Nulle repentance n’est donc souhaitable même si un examen de conscience est inévitable, indispensable et , espérons le salutaire. L’école est au bord du monde. L’école ne doit pas être en « guerre » contre l’islam, le terrorisme, le djihadisme. Elle n’en a ni la vocation ni les moyens : qu’elle soit donc dispensée de toute précipitation et de toute mesure exceptionnelle . De telles mesures seraient au mieux un feu de paille, au pire un feu tout court.
L’école aurait pu faire modestement le V de la victoire au soir du 11 janvier ( en gardant certes des larmes dans les yeux ) car, enfin, ce sont les valeurs de liberté, de tolérance, de laïcité qui ont mis dans la rue cinq millions de personnes. Ce sont ces valeurs qui ont relié, uni, pour un temps peut-être, mais pour longtemps sans doute, un peuple qui a fondu ses différences en une foule immense, seule barrière efficace à la barbarie. Mais ces valeurs, c’est l’école qui les a gardées vivantes au cœur de ses enseignements et transmises de génération en génération. C’est un mérite qui lui revient depuis que les instituteurs baptisés « hussards noirs de la République » ont donné leurs tripes pour élever une morale républicaine au-dessus de tous les clivages et fanatismes , qu’ils soient sociaux ou religieux. Leurs successeurs, leurs descendants, contrairement a ce qui a pu être senti et dit ont continué à porter haut ce flambeau et nous venons d’en avoir une preuve aussi réconfortante qu’éclatante.
L’école ne pourra jamais crier victoire. L’école est au bord du temps et son combat pour la liberté, la tolérance, la laïcité est toujours recommencé dans une société qui bouge et se recompose sans cesse. Il est des lieux, peu nombreux mais emblématiques, où la mémoire des victimes n’a pas pu être honorée par une minute de silence. Il est des lieux de non éducation ( en même temps que de non droit )où les enfants apprennent davantage l’échec et la discrimination que l’intégration et le vivre ensemble. Il ne faut pas le cacher c’est principalement dans ces lieux, parmi une jeunesse sans repères que se recrutent les extrémistes qui prônent la haine sous couvert de religion. Nous savons que la seule arme face à la haine est l’éducation : il est donc indispensable que l’école et les mouvements d’éducation populaire investissent ou réinvestissent pleinement ces lieux. Les enfants de ces quartiers méritent d’avoir avec eux des hommes et des femmes forts et debout et auxquels ils vont avoir envie de s’identifier. Ils méritent des «grands frères » animateurs et non plus dealers, ils méritent d’apprendre le français, l’histoire, les mathématiques…, ils méritent de voir parmi eux des exemples de réussite intellectuelle, sociale, sportive…, ils méritent de quitter les cages d’escalier pour aller en centres de loisirs et de vacances apprendre de jeunes comme eux, à peine plus âgés qu’eux, les joies et devoirs du vivre ensemble. Pas d’angélisme : la seule force des enseignants, la seule volonté des associations ne suffiront pas. Des moyens financiers et humains sont nécessaires pour que ces enfants puissent se structurer autour des valeurs citées. Les petites et grandes victoires seront alors de voir des adolescents, paumés ou petits délinquants, changer du tout au tout (tenue vestimentaire, comportements, paroles…) parce qu’ils vont au collège, au lycée, à l’université ou aux cours du soir et non plus parce qu’ils sont pris en main par un gourou d’un islam dévoyé.
L’école ne peut pas être à deux lieux pas plus qu’à deux vitesses. Il n’est pas question de construire une école pour les quartiers et une école pour un hypothétique ailleurs : tous les élèves doivent avoir également accès aux valeurs qui fondent unanimement notre société. Il n’est pas sûr que celles-ci puissent faire l’objet d’un enseignement spécifique mais cette difficulté est depuis longtemps contournée par les éducateurs : ces valeurs se développent par l’exemple, par l’étude de notre histoire , par celle de nos institutions, par celle des œuvres de nos écrivains et philosophes… contenus traditionnels, c’est vrai, mais fondateurs et rassembleurs, ce qui n’est pas négligeable.
Cela ne suffit pas, cela ne suffit plus. L’école doit s’emparer de la nécessité de la parole pour que la liberté d’expression vive dans ses murs et ne soit plus visée à l’extérieur par des fusils d’assaut. Des temps sont prévus pour cela . Il convient de les investir pleinement voire d’en dégager de nouveaux. L’école doit enseigner les religions et principaux mouvements philosophiques pour que le concept de laïcité prenne tout son sens, pour que les amalgames faciles et dangereux n’aient plus de raison d’être, pour que soit prise en compte la diversité des courants de pensée qui traversent de plus en plus notre société, pour que les individus et communautés soient respectés y compris dans leurs croyances. L’école doit former à l’utilisation critique, raisonnée, enrichissante du web et des réseaux sociaux pour que ces outils à la frontière entre la vie publique et la sphère privée ne deviennent pas les vecteurs incontrôlés des haines et des extrémismes. Alors sera vivante l’école du 11 janvier 2015.