont il élimine soigneusement toute étude un peu précise : son idéal est de rendre le plus d’élèves possible capables de répondre sans absurdité et, il faut bien le reconnaître, cet idéal peut être atteint avec toutes les catégories d’élèves, quelle qu’en soit l’origine […] Sur dix élèves, nous en avons sept qui ne comprennent et ne comprendront jamais rien à l’art de penser ou d’écrire ; il faut cependant en faire des bacheliers, les familles l’exigent et, comme elles paient, l’Administration a besoin d’eux. Il faut donc se mettre à leur portée, réduire au minimum les exigences, se contenter d’un bachotage qui n’est qu’un trompe-l’œil. Il est vain d’épiloguer sur le statut des études littéraires quand des candidats sont reçus avec des notes à peu près nulles, grâce à des notes brillantes en langues vivantes ou en sciences. » »
Une remarque en passant, à cette période, les études secondaires sont payantes. C’est le 16 avril 1930 que l’entrée en 6e devient gratuite. « En 1930, la gratuité du système secondaire permet de faire passer les effectifs de 70 000 en fin 19e à 134 000 en 1939. Mais le cursus reste très élitiste avec un concours d’accès en 6e. » (p. 5)[2]
On ouvre le lycée, on mélange les publics, on rend gratuit les études. On attire, mais on protège en même temps avec le concours d’entrée en sixième. Et peut-être surtout on laisse les enseignants du secondaire gérer la circulation scolaire telle qu’elle est organisée depuis 1880.
Les classes d’orientation prennent un autre sens, d’autant plus que l’âge de la scolarité a été repoussé à 14 ans. Avec un bémol, l’article 1 de la Loi sur l’instruction primaire obligatoire du 9 août 1936 est formulé ainsi : « Art.1. – Le début du 1er alinéa de l’article 4 de la loi du 28 mars 1882 est modifié comme suit :
« L’instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, âgés de 6 à 14 ans révolus, etc. » (le reste sans changement). »
Il s’agit de « l’instruction primaire » ! La période suppose encore la séparation entre les deux ordres du primaire et du secondaire. Claude Lelièvre[3] précise : « Jean Zay, ministre radical sous le Front populaire, fait voter le 9 août 1936 une loi qui porte à quatorze ans révolus (treize pour les titulaires du certificat d’études primaire) l’obligation scolaire. Une classe dite de « fin d’études », avec un programme ad hoc, est créée. Jean Zay, devant certaines réticences qui peuvent parfois être très vives, est amené à la justifier par des « attendus » (qui sonnent d’ailleurs quelque peu curieusement aujourd’hui) :« Cette classe ne saurait à aucun degré être considérée comme un refuge pour les enfants incapables de faire autre chose. Elle recevra beaucoup d’excellents éléments qui, pour des raisons variées, ne chercheront pas leur place dans le second degré […]. La classe finale de la scolarité est faite pour le grand nombre, et dans ce grand nombre il se trouve une quantité de sujets d’une très bonne qualité intellectuelle ». »
Pour la première fois le terme d’orientation est utilisé dans l’espace du secondaire. Jusque-là il s’agissait d’une pratique appartenant à l’univers de l’apprentissage même si les enseignants du primaire s’y trouvaient impliqués[4]. La réforme-expérimentation ne consiste plus seulement à décloisonner, mais elle introduit un processus et un objectif à ce décloisonnement qui semblait absent des expériences précédentes.
On passe d’une logique de sélection-filtrage (je prends-je rejette) à une logique de répartition[5]. Dans le premier cas, on fait passer des examens scolaires, dans le second cas, les enseignants doivent « observer » les élèves… Petite révolution de posture, mais qui sera courte avec l’arrivée de la guerre. Le Plan Langevin-Wallon reprendra cette conception, puis la réforme Berthoin, et ensuite encore la réforme Haby.
Nos procédures d’orientation actuelles supposent toujours cette capacité à observer largement chaque élève pour justifier de la proposition d’orientation. Mais si la forme de nos procédures restent bien celle de l’observation, son exécution reste celle de l’examen !
Bernard Desclaux
[1] Jean-Yves Seguy, « Les classes « amalgamées » dans l’entre-deux-guerres : un moyen de réaliser l’école unique ? », Revue française de pédagogie [En ligne], 159 | avril-juin 2007, mis en ligne le 01 avril 2011, consulté le 06 mai 2018. URL : http://journals.openedition.org/rfp/699 ; DOI : 10.4000/rfp.699
[2] Eric GILLON http://histoiredechiffres.free.fr/pedagogie/Histoire%20EN.pdf
[3] Claude Lelièvre « La durée de la scolarité obligatoire: un problème récurrent » http://blog.educpros.fr/claudelelievre/2015/08/20/la-duree-de-la-scolarite-obligatoire-un-probleme-recurrent/
[4] Voir mon article : « Psychologie, orientation, éducation 6 : les fondements d’une profession » http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2018/02/02/psychologie-orientation-education-6-les-fondements-dune-profession/
[5] Antoine Prost, Du changement dans l’école. Les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours, Paris, Seuil, 2013, 386 p. Voir le chapitre Jean Zay : une réforme privée de Loi pp. 29-44.
Article publié sur le site : http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2018/05/08/psychologie-orientation-education-12-la-periode-du-front-populaire-et-jean-zay/