l’école n’a jamais su vraiment traiter la question de la difficulté scolaire. Elle a toujours eu tendance à rejeter les élèves en difficulté dans des classes spécialisées, dans des filières « inférieures ». Elle a multiplié la création de dispositifs spécifiques, se superposant parfois, se substituant aux précédents sans les avoir évalués, servant souvent d’alibis à des politiques ségrégationnistes.
Elle a eu parfois tendance à mettre en œuvre des pratiques plus « bêtes » pour les enfants en difficulté, sous le prétexte de vouloir faire plus simple, que celles prévues pour des enfants dits normaux. Pour l’apprentissage de la lecture, par exemple, on a condamné des enfants à subir des méthodes les éloignant toujours du sens, encore plus que les autres, comme s’ils étaient incapables de comprendre et de mettre en relation les écrits scolaires avec ceux qu’ils connaissent, en ajoutant des codes ou des signes ou des gesticulations intermédiaires ou des petites poupées coûteuses, sans rapport avec le sens. Il est vrai que dans l’opinion publique, on pense facilement que pour les enfants en échec, il faut faire un b-a-ba encore plus rude que pour les autres. Comme s’il fallait toujours apprendre d’abord à être bête pour prétendre devenir intelligent plus tard, au nom des bases, des bases des bases, et des bases des bases des bases…
Une autre tendance a été de « faire de la même chose » mais plus lentement et avec des petits groupes d’enfants. C’est le cas de l’aide personnalisée dont on sait aujourd’hui à quel point elle est illusoire. Il est vrai qu’elle a été créée surtout pour faire des économies, pour servir d’alibi à des politiques éducatives désastreuses et d’élément de bonne conscience pour le pouvoir.
Une autre tendance encore a été la médicalisation à outrance des problèmes d’apprentissage, dessaisissant ainsi les enseignants de leur responsabilité.
Heureusement, ces enseignants qui ont fait le choix de l’enseignement spécialisé réussissent à échapper aux mécaniques du système. Ils se sont très massivement engagés dans la recherche pédagogique, dans la réflexion collective, et ont mis au point des pratiques intelligentes, innovantes, qui auraient pu être utilement transposées aux classes dites normales. C’est devenu plus difficile avec le règne de la paperasse induit par le stupide pilotage par les résultats. Malgré tout, ils ont beaucoup apporté au système éducatif.
Les classes de perfectionnement, les CLIS, les RASED, mais aussi les classes de transition (pour la pédagogie par thèmes, qui donnait du sens aux disciplines scolaires et pas pour l’effet « filière » qu’elles produisaient) ont été des lieux où la pédagogie était au cœur de l’action éducative, avec une recherche obligée de la réussite pour tous, plutôt que de la stigmatisation en vue d’une très hypothétique remédiation.
On aurait pu s’attendre à une remise à plat de ces questions et à un retour en force de la pédagogie, au-delà de déclarations d’intentions. On aurait pu s’attendre à la suppression de l’aide individualisée hors temps de classe et à la relance des RASED. Le maintien autoritaire des politiques précédentes et de la technocratie a fortement décrédibilisé le discours officiel.
Observant le bilan d’une année de refondation, je pense à cette phrase du brillant Edgar Faure : « Voici que s’avance l’immobilisme. Et nous ne savons pas comment l’arrêter ». Il faut dire que l’on a fait beaucoup pour qu’il s’avance.
Pierre Frackowiak
Dernière modification le jeudi, 13 novembre 2014