Enfin le Graal
Il est obtenu à la fin du ministère de gauche (Najat Valaud-Belkacem) en 2017. Les psychologues scolaires et les conseillers d’orientation-psychologues sont réunis dans un seul corps, celui des psychologues de l’éducation nationale (PsyEN) mais restent sous leurs toits respectifs. Ils gardent des missions distinctes et des territoires séparés (primaire/secondaire et supérieur). Cette dénomination fait tomber l’ambiguïté : ils sont psychologues, pleinement. Quant à l’orientation elle est reléguée en fin de dénomination de la « spécialité » : psychologue de l’Éducation nationale de la spécialité « éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle ». Personne ne les dénommera ainsi, trop compliqué ! Ils seront donc des PsyEN. Le descriptif de la mission développe surtout les activités psychologiques et réduit ce qui concerne l’orientation. Voir l’analyse que je proposais dans l’article « PsyEN, l’orientation du psychologue ».
Ce que je peux dire aujourd’hui porte sur deux constats. D’une part le ministère, lui-même, fait de moins en moins de recours aux PsyEN sur le plan de l’aide et du conseil en orientation. Et du côté des PsyEN ils se trouvent de plus en plus sollicités par des activités que j’appelle de « traitement ».
Il y a les examens pour préparer un dossier pour les enfants présentant un handicap (le traitement « bureaucratique » c’est particulièrement complexifié depuis la loi de 2005 au fur et à mesure que le champ s’est structuré). Des parents, de plus en plus nombreux demandent des examens pour faire reconnaître leur enfant comme étant intellectuellement précoce. Tous ces examens psychologiques supposent des entretiens, l’utilisation de tests (passation, correction, interprétation, rédaction, restitution…), et de participer parfois à des commissions. On peut estimer que plus d’une dizaine d’heures sont consacrées à chaque cas supposant des compétences très précises sur le plan de l’évaluation psychologique. Un autre secteur d’activité, réclamant d’autres compétences, cette fois-ci celles de la psychologie relationnelle, réclame de plus en plus souvent les PsyEN du secondaire c’est celui du décrochage, en particulier sur le versant de la prévention.
Dans tous ces cas, il s’agit d’orientation de certains élèves vers des « structures » particulières hors de l’établissement d’origine, cette orientation étant organisée bureaucratiquement, le PsyEN ayant sa fonction reconnue dans ce processus bien plus que dans celui de l’orientation scolaire classique.
La mise en « concurrence »
Avec le nouveau président de la République, Emmanuel Macron, un nouveau ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer est installé. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel adoptée durant l’été 2018, présentée par le ministère du travail semble montrer qu’il y a quelques conflits au sein de la majorité et entre les ministères. C’est le ministère du travail qui introduit l’idée de transférer les DRONISEP aux Régions, et lors des débats certains envisagent également de transférer, voire de supprimer les CIO, et de rattacher les Psy EN EDO aux établissements scolaires (Lycées). Le Ministère de l’éducation ne se manifeste pas trop sur ces deux terrains, mais il obtient de conserver le contrôle des procédures d’orientation et d’affectation[1].
Vu, sans doute, le peu d’enthousiasme des régions concernant les CIO, l’article de loi les concernant n’apparait pas dans la loi, par contre celui concernant les DRONISEP est maintenu. Le cadre national de référence entre l’État et Régions de France est publié. J’en ai discuté à l’époque dans « Le cadre et le partage des territoires de l’orientation ».
Que peut-on dire aujourd’hui ? La réduction du nombre des CIO s’est poursuivie sans atteindre tout de même, semble-t-il, le projet de certaines académies d’un seul CIO par département (ce qui correspond au décret-loi de… 1938 !). Dans chaque rectorat le SAIO a été transformé en DRAIO (La Délégation de région académique à l’information et à l’orientation). Voir par exemple la présentation de cette délégation sur le site de l’académie de Lille.
La référence aux personnels d’orientation pour le conseil en orientation se fait de plus en plus rare. Difficile sans doute de dire ou d’écrire : « pour un conseil en orientation allez voir votre psychologue de l’Éducation nationale (psyEN EDO) ». D’autant plus qu’il est de moins en moins disponible pour ce créneaux d’activité. Les professeurs principaux sont donc de plus en plus désignés. Et les PsyEN seront pris entre plusieurs feux, en interne par les enseignants d’abord, mais en externe, il y aura les interventions de la région, mais aussi toute l’offre privée qui se développe de conseil et coaching.
Et puis, soudain, la crise sanitaire du covid arrive en France. Le confinement s’installe et les personnels du secondaire (et du primaire bien sûr) se débrouillent comme ils peuvent pour tenir le contact avec les élèves et les familles ; il en restera peut-être quelque chose[2].
Deux mois après le déconfinement s’annonce, en partie et sous beaucoup de conditions. Beaucoup d’angoisses se manifestent, et notre ministre se souvient le 7 mai et dans plusieurs vidéos distinctes, il s’adresse à différents personnels « non-enseignants » dont les psychologues de l’Éducation nationale[3]. Une nouvelle utilité apparaît. Elle se trouvait déjà en filigrane dans les « cellules d’aide psychologique » constituée lors d’événements traumatiques. Il s’agissait tant de soutenir les élèves que les parents et les enseignants dans ce type de situations. Et là, très clairement le ministre lui-même fait appel à ces compétences pour soutenir et accompagner les élèves, mais surtout les équipes éducatives qui vont reprendre l’activité dans les établissements.
Au bout du compte que restera-t-il du conseil en orientation ? Et pour paraphraser le titre du livre d’Antoine Meyer et Philippe Meyer, « Le communisme est-il soluble dans l’alcool ? » (Le Seuil, 1978) je pourrai écrire :
« Le conseiller d’orientation est-il soluble dans la psychologie ? ».
Bernard Desclaux
[1] J’ai consacré deux tribunes pour le Monde à discuter de cette loi : « L’Etat français considère-t-il encore l’orientation scolaire comme relevant de sa responsabilité ? » https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/06/03/l-etat-francais-considere-t-il-encore-l-orientation-scolaire-comme-relevant-de-sa-responsabilite_5470859_3224.html reprise sur ce blog sous le même titre http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2019/06/24/letat-francais-considere-t-il-encore-lorientation-scolaire-comme-relevant-de-sa-responsabilite/ et l’autre tribune, « Quel avenir pour les conseillers d’orientation ? » l’également sur ce blog http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2019/10/02/quel-avenir-pour-les-conseillers-dorientation/
[2] Voir mon post sur ce blog : « Les procédures d’orientation en temps de confinement et après » http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2020/04/15/les-procedures-dorientation-en-temps-de-confinement-et-apres/
[3] COVID-19 : Message aux psychologues de l’éducation nationale https://www.youtube.com/watch?v=tYGlgzDcwi8&feature=youtu.be&fbclid=IwAR0ZOyI32BJhnki2kDdtFPPlV7VshhzJS13L8xLCmIrspgt_W3cJNmKWYOI&app=desktop
Dernière modification le vendredi, 05 juin 2020