Si le titre est provoquant, la dédicace prouve qu’il ne hait pas tant que ça les pédagogues, et le sous-titre, « L’école pourra-t-elle éviter une nouvelle guerre de religion ? », montre qu’il s’agit d’un livre sérieux, non polémique, objectif, à l’image de son auteur, agrégé et docteur ès lettres, co fondateur de l’agence de presse AEF, animateur du site internet, « ToutEduc » qui a le soutien de la Ligue de l’Enseignement et de PRISME, ce qui ne le référence pas comme un auteur réactionnaire.
Pascal Bouchard constate depuis longtemps que « la violence des débats sur l’école évoque parfois celle qui prévalait avant la Saint Barthélémy ou après la révocation de l’Edit de Nantes ». Il illustre bien cette violence dont j’ai, avec des amis comme Philippe Meirieu, été victime. Je reconnais que j’ai aussi alimenté cette violence, de mauvaise guerre, notamment à l’époque de mon conflit avec le ministre Gilles de Robien, qu’il évoque à la page 97.
Il fait le point sur l’attitude des pédagogues, qui ne comprendraient rien à l’hostilité qu’ils suscitent, qui éviteraient de s’interroger sur les causes profondes des attaques qu’ils subissent. Il sait qu’il force le trait, car il n’est guère possible de soutenir qu’un Philippe Meirieu est incapable d’analyser les situations et de mettre les problèmes de l’école en perspective avec l’évolution des savoirs et de la société.
Il dénonce le manque de sérieux des anti-pédagogues, y compris de ceux qui se réclament de la philosophie et de la recherche scientifique et il fait le travail théorique qu’ils se gardent bien d’entreprendre.
Il ouvre des pistes de réflexion pour que nous échappions à une nouvelle guerre de religion. La première porte sur l’organisation du système scolaire et la seconde amorce une révolution démocratique. Elles sont intéressantes et pourraient bien éclairer la suite des opérations de refondation, dont on sait à quel point elles seront délicates et déterminantes. Pour l’heure, sur le terrain, elle n’est pas engagée en profondeur, occultée par le débat réducteur sur le temps scolaire, atténuée par la pression maintenue d’une hiérarchie formatée par le pouvoir précédent, limitée par l’absence de mobilisation de l’intelligence collective de la base dans une conception globale où tous les partenaires s’engageraient sur les mêmes finalités et les mêmes objectifs généraux transversaux. Le scolaro centrisme est resté dominant.
Pascal Bouchard a sans aucun doute raison quand il insiste sur la nécessité d’une révolution démocratique pour que la Nation s’empare des problèmes de l’éducation avec de nouveaux outils favorisant le débat, l’élaboration de projets locaux non contraints par la pyramide Education Nationale. Nous avions d’ailleurs évoqué ces problèmes dans le livre écrit avec Philippe Meirieu : « L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ? », en 2008 (Editions de l’Aube). Comme quoi les pédagogues ne sont pas obtus.
Pascal Bouchard affiche, en proposant des solutions, son espoir d’éviter enfin une nouvelle guerre de religion. Y croit-il, ou plus probablement, exorcise-t-il les vieux démons ? La guerre est toujours là, active au sein même du gouvernement, au sein des groupes parlementaires de la majorité, au sein des grandes centrales syndicales. Il ne suffit pas de la déclarer vaine pour la faire disparaître. Il faut s’en donner les moyens intellectuels, politiques. La pression de ceux qui considèrent que la transmission des savoirs conçus comme des programmes disciplinaires cloisonnés, avec leur logique interne rigide, est l’essentiel de la mission de l’école, que le choix des disciplines scolaires issues de l’Antiquité et des universités est indiscutable, universel et éternel, en dépit de l’explosion des savoirs de l’humanité et de leur diffusion, que l’intelligence n’est qu’un sous-produit des apprentissages scolaires et non une priorité, que les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur d’un Edgar Morin ne sont que poésie, que l’action des mouvements d’éducation populaire n’est qu’un complément, est toujours dominante. Elle explique sans doute les frilosités évidentes, sous couvert de sagesse, alors que l’électoralisme à court terme pollue toujours la démocratie. Il ne faut pas perdre de voix et le syndrome Allègre qui aurait fait perdre des milliers de voix à la gauche de gouvernement, reste vivace.
Rien n’est encore gagné. Conservons l’espoir et la volonté de refonder vraiment l’école et l’éducation. Le livre de Pascal Bouchard peut être une aide précieuse s’il ne contribue à renvoyer dos à dos les progressistes et les conservateurs. On sait que, dans ce cas, ce sont toujours ces derniers qui triomphent.
"Je hais les pédagogues" publié aux éditions Fabert, 111 pages, 9 euros.