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Dans un rapport paru en juin 2023,  édité par le « think tank » Fondapol  (Fondation  pour l’innovation politique),  portant sur « L’enseignement supérieur privé en France », l’ancien Président de l’université de Paris-Dauphine – Laurent BATSCH – constate la très forte croissance des effectifs d’étudiants et apprentis inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur privé, et se penche sur les facteurs explicatifs de ce phénomène et sur certaines de ses conséquences, notamment la politique de plus forte régulation de l’enseignement supérieur privé qu’il suscite (1).

1.     La très forte croissance des effectifs d’étudiants et apprentis inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur de statut public ou privé.

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Evolution des effectifs d’étudiants et apprentis inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur en France

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                                                                        1990             2000               2010                 2021

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Secteur  public (en milliers)                  1.460.000     1.883.000     1.902.000        2.233.000

Secteur privé (en milliers)                      260.000         277.000         447.000           736.000

Part du secteur privé (en %)                     15%               13%               19%                  25%

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Source : Direction de l’évaluation et de la prospective du Ministère de l’éducation nationale

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En 2021/2022,  on comptait en France un total de près de trois millions d’étudiants et apprentis  inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur, tous niveaux confondus. Parmi eux, 25% (736.000) relevaient d’un établissement d’enseignement supérieur privé, chiffre en très forte croissance tout au long de la période considérée puisqu’il n’était que de 15% (260.000) en 1990. Depuis, cette tendance s’est poursuivie, la part des inscrits de ce type passant à près de 27% en 2024.

2.     Quelles sont les principales raisons  de cette forte tendance à la hausse ?

La forte augmentation du nombre des étudiants et apprentis inscrits dans une formation de l’enseignement supérieur français privé découle de l’évolution globale de la démographie scolaire : durant le demi-siècle passé, notre pays a connu une vague quasi constante de « baby-boom » qui a d’autant plus nourri le nombre global des étudiants et apprentis de l’enseignement supérieur en général, de ceux de l’enseignement supérieur privé en particulier, que le taux d’accès au baccalauréat dans une génération a connu une tout aussi force croissance, passant de 30% en 1985 à plus de 80% aujourd’hui, et que la part des bacheliers (et détenteurs de diplômes équivalents) qui choisissent de prolonger leurs études dans l’enseignement supérieur a tout aussi fortement progressée. 

Cette croissance ne concerne pas le seul secteur privé de l’enseignement supérieur : les effectifs des établissements de statut public en ont aussi bénéficié, mais dans une nettement moindre proportion.

Un des facteurs explicatifs de cette différence est que la plupart des établissements d’enseignement supérieur privés  bénéficient auprès des familles, comme auprès de la plupart des prescripteurs (professeurs, conseillers en charge de l’orientation…), d’une image globalement plus positive, dans la mesure où l’ « employabilité » de leurs diplômés au terme de leur parcours de formation dans l’enseignement supérieur est en moyenne nettement plus importante.

Or, les possibilités de débouchés dans le monde du travail à l’issue du parcours d’études supérieures suivies s’est durablement installé en tant que critère primordial de choix de sa formation supérieure. En particulier, en se développant principalement selon le modèle des « écoles professionnelles » à effectifs limités, les formations de statut privé ont su pour la plupart s’appuyer sur leur capacité à proposer des formations professionnelles ciblées sur des métiers émergents tels ceux auxquels on peut se préparer dans les nombreuses écoles des jeux vidéo, de la cyber sécurité, du management sportif, de la comédie musicale, de l’influence, du digital, de la gastronomie… ou des métiers plus anciens mais fortement recruteurs tels ceux de l’informatique, du design, des arts appliqués, du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration, du commerce, des sciences de l’ingénieur, etc.… Cela rend ces cursus de formation très attractifs aux yeux de beaucoup.

Ajoutons la promesse de la plupart des formations privées de ne s’adresser qu’à des petits nombres d’apprenants, beaucoup plus étroitement encadrés que dans les vastes « amphis » de la plupart des universités, affichant la garantie de multiples liens de proximité : petits effectifs, dominante des travaux en groupes ou « ateliers », vie associative, stages en milieu professionnel... Il n’est donc guère surprenant que, malgré l’obligation de régler des droits de scolarité plus ou moins élevés, une grande partie des établissements d’enseignement supérieur privés exercent un plus grand effet d’attraction auprès des familles.

Enfin, nous évoquerons un autre facteur explicatif important de la plus forte croissance des demandes d’admission dans les établissements d’enseignement supérieur professionnels privés :

Le très important soutien de l’Etat au secteur des formations par  l’apprentissage, majoritairement suivi d’une plus forte réactivité dans le secteur privé que dans celui des établissements publics. Depuis l’adoption, le 5 septembre 2018, de la « loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel », le nombre des jeunes qui, en France, ont décidé de se former dans l’enseignement supérieur par l’apprentissage a globalement plus que triplé, passant de 195.000 en 2018 à 660.000 en 2024. Il a presque quintuplé concernant le nombre de celles et ceux qui le font dans une formation de statut privé. Cette tendance doit évidemment s’apprécier au regard des aides publiques que cette loi accorde en plus des aides anciennes aux entreprises qui acceptent d’embaucher un apprenti, mais aussi aux « apprenants ». Avec l’entrée – depuis 2022 - dans une phase de réduction de ces financements, et plus encore en prévision des réductions à venir dans le cadre de la nécessaire politique de retour vers un meilleur équilibre du budget de l’Etat, il est prévisible que l’engouement des étudiants pour ce type de formation va régresser, mais   pour autant, devrait demeurer à haut niveau.  

3.     De la nécessité d’accroître le niveau de régulation des établissementd’enseignements supérieur privés

La France est un des pays dans lesquels il est très facile de créer un établissement d’enseignement supérieur privé.

De par une loi en date du 12 Juillet 1875 « relative à la liberté de l’enseignement supérieur », non abrogée à ce jour, toute personne de nationalité française est libre de créer de tels établissements, sous réserve d’exprimer une « déclaration d’ouverture » auprès du rectorat de l’académie concernée. La contrepartie de cette facilité est  le risque que soient créées dans ce secteur des  formations de qualité douteuse.

Ce point est clairement évoqué dans un rapport très récent, communiqué lors d’une séance publique tenue au Sénat le 6 mars 2025. Rédigé par les membres d’un groupe parlementaire d’études de l’enseignement privé en France, ce rapport fustige l’existence de trop nombreux cas de fermetures intempestives, le fait que certaines de ces  formations organisent tout ou partie de leurs cours en les faisant à distance,  que certains enseignements pré annoncés ne soient pas  dispensés, une présentation faussement positive des débouchés professionnels, la délivrance d’ un « diplôme reconnu par l’Etat » quand il ne s’agit parfois que d’un « titre maison » non porteur d’une reconnaissance académique officielle… Le risque que certaines familles peu vigilantes s’engagent dans des formations supérieures douteuses est donc réel.  

Pour mieux s’en protéger, il convient avant tout d’en appeler à la nécessaire vigilance des futurs étudiants et de leurs parents, mais aussi de tous ceux qui accompagnent les projets d’orientation des familles. Tous disposent d’un grand nombre de critères comparatifs de choix largement mis à leur disposition pour que chacun sache clairement où il se prépare à mettre les pieds ! Pour cela, on peut disposer d’un certain nombre d’indicateurs de valeur mis à disposition par des organes publics, donc indépendants des formations considérées. C’est tout particulièrement le cas concernant le statut de chaque formation supérieure privée et du diplôme ou titre délivré en fin de parcours d’études, ainsi qu’on peut le voir dans l’encadré suivant :

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L’Etat en tant que « juge » de la qualité des formations supérieures privées

1. Plusieurs « labels » peuvent être octroyés par la puissance publique :

- L’inscription du diplôme final au RNCP (le « répertoire national des certifications professionnelles ») valide le niveau de qualification professionnelle acquis par un(e) diplômé(e). L’instance qui accorde (ou pas) cette « certification », reconnue sur l’ensemble du territoire national, est sous la tutelle du Ministère chargé du secteur d’activité du diplôme considéré. Pour un bachelor  « coaching sportif » par exemple, ce sera celui du Ministère chargé de  la Jeunesse et des sports. Il ne s’agit donc pas d’une reconnaissance académique  par l’Etat, mais d’une reconnaissance professionnelle propre à un secteur d’activité.

-  Une formation supérieure privée peut être (ou non) reconnue par l’Etat. Tout établissement d’enseignement supérieur privé peut exprimer une telle demande en sollicitant des autorités ministérielles un avis favorable

-  Le diplôme ou titre délivré en fin de parcours d’études peut être (ou non) visé par l’Etat. Pour prétendre à un tel label, il convient préalablement d’avoir obtenu la reconnaissance de la formation par l’Etat.

-  Un cran au-dessus de ceux qui précèdent : certaines formations supérieures en trois ans peuvent déboucher, en plis du diplôme délivré localement, sur l’octroi  automatique du grade de licence, et/ou de master.

2. Quelques autres labels » distinctifs peuvent s’ajouter aux précédents :

- C’est notamment le cas des nombreux classements ou palmarès (« rankings » dans les pays anglo-saxons) qui, sur des critères variés, permettent de se faire une idée plus précise de la valeur d’une formation. Ils sont généralement réactualisés chaque année.

- Le fait d’être membre  de certains cercles très fermés comme la Conférence des grandes écoles, la Cercle des écoles de management, les écoles habilitées à délivrer  le titre d’ingénieur par la Commission nu titre d’ingénieur…

-  Avoir obtenu tout ou partie des quatre labels de reconnaissance internationale dont peuvent se prévaloir les écoles de commerce/gestion/management des organisations : AACSB (associate to advance collegiate schools of business), EQUIS (European quality Inprovement system), AMBA association of masters in business administration), EPAS de l’EFMD (European foundation for mlanagement development)

Et divers autres labels susceptibles d’être affichés

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Conclusion

La montée en puissance de Parcoursup, qui tend à devenir un « guichet quasi unique » pour l’expression des candidatures en vue d’entrer en première année de l’enseignement supérieur français, a progressivement  conduit à faire de ce portail une sorte de label.

Chacun peut constater que le fait pour une formation privée d’appartenir à la famille Parcoursup devient de plus en plus fréquemment un label que l’on met en avant lors des diverses  occasions de communiquer sur les formations supérieures privées. 

Quant aux formations de statut privé qui, pour certaines,  recrutent « hors Parcoursup », leurs responsables s’efforcent de compenser ce handicap en mettant en avant le fait que  cela procure l’avantage de permettre de contourner une procédure très complexe, et la difficulté de beaucoup de candidat(e)s  à obtenir satisfaction via Parcoursup. Nombreux sont les lycéens qui ont du mal à se faire une idée claire de la  valeur académique et professionnelle de certaines formations privées, les éléments de présentation étant parfois trop vagues, voire relevant du domaine de la « publicité mensongère ». Ajoutons le fait  que nombre de ces formations privées sont peu ou non sélectives, sauf à considérer que  la sélection existe mais est principalement fondée sur la capacité de régler les importants droits de scolarité qui sont fréquemment exigés.

Dans un ouvrage qui connut un grand succès éditorial, publié en 2015 aux éditions La Découverte sous le titre « School business », Arnaud Parienty, diplômé de Sciences Po Paris et professeur agrégé de sciences économiques et sociales,  posait une importante question : « comment suivre des études supérieures qui mènent à un bon emploi quand on a un niveau scolaire fragile ? ».

Le plus simple est évidemment de choisir des écoles professionnelles privées, malgré l’existence de droits de scolarité élevés. Force est cependant de constater que cette obligation de financement des études, si elle ne pose guère de problème aux élèves appartenant aux catégories socio-professionnelles (CSP) aisées, ont un important effet dissuasif chez ceux qui appartiennent à des CSP défavorisées.

Ces derniers  ont une forte propension à demander prioritairement des formations supérieures professionnelles par l’alternance – notamment sous contrat d’apprentissage – qui permettent de se former gratuitement et même en recevant une rémunération. En outre, Ils se voient proposer des itinéraires de formation généralistes en premier cycle licence, mais s’en écartent majoritairement compte tenu des faibles perspectives d’insertion professionnelle qui caractérisent la plupart d’entre elles et des importants taux d’échec qu’ils découvrent en cours de premier cycle (moins d’un tiers des étudiants parviennent à se doter de la licence en moyenne).

MAGLIULO Bruno

Inspecteur d’académie honoraire

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun (www.editionsopportun.com) , de :

« Parcoursup, je gère »

« Tous les bons conseils pour Parcoursup »

« Quelles études supérieures pour quels métiers ? »

Et « Les grandes écoles », aux éditions Fabert (www.fabert.com)

 

Dernière modification le dimanche, 14 décembre 2025
Magliulo Bruno

Inspecteur d’académie honoraire -Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie de l’éducation - Formateur/conférencier -

(brunomagliulo@gmail.com)

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun : www.editionsopportun.com ) :

  • SOS Parcoursup
  • Parcoursup : les 50 questions que vous devez absolument vous poser avant de choisir votre orientation post baccalauréat
  • Quelles études (supérieures) sont vraiment faites pour vous ?
  • SOS Le nouveau lycée (avec en particulier toute une partie consacrée aux liens entre les choix d’enseignements de spécialité et d’option facultative, et le règles de passage dans le supérieur)
  • Aux éditions Fabert : Les grandes écoles : une fabrique des meilleurs, mode d’emploi pour y accéder

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