Nous sommes très nombreux à toujours prendre personnelles ces inconvenantes remarques et à réfléchir à l’organisation de notre pédagogie et de notre didactique plutôt qu’à d’autres aspects de l’apprentissage qui incombent aux étudiants.
Réfléchissons sur ce sujet …
L’apprentissage se fait normalement en trois temps : le temps de l’enseignant, le temps de l’étudiant et le temps du transfert. C’est en scindant et en décrivant ces étapes que nous pourrons déterminer la période où l’enseignant n’a plus ou pas de contrôle sur le déroulement et le déploiement de l’apprentissage. Nous verrons ensuite comment l’enseignant professionnel peut récupérer une situation de désengagement des étudiants pour, malgré tout, faire apprendre quelque chose à ces derniers.
Le temps de l’enseignant :
C’est le temps le plus long car il débute toujours avant la session de cours alors que l’étudiant n’a même pas encore pris possession de son horaire. L’enseignant consacre beaucoup de temps à préparer et à organiser son contenu de cours, sa didactique, ses activités d’apprentissage (devoirs, évaluations, exercices), ses grilles d’évaluation ainsi que la séquence de ses leçons et de ses activités. Il répartit sa matière sur 15 semaines et la scinde en différentes étapes d’apprentissage. Prenons maintenant le cas d’un devoir sommatif, et analysons la séquence du travail qui précède le moment où l’étudiant prendra en charge la tâche d’apprentissage (le devoir).
D’abord, l’enseignant présente toujours, à l’ensemble du groupe d’étudiants, les notions théoriques qu’ils devront utiliser pour accomplir l’activité (ce sont les connaissances déclaratives). Durant cette période, l’étudiant doit assumer et soutenir certaines responsabilités face à son apprentissage : écouter les notions, prendre des notes si nécessaire, poser des questions, prendre attentivement connaissance des notions. L’élève doit donc aménager son temps efficacement de manière à exploiter au maximum cette période avec son enseignant et à saisir les notions qui lui serviront ultérieurement. (Durant ce temps consubstantiel et inséparable, l’enseignant ne contrôle aucunement la décision de l’élève d’écouter, de prendre quelques notes et de poser des questions, pour s’assurer qu’il comprend bien les notions auxquelles il est exposé).
Lors de cette étape, l’enseignant ne fait pas uniquement que transmettre les notions aux étudiants ; il doit donner un sens aux notions en faisant des liens entre elles ou avec des notions d’autres cours. Il expliquera à l’élève, par exemple, en quoi les notions lui seront utiles et pourquoi il doit en prendre connaissance. Cette notion d’utilité servira à la motivation extrinsèque de l’apprenant. Et pour apprendre, nous le savons, il faut avoir une motivation.
Une fois les notions théoriques transmises (et bien avant le devoir sommatif), l’enseignant suggérera aux étudiants quelques activités significatives, authentiques et pratiques.
Ces activités seront habituellement formatives et viseront l’application des notions théoriques. Il y aura quelques fois une procédure à suivre, et l’enseignant modélisera cette dernière plusieurs fois devant les étudiants. En remplacement d’une activité formative, l’enseignant peut exposer l’étudiant à plusieurs exemples pratiques mais ; je privilégie l’activité pratique formative. (Durant le déroulement des activités formatives, l’enseignant ne contrôle encore une fois presque rien. Au-delà de faire plusieurs supervisions individuelles, de poser des questions aux élèves et d’essayer de vérifier si les élèves exécutent l’activité ; le degré de sérieux avec lequel les étudiants s’impliquent et s’engagent pour le faire leur appartient). Personne ne peut apprendre à la place de l’élève. On ne peut pas forcer un élève à apprendre, pas plus qu’on ne peut le forcer à penser et à s’impliquer dans un travail formatif.
Notre rôle est de placer ces derniers dans des situations favorables pour qu’ils apprennent. Vous connaissez ces 4 phrases :
1. Le jardinier peut mettre de l’engrais, mais il ne peut pas pousser à la place de l’arbre.
2. L’entraîneur peut donner des techniques, mais non compter des buts à la place du joueur.
3. Le médecin peut soigner, mais il ne peut pas guérir à la place du patient.
4. Le cuisinier peut préparer le repas, mais il ne peut pas manger à la place du client.
C’est pendant la période formative que l’enseignant agira sur le cognitif et le métacognitif de l’élève. Il tentera d’accrocher les nouvelles notions aux choses que l’étudiant connaît déjà (c’est le cognitif). Il va aussi aider l’élève à réfléchir sur ce qu’il fait et comment il le fait : avant, pendant et après l’activité (c’est le métacognitif).
L’enseignant aidera également l’étudiant à réfléchir en posant des questions. Ces dernières doivent l’aider à formuler une idée claire dans sa tête (tirer des leçons) et de ce qu’il fera (planifier). Un autre bon moyen d’aider notre élève à se faire cette idée claire, c’est de lui demander de nous décrire par écrit ce qu’il a fait, de penser à voix haute pendant qu’il travaille et de nous redire ce qu’il fera. L’enseignant peut aider en servant de modèle, c’est-à-dire en faisant les choses en se mettant à la place de l’étudiant.
Nous sommes donc maintenant arrivés à la période du devoir. L’enseignant donnera les instructions sur ce dernier et il expliquera le sens de l’activité. Encore une fois, « faire sens » est une prémisse à la motivation. Il faudra expliquer en détail le « pourquoi » du devoir et les raisons pour lesquelles il est sommatif. L’enseignant prévoira une période de questions sur les instructions et sur l’activité à faire. Il doit s’assurer que tout est clair pour réaliser l’activité, et il expliquera les critères que comporte la grille d’évaluation.
Mais pour apprendre vraiment, il faut avoir l’occasion d’agir par soi-même, d’expérimenter, de résoudre des problèmes et de commettre des erreurs. Pour ne plus faire d’erreurs, il faut avoir eu l’occasion d’en commettre. On apprend lorsque l’on est actif. C’est durant cette période active que plus de 80% de l’apprentissage s’effectuera : c’est le temps de l’étudiant. Nous conviendrons et supposerons, maintenant, que le devoir à accomplir sera intéressant et tiendra compte des préoccupations et des intérêts de l’élève.
À mon humble avis, c’est ici qu’une grande portion de la responsabilisation de l’enseignant s’arrête. L’enseignant doit lâcher prise pour un certain temps (il s’impliquera à nouveau lors du transfert des apprentissages). Explicitons ce que ce dernier vient d’accomplir entre le début de la session (et même avant) et le moment où il remettra un devoir sommatif.
Pour arriver au devoir (ou tâche ou activité d’apprentissage), l’enseignant devra :
1. Choisir des activités pertinentes (le devoir en est une) et adaptées au niveau de développement des élèves (sachant que l’activité présente un lien clair avec un objectif du programme d’études et que la tâche est adaptée à l’âge ou au développement de ses élèves) ;
2. Communiquer les objectifs et le déroulement du devoir (c’est-à-dire la place de l’activité (devoir) dans le plan de cours et le lien entre l’activité et l’objectif du programme poursuivi, les consignes du devoir, le temps nécessaire pour accomplir la tâche et son échéance, la description claire de la tâche, la grille d’évaluation et les comportements envisagés) ;
3. Organiser un déroulement logique et pédagogique de l’activité (la transmission des notions théoriques, les exercices formatifs, le moment de la tâche, une tâche scindée et juste assez complexe, une transition entre cette tâche et une autre plus complexe qui s’effectuera plus tard durant le cours) ;
4. De plus, l’enseignant devra s’assurer que la tâche exigée est en lien direct avec le contenu et qu’elle est l’élément déclencheur d’intérêt et de motivation de la part de l’étudiant. S’assurer aussi que l’objectif est clair et que les connaissances antérieures préalables sont évoquées. L’enseignant établira un lien avec les nouvelles connaissances. Les étudiants seront rassurés quant au produit final auquel ils s’attendent.
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Je viens de tracer la ligne qui démarque le changement de garde. C’est ici que l’étudiant se prend en main et exécute sa portion de l’apprentissage. Réussira-t-il l’activité ? À mon humble avis, les conditions pour réussir l’apprentissage viennent d’être établies pleinement et entièrement par l’enseignant. Pourquoi alors certains étudiants obtiendront-ils un échec et qui en est responsable ? Si les conditions de réussite sont bien mises en place comme nous venons de le décrire, quel est le degré de responsabilité pour les échecs qui surviendront, le cas échéant, et surtout, la cause de ces échecs ? Décrivons, pour pouvoir répondre à ces questions, certains faits connus…
Nous déterminerons 3 cas possibles d’insuccès pour une activité d’apprentissage : (1) l’échec dit incontrôlable par l’enseignant (causé par diverses raisons externes dont nous parlerons plus loin) ; (2) l’échec dit contrôlable par l’enseignant (causé par des facteurs reliés à l’enseignant lui-même) ; (3) l’échec fictif (causé par l’étudiant qui décide de ne pas s’engager dans la tâche d’apprentissage). Nous nommerons cet échec fictif « indisposition à l’apprentissage ».
(1) L’échec dit incontrôlable peut être causé par un ou plusieurs des facteurs suivants : le niveau de développement de l’étudiant, sa compétence construite, son bagage de connaissances antérieures, sa capacité à effectuer son métier d’étudiant, l’implication de l’élève dans le cours, son désir de suivre le cours, l’intérêt qu’il porte à la matière ou au programme d’études, les influences de sa vie sociale et personnelle, l’usage qu’il fait de son temps, l’influence de son temps pédagogique institutionnel et de son horaire, les rythmes biologiques, la santé de l’étudiant, la vie familiale de l’élève, le rapport de l’étudiant avec la pédagogie de l’enseignant, l’influence des pairs, ainsi que le comportement envisagé de l’élève. L’enseignant n’a aucun contrôle au niveau de ces facteurs. Il ne pourra agir sur l’étudiant qu’après l’échec, lors de la période nommée « le temps du transfert des apprentissages ».
(2) L’échec dit contrôlable peut être causé par un ou plusieurs des facteurs suivants : une mauvaise planification de l’enseignant, l’expérience de ce dernier, un manque de formation pédagogique, une négligence professionnelle, un manque de contrôle sur la matière enseignée, un cadre d’apprentissage inachevé ou inadapté. L’enseignant a le contrôle sur ces facteurs et il devra les corriger s’il veut contribuer adéquatement à l’apprentissage des étudiants. L’enseignant réflexif sait discerner ces facteurs et il agira professionnellement pour les corriger.
(3) L’échec fictif ou « indisposition à l’apprentissage » est causé par un seul facteur : l’indisposition de l’étudiant à s’engager dans son apprentissage et à mettre en marche son intention réel d’apprendre par son implication active dans la tâche à faire. L’enseignant n’a aucun contrôle au niveau de ce facteur. Il pourra quand même agir sur l’étudiant après l’échec, lors de la période nommée « le temps du transfert des apprentissages ». J’en parlerai dans un prochain billet.
Je m’intéresse, pour ce propos, à la troisième forme d’échec, celle que je nomme échec fictif ou « indisposition à l’apprentissage ». Dans le cadre d’un cours, il ne suffit pas d’avoir l’intention d’enseigner mais peut-être faut-il avoir l’intention d’apprendre de la part des étudiants. Il faut considérer la démarche de l’apprenant. Cette dernière est bien plus importante qu’on ne l’imagine, ou qu’on feint de l’imaginer. De plus, l’intention d’apprendre n’est pas forcément synonyme de volonté de faire ou de produire une certaine activité d’apprentissage. Dans notre monde scolaire collégial, certains jeunes ont-ils réellement l’intention d’apprendre ? On peut souvent se poser la question (et ce, même dans un programme technique choisi par l’étudiant). Plusieurs ont souvent fait l’expérience de cette intention presque flottante au cours d’une leçon de trois heures. Nos étudiants partagent leur temps entre différentes préoccupations personnelles (voir ce billet). C’est la raison pour laquelle on observe que le rythme scolaire n’est pas réellement créé pour favoriser l’intention d’apprendre chez plusieurs étudiants.
L’intention d’apprendre et l’engagement de l’étudiant dans son apprentissage sont clairement énoncés dans les textes officiels. Prenons cette citation du Conseil supérieur de l’éducation, dans un avis à la ministre de l’éducation datant de 2008 et intitulé « AU COLLÉGIAL – L’ENGAGEMENT DE L’ÉTUDIANT DANS SON PROJET DE FORMATION : UNE RESPONSABILITÉ PARTAGÉE AVEC LES ACTEURS DE SON COLLÈGE » :
« La notion d’engagement, dans sa conception générale, fait référence à la responsabilité de l’étudiant dans la réussite de ses études. Dans les plans de réussite que se sont donnés les collèges ces dernières années, on trouve souvent cette phrase : « L’étudiant est le premier responsable de sa réussite ». La responsabilité, l’investissement personnel et les efforts consacrés par l’étudiant à son travail sont des caractéristiques communément associées à l’engagement. » p.4
Notons que plusieurs recherches valables (« Relation entre les explications de l’échec scolaire et quelques caractéristiques d’enseignants du collégial », par Yamina Bouchamma, Revue des sciences de l’éducation, vol. 28, n° 3, 2002, p. 649-674 ; « Explication de l’échec scolaire et représentation sociale », par Youcef Aïssani ; « Les attitudes et les pratiques pédagogiques des enseignants au collégial », par Joseph Chbat, Professeur – chercheur, philosophie, Collège André-Grasset) ont mis à jour la statistique suivante : la vaste majorité des enseignants croient en l’obligation de la réussite impérative de tous leurs élèves et qu’ils sont toujours disposés à remettre en question leurs méthodes devant l’échec de l’un ou l’autre de leurs élèves (peu importe le type d’échec, même dans le cas d’un échec fictif ou « indisposition à l’apprentissage »).
Mon opinion est que dans le cas d’échec fictif ou « indisposition à l’apprentissage », si l’étudiant ne s’engage pas, si l’étudiant ne prend pas en charge son temps d’apprentissage, alors l’enseignant doit se déresponsabiliser et se détacher émotivement des échecs, peu importe le nombre. Ne pas le faire peut conduire l’enseignant vers des maux beaucoup plus grâve qu’un mal de tête temporaire. L’émotion mal utilisée est malsaine en enseignement, surtout si elle culpabiblise l’enseignant pour des facteurs qu’il ne contrôle « pas du tout » ; alors qu’il a fait son travail pleinement et professionnellement.
Dans un prochain billet, je vous parlerai du troisième temps de l’apprentissage : le temps du transfert. Nous verrons ainsi comment l’enseignant reprend le contrôle de l’apprentissage après l’avoir cédé à l’étudiant et ce, même pour les cas d’échec fictif ou « indisposition à l’apprentissage ».
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