L’image réductrice donnée avec la réduction de la journée scolaire n’a pas contribué, jusqu’alors, à donner une image globale et une perspective à long terme pour une transformation de l’école qui se voulait radicale. Tout sauf une réformette de plus qui risque de disparaître dans le sable des velléités. Bien sûr, il y a au crédit du ministre, les réparations des destructions précédentes, la recréation de postes même si elle n’est pas inscrite dans la perspective d’injecter de nouveaux enseignants pour une nouvelle école, la recréation de la formation, même si en raison du poids déterminant et quasi exclusif des universités, elle n’est qu’une légère amélioration des IUFM supprimés, l’organisation d’activités périscolaires, même si, au vu des réalités dans les 20% de communes qui se sont engagées à la rentrée, elles ne sont que des activités diverses en fonction des moyens des communes, juxtaposées à l’enseignement traditionnel, sans être intégrées à un projet éducatif de territoire permettant à chaque intervenant d’agir par rapport à des finalités et des objectifs généraux transversaux partagés.
Oui, il faut du temps pour réaliser une véritable refondation. Oui, il faut de la patience. Oui, il faut « des remises en cause ordonnée », pour reprendre l’expression ambiguë de Claude Lelièvre qui oublie les finalités… Sauf si ce temps et cet ordonnancement ouvrent la voie à la continuité, déjà largement imposée par une hiérarchie intermédiaire formatée dont le sevrage avec l’ultra libéral pilotage par les résultats est long et difficile, et à l’épanouissement des conservatismes. On ne peut refonder si l’on plombe soi-même la refondation.
Le lancement de la consultation sur les programmes est, à cet égard, malheureusement, très significatif. Le questionnaire mis en ligne au nom de la concertation et de la démocratie, au nom du changement par rapport aux mesures autoritaristes totalitaires prises en 2007/2008 est, disons-le clairement comme d’habitude, très inquiétant. La démarche utilisée pourrait être un facteur considérable d’enterrement de la refondation pour deux raisons majeures :
- 1° L’invitation à rechercher ce qu’il faudrait garder et ce qu’il faudrait jeter des programmes de 2008 est une aberration. Ces « nouveaux vieux » programmes dont on ne connait toujours pas les auteurs, malgré le fait que des Brighelli, Le Bris et consorts en revendiquent soit une part de paternité soit l’inspiration, sont d’une indigence rare. Ils sont été unanimement condamnés par les pédagogues sérieux, les mouvements pédagogiques, les syndicats progressistes. Ils ont été massivement condamnés par les enseignants eux-mêmes… au début. Ensuite, l’inspection générale et toute la hiérarchie s’est évertuée à expliquer que c’était les mêmes, mais plus simples. On a fait complètement l’impasse sur la marque idéologique de ces programmes. Et il faut reconnaître qu’ils sont simples, voire simplistes, et beaucoup plus faciles à appliquer que des programmes qui font appel à l’intelligence, à la recherche, à la réflexion, à la pédagogie. Et les enseignants s’y sont habitués. Les nouveaux enseignants n’ont d’ailleurs jamais entendu parler de Freinet et de Meirieu. Ils pensent que les pratiques du passé, comme la grammaire préalable à l’expression (cette stupidité !), sont éternelles et incontestables. Les programmes de 2008 sont mauvais. En garder une partie serait ignorer l’histoire récente des pratiques et négliger la nécessaire cohérence de l’articulation finalités/objectifs généraux/programmes.
- 2° le questionnaire fait complètement l’impasse sur toutes les réflexions, propositions, projets élaborés par les mouvements, les penseurs, les organisations progressistes. Comme si le terrain était vierge, neutre, inerte et qu’il fallait toujours recommencer à zéro à chaque alternance. Mais surtout, il fait l’impasse sur l’évolution de la société et sur la prospective. Que sera la société dans 20 ou 30 ans ? Que seront les citoyens ? Quel homme veut-on former pour quelle société ? Comment penser aujourd’hui les programmes, les pratiques, l’évaluation (et pas le contrôle), sans prendre en compte :
o L’évolution des savoirs de l’humanité et de leur diffusion. Cette évolution exponentielle qui remet logiquement en cause le concept même de disciplines scolaires et de leur place dans l’éducation contemporaine et future
o L’explosion du numériquequi impose une modification fondamentale des pratiques si l’on ne veut pas se limiter à une modernisation apparente ou à un instrument pour rendre les apprentissages plus ludiques sans les remettre en cause
o Le besoin prioritaire de pédagogie. Le déni de la pédagogie est lié aux programmes de 2008, à la mastérisation, à la suppression d’une formation professionnelle digne de ce nom. Vaste chantier qui a besoin non pas d’exécutants dociles sans cesse contrôlés pas des contremaîtres, mais de professeurs d’intelligence, mobilisés sur des finalités qui ne sont pas rangées dans les tiroirs à la fin des réunions. « Exigence sur les finalités, souplesse sur les programmes » dit Philippe Meirieu. Comme il a raison. Ce principe exige de la confiance, un pari sur l’intelligence des acteurs, de la liberté et si possible de l’enthousiasme.
Finalement, la principale condition pour la réussite de la refondation, c’est peut-être l’enthousiasme avec la conviction de contribuer à construire collectivement l’école du futur au lieu de faire des concessions à l’école du passé, à s’inscrire dans une vision de l’avenir.
Nous n’en sommes pas là. Pas encore… Mais le grand conseil national des programmes, fortement dominé par des « disciplinaires » veillera… N’en doutons pas si nous voulons arrêter le processus mécanique de destruction de l’école et laisser une petite place encore au rêve.
Dernière modification le jeudi, 13 novembre 2014