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Tous les exemples ne sont pas forcément à suivre... 
Récemment, la chaîne LCP a rediffusé l’excellent film de N. Philibert : "Être et Avoir", qui donna lieu, on s’en souvient, à un étonnant amalgame entre les qualités du film — plus exactement du documentaire tourné par Philibert dans cette petite école auvergnate — et celles du maître de cette classe unique. 
L’instituteur fut porté aux nues, comme symbole du merveilleux hussard de la République des années trente, au point qu’il en attrapa une tête assez grosse pour oser exiger un cachet de comédien... Une telle aberration révéla alors une âme moins admirable qu’elle ne paraissait de prime abord et rouvrit les yeux de certains sur le caractère assez discutable de sa pédagogie.

Une analyse un peu poussée des contenus scolaires que le film présente conduit évidemment à poser la question du titre de ce billet.
Tenter de répondre à cette question, à l’aube de cette année nouvelle, est un cadeau non inutile à faire à tous ceux que préoccupe l’avenir de l’école. Et puis c’est aussi l’occasion de parler des classes rurales dites "uniques" (il y en aura toujours), régulièrement oubliées dans les formations.
 
 
Ce qui a pu contribuer à fausser ainsi l’image de l’enseignant qui apparaît à travers le documentaire, c’est l’impression de sérénité qui se dégage des moments de classe. Le maître ne crie jamais. Il parle avec douceur. Il est au milieu des élèves et jamais face à la classe. Il s’adresse souvent aux enfants de façon individuelle. Il semble les aimer. Toutes qualités qui ne sont pas, tant s’en faut, l’apanage de tous les enseignants du primaire, y compris aujourd’hui. Les instit. hurlant dès qu’un élève bouge un peu et distribuant les punitions existent toujours (j’en ai vu récemment), et les explications magistrales en guise de cours, suivies d’exercices d’application, restent monnaie courante.
 
Cette sérénité, particulièrement mise en valeur par le cinéaste — les effets de lumière à la Rembrant sur le Maître corrigeant les copies dans la chaleur du soir sont admirables — a contribué sans doute à faire oublier que, du point de vue pédagogique, Georges Lopez est exactement le contraire d’un "bon instituteur".
 
A quoi reconnaît-on un "bon prof" ? 
 
D’abord à l’allure de sa classe.
Surtout dans l’école d’un petit village qui ne possède guère de produits culturels, ni librairie, ni cinéma, et encore moins de théâtre, l’école se doit d’être un peu tout cela, au moins dans l’organisation du lieu de vie scolaire. Un coin librairie (et pas seulement "lecture"), avec des ouvrages de grands auteurs (et pas seulement des œuvres pour enfants) et des ouvrages sur l’art, un coin "documentation" avec les dictionnaires et les encyclopédies, un coin "medias", où l’on trouve l’ordinateur, mais aussi les journaux (les illustrés pour enfants, la presse locale, la presse-télé et au moins un journal national), un coin "musique" avec les partitions de toutes les chansons qu’on apprend (savoir que la musique s’écrit aussi fait partie du savoir lire), etc.
 
Un lieu où les tables ne sont surtout pas "en autobus" : une classe où les tables sont rangées les unes derrière les autres est une classe où il ne peut exister que des cours magistraux et du travail individuel, donc une classe dont l’objectif est de "séparer le bon grain de l’ivraie", avec tout ce que cela signifie de non démocratique.
 
Un lieu où les enfants ont droit à la parole et où le maître n’est pas seul à parler. Précisément, dans le film qui est le point de départ de ce billet, on voit bien que, s’il est vrai que le maître s’adresse individuellement aux enfants et avec une bienveillance qui peut séduire, c’est néanmoins toujours lui qui parle. Eux ne font que répondre. On peut même ajouter qu’ils ont l’air surpris, impressionnés, ce qui laisse supposer que ces entretiens ne sont guère habituels (pour la caméra ?). Quand il y a relation profonde entre le maître et les enfants, le courant passe dans les deux sens : ce n’est pas ce qu’on voit avec Georges Lopez.
 
C’est aussi un lieu habité par un groupe d’enfants solidaires : dans une classe à plusieurs cours, une part importante du temps doit s’adresser à tous les enfants ensemble. Seules les activités de structuration des savoirs se font séparément niveau de classe par niveau de classe, et toujours en petits groupes à l’intérieur des "niveaux". Et si un niveau de classe n’est représenté que par un seul élève, celui-ci est toujours associé à un autre niveau, soit comme "tuteur" des élèves plus jeunes, soit pour bénéficier de l’aide des camarades plus âgés. Et l’on ne fait pas perdre leur temps aux plus petits, comme le fait G. Lopez, avec des dessins sans intérêt aucun.
Ensuite, un bon prof se reconnaît à ce qu’il fait en sorte que la vie familiale des élèves — surtout dans un petit village où tout le monde se connaît — se retrouve dans le travail de la classe, que les domaines d’excellence des petits soient mis en valeur à l’école : je pense à ce gamin qui participe avec tant d’aisance aux activités de la ferme familiale, et qui, en classe, n’est considéré que comme un élève en difficulté.
Un bon prof, c’est aussi quelqu’un qui propose des activités constamment riches de réflexions et d’apprentissage, y compris quand on s’amuse : la glissage en luge sur la neige, au lieu de se faire bêtement telle quelle, avec des chutes qui ne font que rire, pourrait être l’occasion d’observations et d’expérimentations, sur les manières de maîtriser trajectoires et vitesse... Même chose pour la fabrication de la pâte à crêpes.
 
Mais cela implique de la part du prof une préparation approfondie. Justement, de toute évidence, G. Lopez ne prépare pas grand chose de ses cours : si N. Philibert ne le filme chez lui que lorsqu’il corrige les cahiers (activité inutile s’il en est !), c’est très probablement parce qu’il n’a rien trouvé d’autre, à se mettre sous la caméra...
Or, un bon prof, c’est quelqu’un qui travaille énormément... pour obtenir que les enfants travaillent aussi (on ne peut apprendre qu’en travaillant).
Enfin on reconnaît un bon prof à ce qu’il sait trouver les moyens d’aider les enfants à construire leur savoir sans "faire à leur place", et sans leur donner des conseils inutiles, voire dangereux : dans la séance d’écriture du mot "maman" (quelle originalité !) que G. Lopez propose aux petits de sa classe, les conseils qu’il donne n’ont rien à voir avec l’apprentissage de l’acte graphique, ni avec la connaissance des signes de l’écriture : il parle de "ronds", il conseille de "remonter". Ce n’est pas ainsi qu’ils vont surmonter les difficultés auxquelles ils sont confrontés.
Et, bien entendu, même s’il n’a pas reçu la formation théorique sur les contenus qu’il a à enseigner, le "bon prof" a su combler lui-même ces lacunes — surtout aujourd’hui où la documentation est à la portée de tous : c’est ainsi qu’il ne confond pas lecture et lecture à haute voix, chiffre et nombre, ou l’action de compter avec le fait de réciter la suite des nombres. Quand il s’entretient avec un enfant sur ses résultats, il ne se borne pas aux exercices réussis ou non, ni aux moyennes obtenues.
Comme on le voit, un "bon prof" n’est sûrement pas celui qui travaille comme il y a soixante ans (même à cette époque, beaucoup travaillaient mieux que G. Lopez !).
A ce point de la réflexion, il n’est pas inutile de rappeler comment Laurent Carle définissait naguère les qualités, à ses yeux indispensables, pour exercer le métier d’enseignant :
Aimer apprendre, aimer enseigner, aimer éduquer, aimer transmettre, aimer lire, aimer la culture, aimer la compagnie des enfants ou des adolescents, aimer les échanges et les relations humaines, être autonome, ouvert au changement, audacieux, sociable, créatif, coopératif, humaniste, anticonformiste, démocrate, sont les conditions nécessaires mais non suffisantes. Le reste, il faut l’apprendre en formation, à condition que les formateurs remplissent, eux aussi, ces nécessaires conditions et se soient formés avec d’authentiques formateurs de formateurs, non avec des conservateurs de musée, gardiens des dogmes et de la liturgie.
Si les formateurs font partie de ceux qui sont en extase devant un Georges Lopez, s’ils confondent qualités d’un film avec qualités d’un des personnages de l’histoire, l’avenir de la formation des enseignants risque de rester bien sombre...
 
Parions donc contre ce pessimisme et souhaitons que 2013 redresse pour l’école une barre qui semble avoir toujours un peu de mal à prendre la bonne direction.
 
 
Crédit photo : JRBrousse, An@é
Dernière modification le dimanche, 12 octobre 2014
Charmeux Eveline

Ancienne élève de l’ENS, professeur à l’EN d’Amiens, puis au CRCEG de l’EN, entre 1956 et 1971.

Nommée ensuite à l’ENG de Toulouse, puis à l’IUFM de cette ville jusqu’en 1993, date de mon départ en retraite, j’ai parallèlement travaillé à l’INRP, en tant qu’Enseignant chercheur associé, depuis 1966 jusqu’à mon départ en retraite. J’ai publié de nombreux ouvrages sur la pédagogie du français à l’école primaire et au collège.