Promesse de liberté
Prospero (Ery Nzaramba) a déclenché une tempête pour faire échouer dans l’île où il est exilé son frère qui lui a volé son royaume et le roi de Naples, l’allié du complot. Rongé par un désir de vengeance et prisonnier de son passé, Prospero est tout occupé par son « art » : la magie qui l’avait éloigné du pouvoir politique. Il capte l’attention des spectateurs à qui il s’adresse dès le début de la pièce. Il fait rire avec malice malgré certains moments tendus. Il est soutenu par Ariel, un esprit des airs bienfaiteur et coquin, interprété par Marilú Marini à la forte présence scénique et dont la gestuelle est constamment en mouvement.
Ariel est un serviteur fidèle et loyal, touchant par sa sensibilité. Avec courage, il rappelle à Prospero, sa promesse de liberté.
Caliban - Sylvain Levitte qui joue également le prince de Naples -, est l’esclave, sa colère gronde. « Cette île est à moi, par Sycorax ma mère, et tu me l’as prise », reproche-t-il à Prospero. Tous deux ne partagent pas le même niveau de langue et ne sont jamais en phase. Le dialogue écrit vers 1611 est étonnant de modernité. Il a été repris pour traiter des ambiguïtés de la colonisation notamment par Aimé Césaire (1913-2008).
Caliban voudrait être libre mais très vite pour nuire à Prospero, il se soumet à de nouveaux maîtres, les pétillants Fabio et Luca Maniglio qui incarnent des ivrognes bêtes et avides.
Sylvain Levitte est épatant dans deux rôles que tout oppose : Caliban, l’opprimé qui crie sa hargne, et Ferdinand, le fils du roi de Naples aux belles aspirations.
Un effet miroir
Prospero assiste à la rencontre amoureuse entre sa fille Miranda - la magnétique Paula Luna - et Ferdinand. Mais les épreuves s’abattent sur le jeune prince. Il parvient à résister : « La bassesse peut être vécue avec noblesse et une situation très dure peut contenir un riche espoir. »
La scénographie dépouillée permet d’être au plus près du verbe. Pour Peter Brook, le comédien doit faire confiance à la résonance des mots et à la qualité du silence pour faire éclore l’imaginaire. La lumière crée un enchantement notamment pendant le moment de la « cérémonie de mariage », passant du rouge flamboyant à des jeux d’ombres, devenant bleutée. Le surnaturel est surtout représenté par le jeu d’Ariel, accompagné par la voix profonde d’Harué Momoyama.
La pièce Tempest project regroupe les principaux thèmes de l’œuvre prolifique de Shakespeare : les jeux du pouvoir et des passions, la nature humaine… Le sujet de la fragilité du théâtre ou des illusions de la vie est évoqué de façon magistrale par Prospero, duc déchu qui pardonne à ses ennemis : « Ces acteurs n’étaient que des esprits qui se sont dissous dans l’air (…), tout va se dissoudre comme ce spectacle éphémère, ne laissant aucune trace. »
A l’épilogue, Prospero évoque le sortilège du spectacle et son souhait de s’en défaire. Ce sont les dernières phrases de Shakespeare dans son ultime pièce. Les liens établis par Brook avec Shakespeare créent un effet miroir troublant.
Dès le début de son parcours, le dramaturge fasciné par Shakespeare inscrit son travail dans la recherche, il n’a jamais trouvé de réponse définitive : « Tous les sujets qui concernent l’être humain sont contenus dans ses pièces et dans chacune, il existe un sens mystérieux. »
Les chants de la bande sonore ont été enregistrés il y a plus de vingt ans, la nuit, aux Bouffes du Nord. Ce Théâtre, ancienne ruine sortie de l’oubli par Peter Brook, à deux pas du Métro de La Chapelle, est une des plus belles scènes parisiennes. L’atmosphère y est à la fois intimiste et puissante.
Fatma Alilate
Tempest project – Peter Brook et Marie-Hélène Estienne
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
Du 14 mars au 29 mars 2025
Avec : Sylvain Levitte, Paula Luna, Fabio Maniglio, Luca Maniglio, Marilú Marini et Ery Nzaramba
Adaptation et mise en scène : Peter Brook et Marie-Hélène Estienne
Lumières : Philippe Vialatte
Chants : Harué Momoyama
Tempest project, adaptation de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne d’après la version française de Jean-Claude Carrière de La Tempête de William Shakespeare, publié chez Actes Sud-Papiers