Et de fait, durant la première semaine de retour des réponses, il a été beaucoup dit (par voie de presse, témoignages sur les réseaux sociaux...) que "des centaines de milliers" de familles seraient dans l'angoisse de devoir attendre une réponse qui tarde à venir. Pire, on aurait fait le constat que plusieurs milliers d'élèves n'auraient reçu que des réponses négatives (donc ni reponse "oui" ou "oui si", ni "en attente"), ce qui les obligera soit à chercher une formation "hors Parcoursup" qui disposerait de places vacantes, soit à se soumettre aux aléas de la phase complémentaire qui débutera le 26 juin.
Qu'en est-il en vérité ?
1. Il faut commencer par rappeler que de telles attentes sont chose normale compte tenu du mode de fonctionnement de Parcoursup, et que cela a été clairement expliqué en amont.
Rappelons que contrairement à ce qui existait avec l'ex plateforme APB, sur Parcoursup les élèves ne classent pas leurs voeux par ordre de préférence. De ce fait, ils reçoivent une réponse ("oui", "oui si", "en attente" ou "non") pour chacune de leurs candidatures, à charge pour eux de ne retenir, dans le delai d'une semaine, qu'une seule des réponses "oui" ou "oui si".
Ce mode de fonctionnement est très clairement expliqué sur le site Parcoursup et dans les nombreux documents d'accompagnement qui sont mis à disposition. En outre, dans chaque lycée, cette information devrait avoir été clairement exposée aux élèves (et parfois aux parents eux-mêmes) par les professeurs principaux, les psychologues scolaires (ex conseillers d'orientation - psychologues) et autres personnes susceptibles d'intervenir en matière d'orientation.
Dès lors, Il est tout à fait normal que seule une partie des plus de 800000 lycéens aient reçu une reponse durant les tous premiers jours, et que certains soient à ce jour encore en attente.
Ce n'est en rien différent de ce qui se passait auparavant, et se passe encore, pour les demandes d'admission en formation sélective. La nouveauté, qui peut en partie expliquer l'effet de "mauvaise surprise" de certains, est que pour la première fois, cette attente peut également concerner des filières universitaires non sélectives. On peut cependant s'étonner que tant de familles semblent découvrir ces règles si tardivement. Il faudra sans doute faire mieux en matière d'information l'an prochain.
2. Autre règle claire : le système fonctionne sur les désistements au fil du temps.
Du fait que chaque candidat à exprimé plusieurs candidatures non classées, il est destinataire d'autant de réponses.
Pour beaucoup d'élèves, plusieurs réponses "oui" ou "oui si" parviennent, entre lesquelles il faut n'en retenir qu'un. De ce fait, très vite au fur et à mesure que les lycéens font leurs choix, des places se libèrent au profit d'autres élèves qui sont "en attente".
Il est donc non seulement normal que tous ne soient pas affectés dans les tous premiers jours, mais aussi que l'attente puisse se prolonger jusqu'en septembre pour certains (fort heureusement peu nombreux sans doute), puisque des désistements vont être constatés jusque là. Nous comprenons bien sûr que pour cette catégorie d'élèves, ce soit une situation désagréable et stressante, mais elle n'a rien d'anormal au regard des règles de fonctionnement de Parcoursup.
Peut être que le délai d'une semaine accordé aux élèves pour opter entre les réponses "oui" ou "oui si" qu'il reçoit est trop long. On pourrait sans doute accélérer la redistribution des places en ramenant ce délai à trois ou quatre jours... en espérant que les opposants systématiques ne reprochent alors pas que ce délai soit devenu trop court.
3. Du danger de ne demander que des formations sélectives :
Sur APB, les élèves étaient contraints d'exprimer au moins un vœu au profit d'une formation universitaire non sélective (type licence), quitte à la classer en dernier rang si on ne la désirait pas vraiment, ceci dans le but évident que chacun reçoive très vite une réponse positive.
Cela permettait de donner satisfaction pour un des voeux exprimés très vite apres la date d'ouverture de la phase de retour des réponses. Sur Parcoursup, il a été décidé de ne plus imposer une telle obligation, ce qui a conduit plusieurs milliers de lycéens à ne demander que des formations sélectives.
Il en a logiquement résulté que plusieurs dizaines de milliers de candidats (près de 30000) ont, dans les tous premiers jours, reçu des réponses intégralement négatives, les plaçant évidement dans un grand embarras. Mais cet embarras aurait été évité si, en amont, ils avaient suivi le conseil de ceux qui les invitaient à ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, et à envisager de demander au moins une formation non sélective. A cet égard, on ne manquera pas d'être étonné par la prétention de certains candidats au bilan scolaire à peine moyen, et qui s'étonnent de ne pas avoir été admis dans des classes préparatoires (ou autres formations très sélectives) qu'ils ont cru pouvoir demander. On ne le dira jamais assez : pour avoir des chances d'être admis dans une formation sélective d'excellence... il faut être excellent soi-même.
Il faudra peut être revoir cette règle en imposant désormais qu'à partir de 2019, les lycéens soient contraints de demander au moins une formation non sélective. Ainsi, le "travail de deuil", nécessaire par rapport à certaines ambitions, se ferait en amont, avec plus de temps... ce qui pourrait réduire le sentiment de frustration.
Une observation mérite cependant qu'on s'y arrête et s'efforce de trouver une solution : c'est le cas particulier des bacheliers professionnels. En effet, deux catégories de lycéens sont victimes du fait de n'avoir demandé que des filières sélectives :
- Il y a d'abord des bacheliers généraux, qui pour beaucoup ne jurent que par les filières sélectives et rejettent toute idée de demander une admission en licence non sélective. Pour ceux-là, l'invitation à s'ouvrir à l'idée de demander aussi une admission dans ce type de formation universitaire à du sens, car les bacheliers généraux qui entrent en première année de licence sont plus de 60% à y réussir (en trois, quatre ou cinq ans).
- Par contre, il convient de se montrer plus circonspect pour les bacheliers technologiques et surtout professionnels, qui ne sont respectivement que 22% et 3% à y réussir, alors que leurs taux de réussite dans l'enseignement supérieur professionnel court (BTS, IUT...) dépasse les 60%. Pour ceux-là, conseiller systématiquement de demander une admission en licence non sélective serait absurde, sauf cas particulier bien sûr. C'est d'une politique volontariste de quotas de places réservées en IUT et BTS, et d'une augmentation des places qui pourraient leur être réservées dans ces filières, qu'ils ont le plus besoin.
4. Un bilan statistique provisoire qui n'a rien d'anormal :
Le 23 mai, "le jour d'après", les chiffres n'avaient aucune raison de donner la gueule de bois aux autorités ministérielles : dans les premières 24 heures, 419000 candidats (sur 812000, soit 51,6% de l'ensemble) avaient reçu au moins une réponse positive. On a pu constater que 64000 de ces élèves ont fait leur choix dans la nuit qui a suivi, permettant de distribuer très vite près de 100000 places supplémentaires pour les candidats "en attente".
Dans la semaine qui a suivi, le nombre des élèves qui n'avaient reçu aucune proposition a fondu régulièrement, passant de 390000 le 23 Mai, à 255000 le 29 Mai, 206000 31 Mai. Bien entendu, ce mouvement continue : chaque jour qui passe voit plusieurs milliers de candidats "en attente" recevoir une ou plusieurs propositions.
A la date du 31 Mai, 570000 candidats (pres des deux tiers de l'ensemble) avaient reçu une ou plusieurs propositions d'affectation, et ce chiffre augmente de jour en jour. On assiste donc un indiscutable processus de décantation progressive, jusqu'où ira-t-il ? Bien malins ceux qui croient pouvoir préjuger de la suite des opérations.
Les optimistes prédisent qu'à l'approche des épreuves du baccalauréat, ils ne seront plus qu'une petite minorité dans l'attente d'une proposition, et que tous recevront une proposition lors de la phase complémentaire. Les pessimistes pensent que le compte n'y sera pas, où y sera mais au prix d'une longue liste d'affectations de certains candidats vers des filières non demandées... et probablement non désirées, notamment diverses licences universitaires non sélectives.
Dans ce dernier cas, les opposants à Parcoursup auront beau jeu pour mettre en avant le fait que l'on aura tordu le cou au droit de tout bachelier d'accéder à la filière universitaire non sélective DE SON CHOIX, et que par voie de conséquence, certaines licences officiellement non sélectives (les licences et PACES dont les capacités d'accueil sont inférieures au nombre des candidats), deviennent de facto des filières sélective. Il sera donc très intéressant de suivre l'évolution de ces données.
Conclusion :
Le gouvernement joue gros sur ces questions, et ce d'autant que les deux ministres (en charge de l'Education nationale, mais aussi de l'enseignement supérieur et de la recherche), ont publiquement affirmé que non seulement TOUS les candidats recevront une proposition d'affection d'ici la fin de la phase complètementaire, mais qu'en outre, il n'y aura pas d'atteinte au droit de tout bachelier d'accéder à une filière universitaire non sélective.
La seule concession faite est qu'on admet désormais officiellement que ce droit d'accès à une filière universitaire non sélective ne sera fréquemment plus laissé au libre choix du candidat, mais soumis à régulation. C'est déjà une grosse entaille, que certains ne manqueront pas de dénoncer. Nous verrons alors si cela va plus loin.
Bruno Magliulo
Inspecteur d'académie honoraire
Auteur, dans la collection L'Etudiant, de "Pour qu'elles études (supérieures) êtes-vous fait ? (Nouvelle édition, avril 2018).
Le lecteur intéressé trouvera au jour le jour les données statistiques concernant l'évolution de ces chiffres, publiée par le Ministère de l'Education nationale sur le site :
Dernière modification le dimanche, 03 juin 2018