Débutons notre analyse en précisant pourquoi nous nommons ainsi les types d’échec et comment nous les distinguons. L’échec est avant tout un insuccès, un revers, une défaite qui se produit lors d’une tentative, lors d’un essai ou d’une épreuve.
Nous avons observé que l’échec dit incontrôlable peut être causé par un ou plusieurs des facteurs suivants : le niveau de développement de l’étudiant, sa compétence construite, son bagage de connaissances antérieures, sa capacité à effectuer son métier d’étudiant, l’implication de l’élève dans le cours, son désir de suivre le cours, l’intérêt qu’il porte à la matière ou au programme d’études, les influences de sa vie sociale et personnelle, l’usage qu’il fait de son temps, l’influence de son temps pédagogique institutionnel et de son horaire, les rythmes biologiques, la santé de l’étudiant, la vie familiale de l’élève, le rapport de l’étudiant avec la pédagogie de l’enseignant, l’influence des pairs, ainsi que le comportement envisagé de l’élève. Nous savons que l’enseignant n’a aucun contrôle au niveau de ces facteurs. Il ne pourra agir sur l’étudiant qu’après l’échec, lors de la période nommée « le temps du transfert des apprentissages ».
Lors de cette situation, l’apprenant s’implique dans la tâche et prend en main l’activité d’apprentissage. Cependant, le niveau d’implication peut varier d’un étudiant à l’autre. Il en est de même pour certains facteurs qui peuvent influer sur la réussite : un apprenant pourrait subir la mauvaise influence d’un pair ; un autre n’aimera simplement pas la pédagogie de l’enseignant et trouvera l’activité démotivante (ce qui influencera le degré d’implication dans la tâche ainsi que la note) ; un troisième utilisera son temps à mauvais escient et réalisera l’activité à la dernière minute (ce qui influencera aussi le degré d’implication ou d’attention à la tâche). Dans le cas d’un échec incontrôlable, la définition du mot échec garde tout son sens linguistique puisqu’il y a tentative ou essai à réaliser la tâche. Nous utilisons également le mot incontrôlable dans le sens où l’enseignant ne peut en aucun cas contrôler les facteurs nommés qui peuvent affecter le résultat de l’activité d’apprentissage.
En ce qui a trait à l’échec dit contrôlable, il peut être causé par un ou plusieurs des facteurs suivants : une mauvaise planification de l’enseignant, l’expérience de ce dernier, un manque de formation pédagogique, une négligence professionnelle, un manque de contrôle sur la matière enseignée, un cadre d’apprentissage inachevé ou inadapté. Nous savons que l’enseignant a le contrôle sur ces facteurs et qu’il devra les corriger s’il veut contribuer adéquatement à l’apprentissage des étudiants. L’enseignant réflexif sait discerner ces facteurs et il agira professionnellement pour les corriger.
Dans ce cas, l’apprenant s’implique dans la tâche et prend en main l’activité d’apprentissage. Par contre, l’apprenant n’exerce pas de contrôle sur les facteurs pouvant influencer sa réussite de l’activité. Dans le cas d’un échec contrôlable, la définition du mot échec garde tout son sens linguistique puisqu’il y a tentative ou essai à réaliser la tâche par l’élève. Nous utilisons le mot contrôlable dans le sens où l’enseignant peut, le cas échéant, contrôler les facteurs nommés qui peuvent affecter le résultat de l’activité d’apprentissage.
L’échec fictif ou « indisposition à l’apprentissage » est bien différent. Il n’est causé que par un seul facteur : l’indisposition de l’étudiant à s’engager dans son apprentissage et à mettre en marche son intention réelle d’apprendre par son implication active dans la tâche à accomplir. L’enseignant n’a aucun contrôle au niveau de ce facteur. Il pourra quand même agir sur l’étudiant après l’échec, lors de la période nommée « le temps du transfert des apprentissages ».
C’est pour cette raison que nous désignons cet échec de fictif ou d’« indisposition à l’apprentissage ». Fictif dans le sens étymologique de faux, d’erroné. La définition du mot échec au sens linguistique ne s’applique pas puisque l’apprenant ne fait pas de tentative ou d’essai sérieux à la réussite de l’activité. L’« indisposition à l’apprentissage » n’est donc pas un échec à proprement parler. Il s’agit d’un choix de non-participation de l’étudiant, un abandon avant ou très tôt pendant l’essai.
Comment l’enseignant peut-il récupérer ces trois formes d’échec ? Comment le pédagogue aguerri peut-il, à partir d’une situation d’insuccès, faire apprendre l’élève ? Avant de décrire quelques méthodes pour « faire apprendre à partir d’insuccès » (que nous verrons dans un prochain billet), nous vous présenterons quelques thèmes essentiels : la notion d’engagement des étudiants, la dyade compétence-connaissance et la notion de transfert des apprentissages et d’intégration.
La notion d’engagement des étudiants
L’apprentissage (et l’étymologie du mot le confirme) doit tendre à donner à l’étudiant l’occasion de « s’essayer » à penser, à faire, à découvrir des choses ou à résoudre par lui-même. Lorsque Antonio Giacomo Stradivari, dit Stradivarius, prenait un apprenti luthier sous sa gouverne, il le mettait rapidement à la tâche de fabriquer des violons. Ce dernier, après une période d’observation, devait indubitablement se mettre à « toucher du bois » pour essayer de fabriquer un instrument comme le maître. Stradivarius lui-même fut l’apprenti de Niccolò Amati entre 1666 et 1679. Il passa 13 ans « à faire les choses », à s’engager dans la tâche sous la supervision d’un enseignant. Il en est ainsi pour nos étudiants. La notion d’engagement découle directement de cette opportunité « d’essayer » de réaliser des choses, de cette envie qui doit pousser un étudiant à vouloir réfléchir et comprendre ; il s’agit d’une forme d’énergie qui motive à chercher, qui pousse à faire pour mieux comprendre.
Nous soutenons avec fermeté et conviction que l’apprentissage doit se faire par l’élève lui-même dans la tâche et la pratique, en action. Il n’existe pas d’autre moyen d’accéder à la connaissance que de penser par soi-même. L’effort personnel est la seule activité qui permette de compléter un apprentissage. Paul Valéry affirmait :
« Personne n’apprend à nager dans les livres. Mais on peut envisager une formation qui donne la maîtrise parfaite d’une façon orthodoxe de nager…, et une autre qui prépare à se sentir bien dans l’eau, à y respirer, y bouger librement, y ouvrir les yeux, s’y amuser. À partir de quoi chacun saura construire sa propre façon de nager. »
La dyade compétence-connaissance
Compétence et connaissance : deux mots lourds de sens mais qui sont souvent mal utilisés hors contexte. Connaître quelque chose ne signifie pas être compétent en la matière, et apprendre n’est certainement pas accumuler des connaissances. Nous accumulons plein de choses dans nos espaces de rangement qui ne servent jamais à rien. Je connais très bien les principes de fonctionnement d’un moteur de voiture, mais je ne sais pas réparer celle-ci ni diagnostiquer un problème. De plus, si l’on n’utilise pas les connaissances que nous assimilons, nous les oublions. Il fut un temps, au moment de mes études en actuariat, où je pouvais appliquer facilement les formules de « life contengencies » dans différents contextes. Mais maintenant, je ne sais plus ; je n’ai jamais pratiqué ce métier. Désirons-nous que nos étudiants aient la tête bien pleine ou la tête bien faite ?
Voilà une nuance qui explique très bien la différence entre les deux mots de notre dyade. L’apprentissage ne doit pas être uniquement une mise en relation avec des connaissances, mais plutôt un savoir-faire. Un savoir-faire transformé et maîtrisé qui n’est pas non plus une suite de réactions stéréotypées du type stimulus-réponse, comme les chiens de Pavlov. Un « savoir-faire » bien maîtrisé permettra à l’étudiant d’improviser des comportements, des réactions et des actions dans des situations diversifiées, variées et inédites qu’il n’a peut-être jamais rencontrées. En résumé, pour acquérir une compétence, il faut être en contact avec des connaissances, maîtriser parfaitement ces connaissances et développer un « savoir-faire ». Mais l’expression le dit bien… pour savoir faire, il faut d’abord faire, et faire implique nécessairement un engagement dédié à la tâche.
La notion de transfert des apprentissages et celle d’intégration des apprentissages.
Transfert et intégration : encore deux mots souvent mal utilisés. L’expression intégration des apprentissages est celle qui nous amène davantage à nous questionner. Avons-nous affaire à un pléonasme et à un verbiage ? Si l’apprentissage a été mené dans l’optique du savoir-faire maîtrisé, comme nous venons de le cerner, ne devrait-il pas être intégré complètement ?
La deuxième question nous ramène à l’angle sous lequel nous abordons l’intégration et le transfert : processus ou résultat ? Si l’intégration, dont le transfert est une forme, doit être un résultat, notre système éducatif possède de multiples lacunes. Nous le constatons avec certains de nos étudiants en stage ou avec les étudiants de première session incapables de réinvestir au collégial certains acquis du secondaire.
Nous préférons traiter l’intégration comme un processus par lequel l’enseignant intervient de manière à favoriser le transfert. Cette intervention demandera donc à ce dernier de se responsabiliser et de prendre sur lui la tâche de planifier des leçons et des activités d’apprentissage qui tiendront compte d’un cadre de référence favorable à cette intégration, et ce dans la perspective du développement des compétences d’un programme particulier. Vu sous cet angle, l’enseignant devra donc réfléchir activement sur ses prestations et ses leçons ; réfléchir sur ce qu’il dit, à quel moment et avec quels mots.
Nous savons que l’intégration des apprentissages se réalise d’abord par intériorisation : assimilation, modélisation et régulation, puis par extériorisation : application et transfert.
L’intégration comporte cinq facteurs d’importance : (1) un objet d’apprentissage qui est une compétence et donc une capacité d’agir sur du réel dans une situation réelle - lire authentique ; (2) des formules pédagogiques intégratrices faisant appel aux habiletés intellectuelles spécifiques à l’intégration et au transfert ; (3) la triade contextualisation - décontextualisation - recontextualisation ; (4) des étudiants actifs - lire tête active - et motivés - motivation intrinsèque ; (5) un enseignant qui agit et parle comme un animateur pédagogique plutôt que comme un magister et qui établit une relation pédagogique adéquate avec ses étudiants en canalisant et en organisant l’énergie du groupe-classe tout en l’entretenant par ses paroles et par ce qu’il dit.
Maintenant que ces éléments ont été éclaircis, nous pourrons, dans un prochain billet, établir des méthodes pour « faire apprendre à partir d’insuccès ». Cela aura pour but de s’assurer qu’il y ait transfert et intégration de quelques apprentissages malgré un échec.