... il en est qui peinent à sortir de la ouate institutionnelle, du conditionnement par le pilotage par les résultats, qui ne cherchent pas à se libérer et à revendiquer le droit de penser, qui errent dans leur vie professionnelle en ayant perdu le sens de leur métier, en se protégeant derrière l’illusoire bouclier de leur discipline scolaire, en rêvant souvent à un impossible retour en arrière.
La grande administration, celle des ministères, et la petite, celle des petits chefs, sont en grande partie responsable de ce désenchantement, de cette démobilisation, de la perte de l’enthousiasme nécessaire à l’exercice d’un métier devenu de plus en plus complexe. La focalisation sur le quantitatif a accompagné le mouvement. Le refus de prendre en compte la souffrance croissante des enseignants et des élèves achève la dégradation de l’engagement. La suppression de la formation a sa part de responsabilité dans le phénomène. L’arrivée dans les établissements, de personnels sans la moindre formation, certes mastérisés, mais qui n’ont jamais entendu parler des mouvements pédagogiques, des grands pédagogues contemporains, des pédagogies alternatives, de l’éducation populaire, convaincus que le seul modèle pédagogique est celui de la transmission magistrale frontale, creuse encore le déficit d’engagement collectif.
Le pilotage par les résultats a produit des dégâts considérables. En imposant les pratiques de l’industrie et de la banque à l’Ecole, avec le même vocabulaire (tableau de bord, diagnostic, feuille de route… ), avec la même déshumanisation du système, il a réduit la place de l’intelligence collective et a largement contribué au dramatique déni de la pédagogie.
Dans un tel contexte, les raisons des choix de pratiques professionnelles sont diverses. Soit on fait comme dans le passé parce que l’on ne connaît rien d’autre, on croit que les pratiques anciennes ont « fait leur preuves » et, de plus en plus souvent, on souffre car les élèves ne ressemblent plus aux élèves-types que l’on attendait. Soit on s’adapte en se disant que les programmes sont peut-être idiots mais ils sont plus faciles à « faire » que les programmes conçus par des pédagogues. Un manuel. Une page par jour. Des tonnes d’exercices… Plus facile que les situations problèmes. Soit on s’engage dans la résistance passive. Le jour de l’inspection, on fait semblant, personne ne s’en rend compte. Personne ne sait ce que l’on fait réellement mais on survit.
Dans les salles de profs, la communication entre ces catégories et avec les innovants est impossible, mais comme elle se réduit d’année en année, ce n’est pas très grave. Cela n’empêchera pas de travailler sur un projet d’établissement que l’on rangera dans un tiroir jusqu’à la prochaine réunion. Quand on fait cours, on a autre chose à faire qu’à mettre en œuvre le projet.
C’est ainsi que l’institution, et tout particulièrement depuis 5 ans, connaît une période de doute et de démobilisation dont les enseignants ne sont pas responsables, pris à la fois dans le tourbillon de l’absence dramatique de projet politique pour l’Ecole, dans la vague ultra libérale du pilotage technocratique autoritaire, dans la valse de l’ennui. Heureusement, la conscience professionnelle est toujours là et ils savent sauver les apparences.
La participation aux réunions syndicales se réduit, l’absence des enseignants dans les débats publics sur l’avenir de l’école est criante, l’engagement dans les mouvements d’éducation populaire a quasiment disparu. Même le nombre de participants aux manifestations contre les suppressions de postes qui était le dernier sujet mobilisateur a diminué. L’anesthésie, dont je pense qu’elle a été pour le moins recherchée au cours des dernières années, a été efficace.
Comment provoquer les prises de conscience et le sursaut nécessaires à la construction d’une nouvelle école pour le 21ème siècle ?
La refondation pourrait sans doute être un catalyseur. Encore faudrait-il que toute la pyramide tourne la page d’une continuité désastreuse et redonne de l’espoir, de l’envie, de l’enthousiasme, du plaisir de penser, de la confiance, à sa base… et de neuves fondations.
En prend-elle résolument le chemin ?