Un cadre de réflexion
Le moment déclencheur de cette réflexion sur l’histoire de l’orientation, se situe au milieu des années 90 alors que je suis « responsable » de la formation à l’éducation à l’orientation dans l’académie de Versailles. Dans ce cadre, je défends l’idée qu’il est nécessaire de bien distinguer trois missions liées à l’orientation, si on veut vraiment mettre en œuvre une éducation à l’orientation.
On peut résumer cette distinction dans le schéma suivant :
Les trois champs de l’orientation
Un autre schéma fut élaboré fut élaboré pour mon article « L’éducation en orientation en tant qu’innovation », publié en fait en 2005 dans la revue Perspectives documentaires en éducation, n° 60, 2003, L’éducation à l’orientation, pp 19-32. On peut également le consulter sur ce blog « Pour une conception ternaire de l’orientation ».
L’éducation à l’orientation entraîne le développement de nouveaux rôles pour les différents acteurs, les enseignants ainsi que les conseillers, et surtout une responsabilité collective et non plus individuelle.
Pour moi, cette évolution était évidente, or je constatais beaucoup de résistance aussi bien chez les enseignants que chez les personnels d’orientation. Bien sûr, tout changement reçoit de la résistance, mais il me semblait alors qu’il y avait d’autres sources à ces résistances.
La piste historique s’ouvre par un déclencheur
Un des séminaires du vendredi à l’INETOP, ouvert à tous en 96/97, porte sur le thème de l’éducation à l’orientation.
Une journée y est consacrée à laquelle j’assiste. Je résume à grands traits les quatre interventions qui s’y succèdent :
- Jean Guichard, directeur de l’INETOP, fait un rappel de la conception d’Antoine Léon, qui arrive trop tôt d’après lui. Il introduit également l’exposé suivant en présentant la théorie de Hoyt. Je suis à peu près sûr que presque personne n’a entendu parler de ce personnage américain.
- Suit un exposé d’une espagnole qui nous présente ce qui se prépare en Espagne. C’est grosso modo l’application de la théorie d’Hoyt : les enseignants font de l’éducation à la carrière, et les conseillers d’orientation espagnols se sentent menacés. Mais je sens qu’il n’y a pas que les conseillers espagnols qui ressentent cette menace.
- Bernadette Dumora, ex-partisante de l’ADVP en France, vient expliquer que l’éducabilité en matière de représentation professionnelle est impossible à l’adolescence.
- Et enfin Françoise Bariaud, spécialiste de l’adolescence, se présentant comme une « scientifique » fait une critique grinçante de la circulaire concernant l’EAO.
L’auditoire est partagé. Beaucoup sont très heureux de ce renfort des scientifiques contre l’éducation à l’orientation. Quelques-uns s’interrogent sur le rôle que l’INETOP est en train de jouer à un moment où d’un côté son statut concernant la formation est remis en cause, et que de nouveaux rôles professionnels sont indiqués par le ministère au travers, notamment, de cette circulaire.
L’exposé de Jean Guichard qu’il présente au congrès de l’ACOPF de PAU en septembre 97, et qu’il va répéter à plusieurs occasions, repose sur une dichotomie dans le concept d’orientation : processus institutionnel contre processus individuel. On a là la base d’une structure conflictuelle, qui a été inaugurée il y a bien longtemps…
Le deuxième élément qui me frappe dans cet exposé, c’est la présentation de la conception d’Antoine Léon, et de l’interprétation de son « rejet » à l’époque : c’est l’école qui n’est pas prête ! Je n’ai jamais entendu parler de discussions de la conception de Léon par des pédagogues. Par contre j’ai lu une condamnation par Henri Piéron dans le BINOP (discussion que je commenterai dans un prochain post).
De même aujourd’hui je ne vois pas de discussions de l’éducation à l’orientation en dehors du cercle des spécialistes de l’orientation. Autrement dit ces débats sont bien des débats interne à la profession des conseillers d’orientation. Et je fais donc l’hypothèse qu’il ne s’agit pas d’un problème scientifique, ni non plus d’un problème vraiment politique.
Mon hypothèse est que les deux niveaux d’arguments, scientifiques et politiques sont toujours utilisés, mais qu’ils servent à masquer l’autre débat fondamental, celui de la conception professionnelle. On doit pouvoir lire cette histoire comme étant celle de la constitution d’un champ professionnel à l’intérieur duquel se crée une profession. Cette profession se construit dans un contexte dans lequel elle fait certains choix et ces choix me semblent très particuliers à la France.
J’ai recensé quelques conflits qu’Il est possible de structurer en trois types de problèmes, et de « résolutions » que je vais résumer ci-dessous et que je développerai dans les articles ultérieurs.
Au nom de quoi fonder l’expertise ?
L’affaire Pierre Naville est un moment de dérangement. Il remet en cause la naturalité des aptitudes.
- De Beaumont écrit, involontairement, je pense, sur l’importance de la croyance : « A ceux qui sont capables de faire un effort d’attention, nous demandons de poursuivre la lecture de cet ouvrage pour comprendre ce que font pour eux et leurs enfants, de patients chercheurs, dans le calme de leurs laboratoires, depuis des années. Ces chercheurs s’appliquent à trouver des solutions pratiques à l’évolution sociale, de façon qu’un jour, on puisse dire au « grand public » : « Voilà la solution toute faite, toute trouvée ; Ecoute et crois ». Parmi ces recherches sociologiques si indispensables à l’heure actuelle, une des plus importantes devient l’orientation professionnelle. Naturellement, elle a commencé très modestement, mais il apparaît à celui qui l’étudie d’un peu près que son Destin l’appelle à une amplification considérable. » (Beaumont, G. (1938). Guide pratique de l’OP. Paris : Dunod).
Cette croyance n’est pas nécessaire que pour le public. Elle l’est également pour les conseillers eux-mêmes. C’est dans la mesure où ils croient dans ce qu’ils font, qu’ils sont efficaces. Ainsi introduire un doute sur la réalité de l’objet (la naturalité des aptitudes) qui leur sert d’argumentaire, c’est dissoudre leur croyance. C’est la même situation que Balint décrivait pour le médecin le malade et la maladie (Le Médecin, son malade et la maladie, 1957).
Qui décide ?
L’expert ou la personne ? C’est au fond la question que soulève Antoine Léon. Si c’est la personne elle-même qui doit décider, alors il y a un travail de préparation à réaliser… C’est entre autre la question de l’information, mais peut-être pas seulement. Aujourd’hui on parlerait d’éducation à l’orientation.
Fonder l’expertise à partir de quelle relation ?
Et ici on se posera la question de la relation d’expertise. Est-elle basée sur l’autorité, la capacité à convaincre, à travailler avec, à accompagner. Porte-elle sur le quoi (quoi décider) ou sur le comment (comment permettre la réflexion). L’entretien comme relation professionnelle essentielle est en question. Ici ce sera le débat entre la conception d’Henri Piéron et celle de Donald Super au tout début des années 60.
On doit également remarquer que chaque étape historique a produit son institution :
- avec l’Orientation professionnelle, la théorie des aptitudes, les tests, et la pratique du diagnostic, c’est l’INOP (aujourd’hui l’INETOP) qui est mise en place, une formation d’un personnel spécifique ;
- avec l’Orientation scolaire, c’est l’information qui est nécessairement produite pour justifier le choix, c’est l’ONISEP qui est mise en place. Cette information est théoriquement adressée en priorité aux usagers ;
- quelle sera l’institution nécessaire pour la mise en œuvre de l’éducation à l’orientation ? Qu’est-ce qui est nécessaire ? Sans doute un accompagnement au sens large des différents acteurs intervenants dans ce champ.
Bernard Desclaux
Article initialement publié sur le site : http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2018/01/13/psychologie-orientation-education-2-debut-de-reflexion/