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Photo Credit : RICCIO via Compfight cc - Philippe Watrelot (CRAP) attire l’attention de ses nombreux lecteurs sur un problème dont le ministre et ses collaborateurs semblent se complaire à le considérer comme marginal pour éviter de le traiter. Comme si une sorte de solidarité de corps s’imposait au-delà des alternances politiques.

« Le blogueur Marc Serrand sur le site de l’Express, montre que dans la hiérarchie intermédiaire de l’Éducation Nationale, la résistance aux réformes et la mauvaise volonté de changement sont (quelquefois) à l’œuvre. Un témoignage qui vient conforter ce que dénoncePierre Frackowiak depuis longtemps. »
 
Philippe Watrelot a raison. Il y a longtemps que l’inspecteur que j’ai été durant 30 ans, ancien instituteur qui ne l’a jamais oublié – ce qui est devenu rare – pense qu’il y a obligation de changer à la fois le fonctionnement historique de la grande pyramide de l’Education (je l’écrivais déjà au SIEN en 1990 !) et qu’il n’y aura pas de refondation de l’école sans refondation de l’inspection (ce qui est très différent de l’augmentation annoncée du nombre de postes et de la demande vainement réitérée depuis plus de 20 ans, de réduire les tâches administratives des inspecteurs).
 
Il se fait que parcourant la France pour présenter des conférences et animer des débats, je suis devenu le destinataire de courriers et messages transmis par des enseignants de base en souffrance, des responsables syndicaux locaux et départementaux du SE, du SNUIPP, du SGEN, de SUD Education (mais pas des nationaux). Je les accumule et j’alerte au plus haut niveau mais on persiste à me dire que tout cela n’est pas représentatif et qu’ayant soutenu, avec Philippe Meirieu, Alain Refalo et le mouvement des désobéisseurs, je suis devenu « un dépositaire des états d’âme des marginaux ».
 
L’observation attentive (et quand même experte) des notes de service, des circulaires de rentrée, des notices préparatoires à l’inspection, des témoignages souvent pathétiques, montre que le problème est réel, grave, dangereux. Je note d’ailleurs que Claude Thélot, François Dubet, Philippe Meirieu, André Giordan, expriment des idées très proches de mes constats, voire identiques. L’autoritarisme, l’infantilisation, le technicisme, la déshumanisation se sont installés visiblement pour longtemps.
 
Une note de service mise au point par des inspecteurs du secteur du département du Nord, que je connais le mieux pour y avoir exercé et qui me donne de très nombreux correspondants, est très révélatrice. Elle fait référence à tous les textes d’avant 2012 qui s’imposent dans l’esprit rappelé fermement par un DASEN attaché à la continuité. Quand elle évoque les préconisations du nouveau ministre, c’est pour expliquer que la remontée des évaluations est indispensable au bon fonctionnement du service et en particulier à ce fameux pilotage dont je n’ai cessé de démontrer la stupidité. Quand elle reconnaît que les enseignants sont désormais libres, c’est pour mieux utiliser les techniques bien mises au point au cours des années précédentes : pressions, appels téléphoniques, interventions des conseillers pédagogiques, rappels à l’ordre, pour finir par l’assassin « Vous êtes le dernier ou la dernière à transmettre vos résultats. Réfléchissez bien ». Généralement ces notes de service se concluent par un rappel de la confiance qui règne dans la circonscription et par des sentiments les plus cordiaux.
 
Il est intéressant de noter que les plus zélés des inspecteurs qui résistent aux réformes sont aussi ceux qui ont été les plus durs avec les désobéisseurs qui s’opposaient aux politiques précédentes. Quand les pourchasseurs des résistants de 2007 à 2012 deviennent en 2013, des résistants, on peut douter des chances de réussite de la refondation.
 
Une version longue de ce grain de sel sera publiée sur le site de Philippe Meirieu (meirieu.com), dans la rubrique forum où l’ont peut trouver de nombreux textes sur ce sujet : dont un qui a connu et connaît toujours un succès considérable chez les enseignants : « Je suis content, je pilote ».
 
Pierre Frackowiak
Dernière modification le jeudi, 13 novembre 2014
Frackowiak Pierre

Inspecteur honoraire de l’Education nationale. Vice-président de la Ligue de l’Enseignement 62. Co-auteur avec Philippe Meirieu de "L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ?". Editions de l’Aube. 2008. Réédition en format de poche, 2009. Auteur de "Pour une école du futur. Du neuf et du courage." Préface de Philippe Meirieu. La Chronique Sociale. 2009. Auteur de "La place de l’élève à l’école". La Chronique Sociale. Lyon. Auteur de tribunes, analyses, sur les sites educavox, meirieu.com. Prochainement, une BD avec les dessins de J.Risso :"L"école, en rire, en pleurer, en rêver". Préface de A. Giordan. Postface de Ph. Meirieu. Chronique Sociale. 2012.