fil-educavox-color1

Sebastião Salgado (1944-2025) s’est éteint. A Deauville, au Centre Culturel Les Franciscaines, c’est un panorama de l’œuvre de l’artiste qui est à découvrir avec des séries présentées ensemble pour la première fois. Artiste majeur d’une grande sensibilité, Sebastião Salgado a parcouru la planète pendant plus de cinquante ans pour témoigner des bouleversements de l’humanité, des grandes mutations et des richesses de l’environnement. Maître du noir et blanc, sa photographie humaniste et sociale a couvert les tragédies des famines et des guerres. C’est par sa série Genesis, une ode à la nature et aux habitants des confins du monde, qu’il reprend goût à la vie et à la photographie. 

Les sujets des deux premières décennies sont précurseurs de ses prochains travaux

Les photos de Sebastião Salgado marquent par leur esthétique, le sens de la composition et l’intensité émotionnelle. Economiste de formation, il occupe un poste important à Londres après avoir fui le Brésil en 1969. Mais la passion de l’image devient plus forte, et en 1973, il quitte le confort de sa situation professionnelle et revient vivre en France. Photojournaliste, il travaille jusqu’en 1994 pour les plus grandes agences de presse. Ses photoreportages sur le Sahel dans les années 1980 connaissent un succès médiatique. 

Au Franciscaines, le parcours est inédit. Dans l’ancien couvent, la scénographie allie panneaux muraux et panneaux en bois recyclé sous forme de spirale. Des photos sont étonnantes par leur côté spectaculaire. Pour la première fois, soixante-quinze tirages de la série Genesis sont présentés avec des extraits d’autres séries. Les photos proviennent de la Collection de la Maison de la Photographie (MEP) – Paris ; institution avec laquelle Sebastião Salgado et son épouse Lélia Wanick Salgado ont noué d’étroits liens. 

A Paris où Salgado vit pendant les années 1970, il sympathise avec des travailleurs immigrés et les photographie. Lui-même a connu l’exil – réfugié politique, il n’a pu retourner au Brésil qu’au début des années 1980. Il s’intéresse aux gens, et réalise des reportages auprès d’habitants de la banlieue parisienne. Mariage à La Courneuve (1978) occupe l’espace d’un pan de bois. 

Les sujets des deux premières décennies sont précurseurs de ses prochains travaux comme Exodes (1993-2000). En Afrique dès 1974, Salgado rend compte de la situation des déplacés dans les camps et dispensaires. Par la suite pour son projet, il couvre les grands mouvements migratoires à travers la planète. Il documente les combats des paysans sans-terre (Brésil,1996), le phénomène mondial de l’exode rural. Devant l’objectif, des vécus de femmes, d’hommes et d’enfants, un chaos engendré par les conflits, les famines, les mutations sociétales. 

En 1991, après la Guerre du Golfe, il montre le désastre écologique. Au Koweït, pendant plus d’un an, les puits de pétrole restent en flammes. Les combattants du feu sont assommés par cette lutte qui semble vaine. Les oiseaux également noircis ne peuvent plus voler.

Portraits d’enfants du monde

La série Autres Amériques (1977-1984) revisite l’Amérique Latine, le continent d’origine de Salgado :

« Ce travail dura sept ans, sept siècles plutôt, car je remontais le temps, à une vitesse lente et dense, qui marque le passage de toutes les ères dans cette région du monde, de tout un flux de cultures à la fois si différentes et si semblables dans leurs croyances, coups du sort et souffrances. »

Certaines photos sont très poétiques, les Livreurs de bois (Mexique, 1980) traversent la montagne tout près des nuages.

Pour La Main de l’Homme (1986-1992), Salgado rend hommage aux vaincus de l’exploitation industrielle. Il parcourt trente-cinq pays pendant six ans. En France, la décennie 1980 est celle du chômage de masse, Salgado se déplace sur les chantiers navals de Saint-Nazaire. 

En 1986, il photographie la mine d’or de la Serra Pelada au Brésil, ouverte en 1979 et désormais fermée. Cette fourmilière infernale brise les corps des garimperos (chercheurs d’or). Alourdis par de très lourds sacs de boue, ils surmontent des échelles de fortune. Cinquante mille personnes entourées de surveillants occupaient le site, pour des miettes d’illusion. 

Les Mineurs de charbon (Inde, 1989), turban sur la tête, regardent l’objectif et pourraient tourner dans un film d’aventure avec grands décors. Pour la Cueillette de thé (Rwanda, 1991), Salgado centre le cadrage sur l’expression des mains, usées et méticuleuses de précision.

Après la guerre civile en Yougoslavie, les reportages le mènent au cœur du Génocide du Rwanda. A plusieurs reprises face aux visions d’horreur, Salgado est bouleversé et très éprouvé. Il tombe malade et arrête la photographie. 

Il retourne au Brésil pour gérer la ferme familiale et s’engager pour la planète par la plantation d’une forêt – actuellement plus de trois millions d’arbres ont été plantés. 

Les portraits d’enfants du monde sur tout un pan de mur introduisent la dernière partie de l’exposition. Sur les panneaux de bois, sorte d’écorce terrestre, Genesis (2004-2011) révèle les richesses de la faune et de la flore, et d’autres portraits d’habitants de régions préservées dont l’extraordinaire Mudman (Papouasie en Nouvelle-Guinée, 2008). Les images sont un hymne à la beauté de la nature, consolante et pleine de ressource.

Salgado a été encouragé dès ses débuts par Henri Cartier-Bresson (1908-2004). Après la lecture de La Main de l’homme (1993), le célèbre photographe a fait part de son admiration : « C’est le travail le plus beau que j’aie jamais vu. » C’est ce que pensent les nombreux visiteurs de cette exposition - dernière grande rétrospective du vivant du photographe. 

C’est avec beaucoup d’émotion que l’équipe des Franciscaines et Philippe Augier, maire de Deauville et président des Franciscaines, ont appris le décès du grand photographe. Salgado à sa venue avait confié voir sa vie sur les murs. Il ne cachait pas sa joie, et aussi une certaine tristesse. L’exposition est une traversée de ses expériences photographiques, de rencontres touchantes et de moments de vie difficiles. Très généreux, son regard perçait l’âme et il apportait par sa bienveillance un soutien aux personnes qui le côtoyaient. Pendant son séjour, il a planté un pommier à la Villa Strassburger, et laissé une partie de son être à Deauville. 

Fatma Alilate

Exposition Sebastião Salgado, Collection MEP

Les Franciscaines – Deauville 

Commissariat : Pascal Hoël, responsable des Collections de la MEP 

Jusqu’au 1er juin 2025

Dernière modification le samedi, 24 mai 2025