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Dans les systèmes d'enseignement supérieur anglo-saxons, le bachelor est un titre de niveau "undergraduate". Il se délivre à la fin du premier cycle, donc correspond grosso modo à ce que nous nommons "licence". En France, les bachelors sont apparus dans les années 1980, créés dans un très petit nombre d'écoles privées tertiaires. Il fallut attendre le début des années 2000 pour que, du fait de la mise en place du système "L/M/D" commun dans la plupart des pays du Monde, ils puissent tirer bénéfice de leur positionnement au niveau bac +3

Les familles se sont mises à beaucoup les demander, malgré des droits de scolarité plus ou moins importants, et en dépit du fait que ce titre ne bénéficiait le plus souvent d'aucune reconnaissance académique officielle, si ce n'est pour certains une inscription au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), qui ne saurait être confondue avec le grade de licence. Même succès grandissant auprès des employeurs qui se sont progressivement mis à apprécier positivement le profil polyvalent et international de ces jeunes diplômés et les embauchent volontiers, ce qui explique en grande partie l'attraction croissante exercée auprès des familles par ces formations.

Après une première vague de création de bachelors dans le secteur tertiaire (management des entreprises, gestion, finance, marketing, publicité, ressources humaines, hôtellerie-restauration, tourisme, communication ...), on a vu apparaître une deuxième génération de ce type de formation dans le secteur industriel et scientifique, mais aussi les arts, les sciences politiques ... Aujourd'hui, il se crée en France une trentaine de nouveaux bachelors chaque année, et le site de L'Etudiant en recense plus de 600 de toutes sortes en septembre 2019.

Ce développement débridé a eu pour conséquence de réduire la "lisibilité" de ce secteur de formation, au point que Madame Frédérique VIDAL, Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a pu déclarer, le 11 juillet 2019 à l'occasion d'une réunion des responsables des trois grandes "Conférences" (Conférence des présidents d'université, Conférence des grandes écoles et Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs), ainsi que de diverses organisations syndicales représentatives d'enseignants-chercheurs de l'enseignement supérieur, que "nul ne sait réellement ce qu'ils (les bachelors) recouvrent", et ajoute que "cela semble logique puisque le bachelor n'a en réalité aucune existence juridique et ne fait l'objet d'aucune reconnaissance particulière", oubliant en tenant de tels propos une forme importante de reconnaissance qui est celle du marché de l'emploi. Mais ce qu'elle a déclaré est fondé sur un strict plan académique.

Ce constat est largement partagé par la Conférence des grandes écoles, qui héberge une partie des bachelors au sein des écoles qu'elle représente. C'est ce qui explique que, de longue date, la CGE demande à l'Etat d'introduire un peu d'ordre en octroyant à certains bachelors (notamment ceux qui sont hébergés par des groupes grandes écoles affiliées à la CGE, mais pas uniquement) le droit de permettre d'accéder automatiquement au grade de licence.

Aux yeux des responsables de cet organisme, cela permettrait aux familles et aux prescripteurs (professeurs, conseillers d'orientation, personnels de direction des lycées ...) en amont, ainsi qu'aux employeurs en aval, de trier le bon grain de l'ivraie. Rappelons qu'il y a une vingtaine d'années, la CGE avait exprimée une demande semblable concernant les diplômes délivrés par les grandes écoles à bac + 5, et avait obtenu que certaines d'entre elles soient autorisées à délivrer le grade de master.

Soucieuse d'y voir plus clair avant d'apporter une réponse à la demande de la CGE, la Ministre avait précédemment confié à Messieurs Jacques BIOT - ingénieur et entrepreneur, ancien Président de l'Ecole Polytechnique - et Patrick LEVY - Président de l'université de Grenoble - une mission visant à présenter un panorama de ce secteur de formation et de proposer des axes d'une possible réforme, en définissant en particulier "les conditions dans lesquelles certains bachelors pourraient délivrer le grade de licence qui serait une véritable reconnaissance de l'Etat".

Un rapport a été remis à la Ministre le 20 juin 2019.

 

Les auteurs y mettent en lumière "le foisonnement de ces diplômes d'établissements et leur diversité considérable". Ils ajoutent que "dans l'intérêt des familles, une plus grande transparence s'impose, et ce d'autant que beaucoup de ces programmes font l'objet de frais d'inscription élevés". Ils suggèrent donc à la Ministre que des labels de qualité (tel le grade de licence) soient attribués par des instances officielles d'évaluation, sur la base de critères pré définis et d'évaluations préalables des établissements concernés par des commissions pilotées par les autorités ministérielles.

Ces propositions ont conduit la Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche à déclarer officiellement, lors de la réunion pré évoquée tenue le 11 juillet 2019 au Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, que certains bachelors pourraient obtenir le grade de licence, à quatre conditions :

  • La qualité académique du bachelor devra être reconnue par une commission ministérielle officielle;
  • La formation devra être adossée à la recherche et donc ne pas être strictement technique. Le critère principal retenu pour en juger sera la part - qui devra être significative - d'enseignants/chercheurs dans l'équipe pédagogique permanente.
  • Elle devra en outre être portée par un "établissement qui s'inscrit dans une politique de site". Ce critère est évidemment de nature à favoriser les bachelors qui sont préparés au sein de "groupes grandes écoles" ou d'ensembles pédagogiques recouvrant plusieurs cycles d'études supérieures, y compris de niveau troisième cycle/recherche, qu'ils soient diplômants  ou non.
  • Le bachelor considéré devra faire bénéficier une partie de ses étudiants d'une politique sociale évaluable par l'existence de quotas de places réservées aux candidats boursiers, aux candidats issus de filières technologiques et professionnelles de lycée, l'attribution de bourses et autres aides financières aux étudiants dont les parents sont membres de catégories socioprofessionnelles défavorisées, une place importante faite à l'apprentissage ...

La Ministre a ajouté que ces diverses annonces devront être précisées dans un proche avenir, et donc faire l'objet de consultations complémentaires. Toutefois, compte tenu des consultations antérieures, et de la remise du rapport Biot/Lévy, elle déclare vouloir aboutir, après consultation de l'incontournable CNESER (conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche), à un arrêté de reconnaissance du grade de licence au profit de certains bachelors avant la fin octobre 2019.

De quelle licence s'agira-t-il ?

 

En l'état actuel des choses, ce grade correspond à deux types de licences : générale ou professionnelle. S'agissant de bachelors - formations technologiques en trois ans - le label "licence générale" serait absurde. On serait plus proche du concept de "licence professionnelle" mais ces dernières, sous leur forme actuelle, sont des formations de troisième année ne durant qu'une seule année (en réalité : de six à neuf mois), accessibles à des étudiants issus de deuxième année de licence générale, ainsi que de BTS/DUT. Le format bachelor se déroulant en trois ans, ne conviendrait donc pas. C'est sans doute pour lever cette difficulté que la Ministre a annoncé la création d'une licence nouvelle : la "licence professionnelle de technologie". Elle serait principalement constituée par transformation de certains DUT (bac + 2) en formations étalées sur trois ans ou de licences professionnelles qui évolueront vers un parcours de formation en trois années.

Autrement dit, en même temps que la Ministre annonce son acceptation de rendre possible l'octroi du grade de licence à certains bachelors, elle dit vouloir créer un diplôme concurrent du bachelor, qui faisait défaut au sein des universités. Une telle création ne posera guère de problèmes aux groupes membres de la Conférence des grandes écoles, protégés par l'excellente réputation de leurs établissements, et vers lesquels une part des familles continueront sans doute de vouloir que leurs enfants s'orientent après le baccalauréat, ayant la capacité à faire face aux importants droits de scolarité que de telles études réclament.

Par contre, cette nouvelle licence est de nature à poser de plus ou moins importants problèmes aux bachelors des "petites écoles", qui pourraient voir une partie de leurs candidats, en particulier ceux issus des voies technologiques et professionnelles de l'enseignement secondaire, trouver avantage à la quasi gratuité offerte par des parcours universitaires de ce type.

Bruno MAGLIULO

Dernière modification le samedi, 28 septembre 2019
Magliulo Bruno

Inspecteur d’académie honoraire -Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie de l’éducation - Formateur/conférencier -

(brunomagliulo@gmail.com)

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun : www.editionsopportun.com ) :

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