La plupart du temps il s’agit de valider des pratiques innovantes plus ou moins exercées jusque-là. D’une certaine manière l’innovation est valorisée. Mais cette innovation, relayée par les corps d’inspection et les chefs d’établissement, dépend pour beaucoup des intérêts disciplinaires des uns et des stratégies individuelles des autres. Son relais n’est jamais neutre. Les acteurs du terrain se trouvent donc le plus souvent pris entre différents intérêts, entre différents arguments, entre différentes positions prises dans/par les lignes hiérarchiques dont ils dépendent tout à la fois.
Que peuvent, que doivent faire les formateurs ?
La lecture des circulaires
S’informer soi-même. Le formateur doit prendre le temps de lire les « circulaires » tant ministérielles qu’académiques, et être au courant de leur parution. Qu’est-ce qui est officiellement demandé aux acteurs, enseignants, chefs d’établissement, et autres personnels ? Il y a une multiplicité, une complexité des « demandes ». Quantité et complexité, mais également nature de la « demande », font que l’application est floue, souvent peu relayée par les « autorités ». L’information n’est pas faite ou très peu sur le terrain, mais il faut aussi le constater également dans le dispositif de la formation continue elle-même.
Le formateur de base étant nécessairement du terrain et sur le terrain, est considéré comme étant au courant. Il n’est pas nécessaire de l’informer. Or la diffusion sur le terrain ne se fait pas. Très peu de circulaires arrivent jusqu’à l’enseignant de base. Mais de plus, la lecture d’une circulaire « pour application » ne se fait pas de la même manière que « pour être objet de mise en formation ».
Cette lecture doit être la plus critique possible pour imaginer toutes les occasions de refus, de résistances, de détournements. Le formateur doit pressentir tous ces pièges afin d’être près en cours de formation à repérer ces difficultés, à décoder ces résistances, et pouvoir les travailler. Cette lecture ne peut se faire en solitaire, elle a besoin d’être la plus globale, de confronter tous les points de vue, d’intégrer tous les univers possibles. Elle doit donc être organisée le plus collectivement possible. Se préparer au pire est toujours formateur pour le formateur et donc pour les stagiaires à terme.
La traduction
Les acteurs se trouvent submergés par les demandes de changer. Elles se succèdent dans le temps, de plus en plus rapidement, et semblent émises par des instances non-coordonnées, parfois conflictuelles. En même temps, et peut-être heureusement, tous ces messages n’arrivent pas jusqu’aux acteurs de terrain. En tout cas ce dont ils souffrent c’est ce que l’on peut appeler un manque de traduction. Entre l’injonction, la formule administrative et son application sur le terrain il y a tout un travail de traductions successives qui semblent de plus en plus difficiles.
La « traduction » est un concept développé par M. Callon et B. Latour. Une présentation de cette approche sociologique analysant le processus d’innovation dans H. Amblard, P.Bernoux, Gilles Herreros, Y-F. Livian : les nouvelles approches sociologiques des organisations, Le Seuil, 1996. L’idée essentielle, est que les unités sociales sont cloisonnées dans des univers culturels particuliers (l’administration, le terrain…), et que les messages des uns et des autres doivent-être « traduits » pour être compréhensibles et avoir une chance d’être efficaces. J’ai utilisé ce modèle dans mon article « L’éducation à l’orientation en tant qu’innovation », in Perspectives documentaires n° 60, 2003.
Cette traduction est normalement une activité des différents étages de l’administration. Le passage de la loi aux décrets puis aux circulaires d’application en est une première étape, fabriquer des règles à partir d’une loi. Il existe une deuxième étape qui est l’écriture des circulaires académiques puis départementales. On observe ici un emballement entre le temps de l’action et celui de l’écriture de ces circulaires. Dans beaucoup de situations, les circulaires apparaissent bien après l’action qu’elles devraient impulser. Le support essentiel de l’administration n’est plus l’écrit « administratif », mais la parole et passe par d’autres canaux et dispositifs.
Le passage par ces canaux a des effets. Parmi ces canaux, il y a le système des médias qui impose quelques caractéristiques aux messages qui y circulent. Le message se doit d’être simple, réduit, c’est une formule choc, un slogan. Mais une autre caractéristique, est que le temps entre l’émission et la réception est quasiment immédiat, que les intermédiaires administratifs, ces traducteurs, sont « sautés » dans cette transmission. Et s’il reste quelque traduction elle se fait dans le champ des médias et non de l’institution, et selon les règles des médias. Il faut rajouter que les supports de communication passeront sans doute de plus en plus du papier à l’électronique. Et que donc dans cette situation l’action des intermédiaires vient nécessairement après la communication. Chaque récepteur est institué comme étant de plein droit, comme capable d’une compréhension directe et immédiate du message.
Nécessité d’une lecture collective et organisée par les formateurs
Le champ de la formation continue souffre, de cette modification très profonde de la traduction, à double titre. Comme n’importe quel acteur, le formateur est également oublié. Mais de plus, en tant que formateur, il doit être justement un des éléments de ce dispositif de traduction. Et ce travail d’information, d’appropriation, de réflexion, de confrontation qui permet une ébauche de traduction doit être organisé ou du moins rendu possible, et non pas laissé finalement à la bonne volonté individuelle comme c’est le cas la plus part du temps aujourd’hui.
La suite dans de prochains articles.
Bernard Desclaux